PIERRE PILOTE
<00:13> J’aimerais maintenant accueillir Lucie Guimond, associée chez Gowling WLG, nos prochaines conférencières, Lucie et Élizabeth, que j’inviterais à s’avancer. Donc, Lucie conseille sa clientèle en matière de rapports individuels et rapports de travail, de santé et sécurité, de protection du renseignement personnel et d’accès à l’information ainsi que de droits de la personne.
<00:36> Elle est notamment réputée pour son expertise pointue en ce qui a trait à l’indemnisation des accidents de travail. Elle est accompagnée aujourd’hui par Élizabeth Gauthier. Élizabeth pratique au sein du groupe Travail et emploi et droits de la personne. Elle œuvre principalement dans le domaine des relations de travail, tant individuelles que collectives. Elle contribue à la préparation des dossiers litigieux en effectuant l’analyse préliminaire de ceux-ci, en participant à l’élaboration de stratégies juridiques.
<01:06> Elle vous présente le prochain thème intitulé Médias sociaux et invalidités, conjugaison parfaite ou incompatibilité. Une pause de 15 minutes suivra. Lucie et Élizabeth, je vous laisse la parole.
Élizabeth Gauthier
<01:22> Bonjour, tout le monde. Élizabeth, c’est moi; Lucie devrait être parmi nous momentanément. Je vais vous demander d’être patients avant de commencer notre présentation puisqu’elle ne saurait être complète sans ma collègue. Mais ce dont on va vous parler aujourd’hui, juste une brève introduction, se rapporte à l’invalidité et l’impact des médias sociaux – Merci, Pierre – lorsque les employés sont en invalidité. Vous constaterez que la majorité des décisions – Ah, bonjour, Lucie – en fait, la totalité des décisions qui vous seront présentées sont tirées d’accidents de travail, donc de lésions professionnelles.
<02:05> Tout ce qu’on va dire s’applique aussi en contexte d’invalidité qui n’est pas considérée comme un accident de travail. Il y a beaucoup de jurisprudence au niveau de l’application de la Loi sur les accidents du travail, mais tous les principes qui sont énoncés ici sont assez généraux pour s’appliquer à toutes les situations qui peuvent survenir dans le cadre de votre pratique. Ne détournez pas votre attention si vous pensez que ça a juste rapport avec la CSST. Ça s’applique à tout.
<02:31> Je vais attendre ma collègue Lucie, qui se fait mettre son micro, puis on va pouvoir débuter la présentation sous peu.
LUCIE GUIMOND
<02:38> D’accord, bonjour à tous.
Élizabeth Gauthier
<02:40> Alors, sans plus tarder, on commence.
LUCIE GUIMOND
<02:44> Pardonnez mon retard. Puisque nous sommes les premières à aborder de front la question des médias sociaux, je pensais vous faire une petite mise en contexte ce matin. Hier, au micro de l’émission matinale la plus écoutée à Montréal… Est-ce qu’il y a quelqu’un de Cogéco, ici? Zut, j’aurais pu faire des points. Un des chroniqueurs, Pierre-Yves McSween, pour ne pas le nommer, nous informait – fort à propos, il a fait la chronique en partie sur Facebook – qu’il y a dans le monde deux milliards d’abonnés Facebook. Je me suis demandé comment mettre ça en relation avec les utilisateurs. Arrivée au bureau, je suis allée consulter le docteur Google pour constater qu’en 2013, 2,8 milliards de personnes avaient accès à Internet au monde.
<03:38> J’ai peut-être dit deux millions tantôt. Deux milliards de personnes ont un compte Facebook et, il y a quatre ans, 2,8 milliards de personnes avaient accès à l’Internet. La conclusion, c’est facile. C’est que vos employés, pour ceux qui sont des employeurs, ont presque tous un compte Facebook. Et bien entendu, vous de même.
<03:59> Il s’agit donc d’une plateforme où Pierre-Yves McSween encore disait : écoutez, c’est un Big Brother volontaire. Il s’agit d’une plateforme où les gens partagent les moindres détails de leur vie, font part de leurs ...
