Le cannabis en milieu de travail

27 juin 2017

Le 13 avril dernier, le projet de loi C-45 – soit la Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d'autres lois ou la Loi sur le cannabis – fut déposé et lu à la Chambre des communes. La Loi sur le cannabis prévoit, entre autres, certaines modalités visant à légaliser et à réglementer la production et distribution du cannabis à des fins médicales et récréatives.

L’adoption de la Loi sur le cannabis pourrait donc entraîner la légalisation de la consommation de cannabis, dans la mesure prévue par la Loi, et ainsi rendre le caractère légal de sa consommation similaire à celui d’autres substances, tel l’alcool. Tout comme l’alcool, le cannabis demeure une substance altérant les facultés de ses consommateurs, et  la légalisation et la réglementation de sa production, de sa vente et de sa consommation n’empêchent pas pour autant cette substance d’être une drogue au sens commun et nous sommes d’avis que celle-ci devrait continuer à être traitée comme telle par les employeurs.

La consommation à des fins récréatives

Soulignons d’emblée que la légalisation prévisible de la consommation de cannabis à des fins récréatives, dans la mesure permise par la Loi sur le cannabis, ne modifie pas le droit que détient tout employeur d’interdire à ses employés de consommer des substances pouvant altérer leurs facultés sur les lieux du travail, ou d’interdire qu’ils rendent leur prestation de travail sous leur influence.

En effet, la consommation de cannabis devrait à juste titre être assimilée à la consommation d’alcool en milieu de travail, et être traitée de façon similaire. Ainsi, l’employeur vigilant devrait contrôler l’intoxication au cannabis et la présence au travail d’un employé sous l’influence de cette substance lorsqu’elle est consommée à des fins purement récréatives, de la même manière qu’il contrôle l’intoxication par consommation d’alcool.

Des politiques ou règlements internes pourraient à ce titre être adoptés ou mis en vigueur afin de prévoir un encadrement spécifique, voire une interdiction totale, de consommer du cannabis sur les lieux du travail, et une interdiction d’exécuter sa prestation de travail sous l’influence de cannabis, lorsque cette consommation n’est qu’à des fins purement récréatives.

Une contravention à ces politiques, notamment la consommation de cannabis sur les lieux du travail ou la présence d’un employé qui rend sa prestation de travail sous l’influence de cannabis, pourrait être sanctionnée par l’imposition de mesures disciplinaires. À nouveau, un processus similaire à celui relatif à la consommation d’alcool pourrait être envisagé par l’employeur.

Notons cependant que contrairement à la consommation d’alcool, il ne semble pas exister à l’heure actuelle, de moyens techniques fiables permettant de détecter si les facultés d’un individu sont affaiblies par sa consommation de cannabis. Ainsi, il appartiendra à l’employeur, et à ses observations, de déterminer si, entre autres, le jugement d’un employé semble altéré par une consommation de cannabis.

Cela étant, des nuances doivent être apportées lorsque cette consommation est à des fins médicales et non récréatives.

La consommation à des fins médicales

Bien que la législation canadienne actuellement en vigueur permette l’accès au cannabis à des fins médicales à certains individus, il est possible que l’adoption de la Loi sur le cannabis entraîne une augmentation de la consommation de cannabis à ces fins. À nouveau, cette consommation particulière pourrait entraîner deux situations en milieu de travail : la consommation sur les lieux du travail, et l’exécution de la prestation de travail sous l’influence du cannabis.

À cet effet, il est possible qu’un employé soumette à son employeur qu’il doive consommer du cannabis en milieu de travail à des fins médicales. Le cas échéant, il nous paraît essentiel que l’employé doive d’abord justifier ce besoin à son employeur par une preuve médicale attestant la présence d’une condition médicale physique ou psychologique relié à ce besoin, étant donné que l’un des effets prévisibles de la consommation de cannabis en milieu de travail est l’altération des facultés de ceux qui la consomment.

Ce n’est alors qu’en présence d’une preuve médicale attestant que l’employé est affecté d’une condition physique ou psychologique pouvant justifier sa consommation de cannabis à des fins médicales qu’un questionnement devrait alors être amorcé par l’employeur. La condition de l’employé est-elle caractérisée par des maux ou symptômes incapacitants, douloureux ou encore invalidants? Et est-il possible que ces maux puissent être atténués ou soulagés par la consommation de cannabis? En effet,  il est reconnu que certains individus atteints de certaines maladies chroniques ou formes de cancer peuvent bénéficier des effets du cannabis.

À tout événement, la présence d’une condition physique ou psychologique justifiant la nécessité de consommer du cannabis à des fins médicales pourra alors être assimilée à un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne[1].

Comme pour toute autre affection pouvant être associée à un handicap, l’employeur ne peut faire preuve de discrimination sur la seule base de l’existence de ce handicap, et il détient une obligation d’accommodement à l’égard de l’employé affecté. Cette obligation, élaborée par la Cour suprême du Canada dans une série d’arrêts de principe, implique une étude indépendante de chaque situation, afin que l’employeur détermine les moyens pouvant être mis en œuvre afin d’accommoder l’employé par rapport à son handicap, sans toutefois devoir aller au-delà du seuil de la contrainte excessive.

Lorsqu’il est question de consommation de cannabis à des fins médicales, l’employeur devra mener son obligation d’accommodement de la même manière qu’à l’égard des employés présentant d’autres handicaps. À ce titre, l’adaptation d’un poste de travail, la modification d’un horaire de travail, ou le changement de départements ont été reconnus comme constituant des mesures d’accommodement pouvant être effectuées par un employeur.

Par ailleurs, une caractéristique importante liée à la consommation de cannabis est l’altération des facultés qui s’ensuit, tout comme une telle altération pourrait  être provoquée par d’autres types de médicaments, dont les opiacés par exemple. Nous sommes d’avis qu’il est prévisible que ce facteur devienne prépondérant dans l’analyse conduite par un employeur dans le contexte de son devoir d’accommodement, principalement en raison de l’obligation légale que détient un employeur d’assurer la santé et la sécurité de ses employés, laquelle lui est imposée par la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2]. Cette obligation aura donc vraisemblablement une influence non négligeable dans la conduite de cette analyse et dans la détermination du seuil de la contrainte excessive, et il se peut qu’en raison de leur nature, certaines entreprises ne puissent accepter qu’un employé travaille avec les facultés affaiblies en fonction du poste occupé ou des fonctions exercées.

Il est enfin possible qu’un employé présente une dépendance à la consommation de cannabis, tout comme à l’égard de toute autre substance. La dépendance à une substance étant également assimilée à un handicap au sens de la Charte, la même analyse d’accommodement devra être conduite par l’employeur dans une telle situation, et ce, jusqu’à l’atteinte de la contrainte excessive. Cette analyse sera similaire à celle qu’un employeur doit conduire en cas d’intoxication à l’alcool ou de dépendance à d’autres drogues, et pourrait inclure, notamment, la conclusion d’ententes de « dernière chance » et l’occasion de bénéficier d’une cure de désintoxication.

Rappelons enfin que jusqu’à l’adoption et mise en vigueur de la Loi sur le cannabis, cette substance demeure une drogue au sens de l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances[3] et, de ce fait, sa consommation demeure illégale au Canada, à l’exception de sa consommation à des fins médicales.

Beaucoup de questionnements et rebondissements en perspective…


[1]           RLRQ, c. C-12.

[2]           RLRQ, c. S-2.1.

[3]           L.C. 1996, ch. 19. 


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