<discussion hors contexte – problème de manette>
<04:30> C’est une plateforme, disais-je, où les gens partagent leur vie en temps réel. Elles font part de leurs moindres états d’âme avec nombre d’amis qui ont souvent aussi nombre d’amis qui ont des amis. Alors, que voilà un outil de vérification et de validation qui s’avère intéressant pour un employeur, particulièrement dans le contexte d’une invalidité, d’une période d’invalidité qui se prolonge. Peut-être vous souviendrez-vous, Élizabeth, quand je suis entrée tardivement, à nouveau, je m’en excuse, vous disait : écoutez, on a surtout des décisions en matière d’accidents de travail. Ça s’explique par deux choses : par le fait qu’on a regardé des récentes décisions et surtout par le volume de dossiers en accidents de travail, contrairement aux dossiers d’invalidité. Mais toujours est-il que je vous dirais que les employeurs, du moins ceux que je représente, se sont éveillés à l’importance ou au caractère intéressant que pouvait avoir Facebook dans la gestion de leurs dossiers. En 2009, quand une dame pratiquant visiblement la théorie qui veut que l’offensive soit la meilleure défensive, s’est adressée au Journal de Montréal, ce tribunal alternatif du droit, pour se plaindre du fait que son assureur avait mis fin à ses prestations, parce qu’il avait trouvé des photos d’elle ou s’était fait remettre des photos d’elle sur Facebook assise à un bar en République Dominicaine toute bronzée, souriante, alors qu’elle était en dépression. Alors, pour mes clients tout au moins, ça a été l’élément révélateur de tout ce qui pouvait se retrouver sur Facebook et c’était donc un contexte d’invalidité.
<06:00> Dans ce contexte, nous aborderons avec vous la gestion de cette preuve-là lorsque vous jugez bon de l’obtenir ou lorsque vos employés qui, eux, travaillent pendant que quelqu’un est en accident ou en invalidité, a du plaisir à être payé par vous, par l’assureur ou autrement, vous remettent cette preuve-là. Comment est-ce que vous allez gérer ça? On va dans un premier temps aborder la question des médias sociaux, qu’est-ce que c’est, parce qu’on ne l’a pas encore expliqué, puis ce n’est pas moi qui vais le faire certainement.
<06:30> Ensuite, on va vous faire part des principes généralement connus. Il y a quelques décisions de base en matière de Facebook, du moins pour ce qui est de la gestion des accidents de travail, qui établissent des principes. On va illustrer le tout de jurisprudences récentes, tel que l’a dit Me Gauthier, de la jurisprudence issue de l’application de la Loi sur les accidents du travail, pour passer à la période de questions. Je vous disais que pour des raisons qui m’apparaissent évidentes, c’est Élizabeth qui va vous expliquer ce que sont les médias sociaux et qu’est-ce qu’on fait avec ça. Pour ma part, je n’ai qu’un compte Facebook ouvert essentiellement pour m’aider dans la gestion de mes dossiers et vous en tirerez les inférences que vous voudrez bien en tirer.
Élizabeth Gauthier
<07:07> Heureusement, Lucie et moi… Lucie ne m’a pas encore fait une demande d’amitié Facebook pour espionner mes activités personnelles, mais… Non, sans blague, merci, Lucie, pour cette présentation intéressante. Je suis convaincue que la grande majorité d’entre vous êtes déjà très au courant de ce que sont les médias sociaux, surtout les principaux utilisés ici au Québec parce que dans le monde, ça diffère.
<07:30> Si on parle de ce qu’on peut recueillir sur ces médias sociaux, il y a toujours une partie qui est « photographie ». On met des photos de nous ou nos amis mettent des photos d’eux. Il y a une partie aussi qui est « identification ». On s’identifie dans un lieu. Par exemple, Surfing in Costa Rica ou bien « aujourd’hui, je vais déjeuner avec ma mère » puis on s’identifie dans un lieu, le restaurant de déjeuner. Il y a aussi une partie où on met des commentaires. On voit des fois des gens… vous avez probablement tous certains amis qui sont un peu fatigants dans votre liste d’amis Facebook puis qui parlent de leurs états d’âme. Ils disent : ah, ce matin, je me suis levé du mauvais pied. Honte à la vie. C’est ce genre de preuve-là qu’on peut récolter via les médias sociaux. Ça, c’est Facebook. Twitter, ce sont des commentaires. On peut aussi mettre des photos. LinkedIn, ça se veut plus professionnel, donc moins d’états d’âme, mais on peut aussi dénicher des informations intéressantes. Vous le verrez dans les exemples jurisprudentiels dont on vous fera part à la fin de la présentation, puisqu’il y a des gens, évidemment, qui marquent leur emploi.
<08:40> Mais qu’arrive-t-il lorsqu’ils invoquent ne pas travailler puisqu’ils sont en accident de travail et que, par ailleurs, ils mettent sur leur compte LinkedIn qu’ils viennent d’être embauchés pour une entreprise? Donc, ça peut aller jusque là. Instagram, bien sûr, les photos où on peut voir des gens dans toutes sortes de situations. Encore une fois, vous allez voir, c’est assez coloré ce que la jurisprudence nous rapporte.
<09:06> Donc, qu’est-ce que ça vaut un contenu qui est pris sur Internet? Parce que c’est bien évident, pour ceux qui ont l’expérience, lorsqu’on se retrouve devant le tribunal et qu’on essaie de mettre en preuve quelque chose qui s’est passée ou qu’on a vu sur Facebook, on n’apporte pas notre ordinateur puis on ne le montre pas au tribunal, on ne se logue pas sur notre compte pour montrer au tribunal : ah, regarde ce que telle personne a fait. Non. On amène un extrait, qu’il soit sur une clé USB ou sur un document qu’on aura fait imprimer. C’est un extrait, un Print Screen, comme on peut dire en anglais, de ce qu’on aurait vu sur le compte, par exemple, Facebook. Mais qu’est-ce que ça constitue en preuve? On s’entend que tout ça est nouveau. Le Code civil a été fait avant que tout ça ne soit problématique.
<09:56> Il est reconnu que ça constitue un document technologique. Même s’il est sur un support papier ou sur un support, par exemple, électronique, c’est un document technologique. Pourquoi? Parce que c’est un extrait de ce qui est vu sur Internet. Lorsqu’on a un document technologique, il est reconnu que ça peut être deux types de document. Ça peut être un écrit non authentique, puis ça peut être un élément matériel. Tout ça peut sembler technique pour vous, mais c’est important pour nous au niveau juridique, parce qu’il y a eu des débats qui se sont faits à ce sujet-là, pour savoir, premièrement, si c’était admissible en preuve, si c’était authentique. Est-ce qu’il fallait prouver l’intégrité du document qu’on avait?
<10:34> Un élément matériel, ça va être, par exemple, une photo qu’on a reprise sur Facebook, Instagram. Ça peut être aussi des vidéos, où les gens mettent aussi des vidéos souvent.Ça va être un élément matériel de preuve au sens du grand Code civil du Québec. Alors qu’un écrit non authentique, qui est une forme d’écrit… en fait, vous écrivez une lettre à la main, c’est un écrit non authentique selon le Code civil. À nouveau, ça peut être les états d’âme de la personne. Lorsqu’elle écrit sur Facebook, ça va être considéré comme un écrit non authentique. Tout ça dans le grand spectre du document technologique.
<11:06> Pourquoi on dit que c’est un document technologique? C’est parce qu’il y a une loi spécifique qui s’appelle la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, qui fait en sorte que ces documents ont la même valeur juridique. Donc, maintenant, plus besoin de soutenir que seulement les écrits manuscrits ou les écrits qui auront été rédigés par ordinateur sur un document Word peuvent être admissibles en preuve, parce que cette loi-là fait en sorte qu’il y a une équivalence entre les documents. Et plus que ça, elle crée une présomption d’authenticité des documents. Il y a quelques étapes à franchir avant que cette présomption entre en œuvre : 1) il faut identifier l’auteur. Donc, j’ai mon collègue ici, Me Pilote, qui a un compte fictif. Il n’en a pas, mais qui a un compte Facebook. En fait, je ne sais pas s’il en a un parce que… Je ne le sais pas. Mais disons qu’il a un compte Facebook et disons que dans le cadre d’un litige je souhaite faire admettre quelque chose qu’il a dit sur Facebook, qu’il a écrit. La première chose à faire, c’est de dire : Me Pilote, est-ce bien vous qui avez écrit ça? Me Pilote de répondre : oui, bien sûr. Donc, il a écrit ça. Première étape de franchie. On a identifié l’auteur et l’auteur a confirmé que c’était bien lui. C’est difficile pour quelqu’un de mentir à ce sujet-là parce que 1) ça constitue un parjure si ce n’est pas vrai et 2) parce qu’il y a souvent le nom puis tout le monde a une connaissance assez, je dirais, publique et générale de ce que sont les médias sociaux, de ce qu’est Facebook. C’est difficile de dire que, non, ce n’est pas lui qui l’a écrit, sauf si c’est par exemple quelqu’un qui utilise son nom et sans sa permission. Ensuite, on précise comment on l’a obtenu. Donc, moi, je suis en cour. Je dis : bon, OK, c’est bien Me Pilote qui l’a écrit. Comment, moi, j’ai obtenu la copie papier que vous avez ici devant vous? Bien, c’est bien simple. J’ai fait un screenshot de mon écran.
<13:00> À ce moment-là, il y a une présomption d’authenticité qui s’établit, selon laquelle ce document-là est authentique, donc a vraiment été rédigé par Me Pilote et, vraiment, c’est lui qui a tenu les propos qui sont là. Ça serait plutôt à l’autre partie, que ce soit Me Pilote ou une autre partie intéressée, de venir contredire l’authenticité, de venir mettre en preuve que, non, ce n’est pas vraiment lui qui l’a écrit ou que ça n’a pas été écrit au moment où c’est présumé être écrit. Parce qu’il y a aussi des dates qui sont associées à ça.
<13:30> C’est intéressant, parce que ça enlève un gros fardeau de preuve à la partie qui souhaite administrer une preuve d’un contenu tiré des médias sociaux à partir du moment où on identifie l’auteur et on confirme le moyen par lequel on a obtenu cette preuve-là, le fardeau va reposer sur l’autre partie. Ce qui est assez difficile. Puis vous allez voir, on a une décision qui est assez intéressante, qui va venir plus tard, où un travailleur a essayé de faire ça puis ça n’a pas marché, finalement; il n’a pas été capable de contredire.
<14:00> Sans plus tarder, je cède la parole à ma collègue.
LUCIE GUIMOND
14:03> Je ne sais pas si j’ai bien compris que Me Pilote n’a pas de compte Facebook, mais je vais vous dire néanmoins que c’est lui qui m’a montré comment utiliser l’application Find my friends sur mon cellulaire. La raison pour laquelle j’en parle, ça m’a fait sourire, c’est parce que ce ne sont pas seulement les médias sociaux, c’est tout ce qui est la nouvelle technologie et qui nous permet finalement de faire une quelconque surveillance, filature de gens, puis plus souvent qu’autrement, nos employés. La technologie, on est rendus là. C’est difficile de se cacher. De nos jours, on a un téléphone, on nous trouve. On a une page Facebook, on sait qu’est-ce qu’on fait.
14:36> Pour revenir au sujet, les principes généralement reconnus lorsque les décideurs en matière d’accidents de travail évaluent si une preuve Facebook doit être admissible sont essentiellement calqués sur les principes qui ont été retenus par la Cour d’appel à deux reprises en 1999 dans les arrêts Bridgestone-Firestone et Ville de Mascouche. Il n’y a pas de raison de penser que le raisonnement serait différent dans un cas de pure invalidité, parce que tout ça repose sur l’interprétation du Code civil, de la Charte et, jusqu’aux dernières nouvelles, c’était la même Charte et le même Code civil qui s’appliquaient tant en accidents de travail qu’en invalidité.
<15:14> Un rappel. Permettez-moi de vous regarder. Un rappel. Les articles importants ici sont les articles 28.57 et 28.58 du Code civil. Essentiellement, en vertu de l’article 28.57, toute preuve pertinente est admissible. L’article 28.58 est une exception à ça. Si une preuve est obtenue dans les circonstances qui porteraient atteinte aux libertés fondamentales et – retenez bien le « et », on va y revenir –qu’elle est de nature à déconsidérer l’administration de la justice, le juge devra l’exclure, la rejeter.
<15:53> C’est ce que la Cour d’appel a eu à faire dans Bridgestone-Firestone, dans un contexte de filature, ce implique un test en deux parties. Premièrement, est-ce qu’il y a atteinte aux droits fondamentaux? Ça implique toujours de regarder s’il y a eu atteinte au… est-ce qu’il y a eu respect de la vie privée, est-ce que la personne avait une expectative de vie privée? Même s’il y a eu atteinte à cette vie privée – c’est le « et » – est-ce que d’utiliser cette preuve serait de nature à déconsidérer l’administration de la justice? C’est un exercice de proportionnalité entre le respect des droits fondamentaux et la recherche de la vérité.
<16:30> Je vous ai indiqué « la fin justifie les moyens ». Je reviendrai au « mais » qui va avec mon « et » de tantôt. La fin justifie les moyens parce que, dans mon expérience, plus votre preuve est percutante… Je dis toujours à mes clients : plus vous avez le goût de sortir le popcorn puis d’inviter le monde à regarder votre petite vue quand vous regardez les résultats de votre filature, plus vous allez passer ce test-là. C’est le juge Beaudoin qui l’avait dit dans un obiter dans Bridgestone-Firestone : à un moment donné, quand tu as une preuve caractérisée de quelqu’un qui a fraudé ou qui a volé, c’est beaucoup plus de nature à déconsidérer l’administration la justice d’exclure cette preuve que de l’accepter au fond. C’est bien évident, puis on va avoir une illustration tantôt, quand votre preuve n’est vraiment pas très, très intéressante ou ne montre pas grand-chose, le décideur va être d’autant plus outré par le fait que vous ayez porté atteinte aux droits fondamentaux de votre employé.
<17:20> Je vous ai dit « mais » parce qu’en règle générale, effectivement, la fin justifie les moyens si vous avez un résultat probant. Au niveau pratique, pour ceux d’entre vous qui plaidez des dossiers, naturellement, votre but dans la vie, lorsqu’il y a une objection à votre Facebook ou à votre filature, c’est d’insister pour que le tribunal en prenne connaissance. On a une décision où la juge a jugé de l’admissibilité en se vantant bien de ne pas avoir regardé la preuve. Ça ne vous aide pas. On dit en anglais : You can’t unring a bell, you can’t unscramble an egg. C’est bien évident que si vous avez une preuve percutante et que le juge en a pris connaissance au moment de disposer de l’objection qui est faite à votre preuve, vous avez beaucoup plus de chance que votre preuve passe.
<17:59> Alors, je disais « mais » parce qu’on vous a cité une décision qui est en fait la décision Cusson. Vous allez voir en bas, complètement en tout petit, c’est marqué « contrat ». Une décision du charmant juge Yves Ouellette, de la direction administrative de Longueuil. On l’avait sortie. En fait, Me Gervais l’avait sortie en disant : bon, c’est 2016, ça pourrait être un développement récent. Me Gauthier l’avait sortie en disant : voilà donc une illustration de l’application. Le juge Ouellette – et c’est le « mais » -- a cité et nous a dit : il y a deux courants jurisprudentiels en matière d’application de l’article 28.58.
<18:31> Je dois vous dire en passant que le fardeau est à celui qui prétend qu’il y a déconsidération de l’administration de la justice de le prouver. Même s’il y a eu atteinte à ses droits fondamentaux, il doit faire la preuve de la déconsidération. Alors, le juge Ouellette fait état de deux courants : le majoritaire, qui dit : même s’il y a atteinte, il faut vérifier la déconsidération. Il dit : moi, je me range du côté minoritaire. Pour moi, il y a adéquation entre atteinte aux droits fondamentaux et déconsidération de l’administration de la justice.
<18:53> Ça me ramène à mon petit « et » que je vous ai demandé de réserver au début de ma présentation. « Et », deux critères. Si le législateur avait pensé qu’il y avait adéquation automatique entre l’atteinte au droit et la déconsidération, il n’aurait pas eu besoin de vous dire qu’il y a deux critères à examiner. Normalement, et c’est ce que la jurisprudence majoritaire vous enseigne, ne serait-ce que le texte de l’article 28.58, même s’il y a atteinte aux droits fondamentaux, on doit regarder s’il y a déconsidération de l’administration de la justice. Voilà pour les principes applicables.
<19:26> Des illustrations pratiques. Est-ce que l’obtention de la preuve est licite ou illicite? On va vous illustrer ça de deux cas spécifiques en matière d’accidents de travail. À nouveau, on s’inspire de Bridgestone-Firestone. Généralement, on reconnaît toujours que Facebook, c’est du domaine public. Je vais vous faire une analogie. C’est bien évident que si vous marchez dans la rue, c’est assez public, vous n’êtes pas dans votre chambre à coucher, ce qui n’empêche pas que vous puissiez avoir une expectative de vie privée quand même. Vous n’êtes pas supposé avoir, je ne sais pas, trois personnes qui vous suivent à deux pouces avec une caméra, même si vous êtes dans la rue. Alors, Facebook, c’est du domaine public, mais ça n’empêche pas que vous puissiez quand même avoir une certaine expectative de vie privée. C’est ce que les décideurs, dans les décisions Landry et Campeau, se sont attardés à regarder.
<20:16> Maintenant, je reviens à mon ami Pierre-Yves McSween, hier, dans sa chronique. Il nous disait également que Facebook, juste dans le dernier trimestre, c’est 8 milliards de dollars de revenus publicitaires. Il expliquait ça de la façon suivante. C’est que peu importe les paramètres de sécurité que vous avez activés, Facebook ramasse les données de ses utilisateurs, bunche ça ensemble, en bon français, et vend des données personnelles. Il donnait comme exemple, il disait : Essayez-vous de dire à un ami, moi, je pense que ça me tente de prendre des cours d’espagnol? Il dit : comptez jusqu’à 10, vous allez recevoir une publicité ciblée pour des cours d’espagnol. On l’a tous vu. On l’a vu sur Google. J’ai fait un voyage en République en janvier. Je reçois des publicités de voyages en République depuis ce temps-là.
<20:50> Vous reconnaissez… même que ça fait un peu peur parce que c’est votre reflet. On vous retourne des choses qui vous plaisent. Alors, c’est ce qui fait que Facebook est capable de dériver 8 milliards, dans le dernier trimestre, de revenus publicitaires. Mais il y a des conséquences à ça. Moi, personnellement, c’est mon opinion et je la partage, je crois que la question de « est-ce qu’on a une expectative de vie privée sur Facebook » va aller en se réduisant.
<21:26> Les décideurs dans les décisions de principe qu’on vous cite – une en matière de harcèlement psychologique est la décision Landry, l’autre en matière d’accident de travail dans la décision Campeau – se sont dit : est-ce que c’est public? Bien, oui, Facebook, c’est public. Ils ont essentiellement regardé : écoute, combien est-ce que tu as d’amis?, est-ce que tu acceptes les amis de tes amis? J’ai vu dans des décisions où on regardait aussi la qualité des amis. Peut-être que tu n’as pas beaucoup d’amis, mais si t’as un journaliste de Radio-Canada ou Patrick Lagacé comme ami, tu as peut-être moins d’expectative de vie privée. Il y a une question aussi de la qualité des amis que tu as et aussi de la façon.
<22:03> Ça revient au principe de Bridgestone-Firestone. Alors, on regarde : est-ce que tu as une expectative de vie privée?, puis est-ce que les moyens utilisés par ton employeur, que ce soit en filature ou par l’utilisation de Facebook, sont proportionnels ou sont-ils vraiment trop intrusifs? Dans un cas, la décision rendue par le juge Hudon dans Landry dit : le compte est public. Je vais vous expliquer. C’est dans un contexte de harcèlement psychologique et l’objection à la preuve est venue par l’employeur. Une personne qui se disait victime de harcèlement psychologique a produit en preuve des extraits des comptes Facebook de ses collègues avec lesquels elle n’était pas amie. Mais parce qu’elle était amie avec des collègues qui étaient amis des amis des amis des amis, bref, elle a eu des extraits Facebook d’autres collègues qui autrement ne l’auraient pas admis comme amie. Alors, c’est l’employeur, parce que ça ne convenait pas à ses fins, qui s’est objecté à la preuve. Naturellement, il s’est fait dire qu’il n’avait pas l’intérêt pour soulever qu’il y avait atteinte à la vie privée parce que ce n’était pas la sienne.
<22:58> Le juge a quand même examiné cette preuve-là puis il a dit : écoutez, premièrement, si cette dame-là a eu la preuve, c’est parce que quelque part il y a quelqu’un qui a été ami d’un ami d’un ami d’un ami d’un ami. Il dit : si quelqu’un veut laisser ses paramètres ouverts… lui semblait penser que tout le monde qui est ami devient automatiquement ami d’un ami d’un ami. On a eu cette discussion avec Me Gauthier, qu’elle est d’avis que si j’active tous mes paramètres puis je bloque tout le monde et et que je ne veux pas être amie d’un ami d’un ami, ça devient privé. Mais pour les raisons que je vous ai exposées au niveau de l’utilisation qui est faite de Facebook, je ne suis peut-être pas… enfin, disons qu’on est à la limite de l’expectative de vie privée. Dans le cas du harcèlement psychologique, il a dit : écoutez, c’est venu d’une amie, d’une amie, d’une amie, et c’est de l’essence même du Facebook, je n’y vois pas de problème. Il a admis cette preuve, d’autant plus naturellement qu’elle était pertinente. Rappelez-vous de la règle de base : la preuve doit être pertinente.
<23:49> À l’inverse, dans la décision Campeau, le juge a dit : écoutez, si votre compte ou vos paramètres de sécurité sont activés, vous avez peut-être, oui, une certaine expectative de vie privée. C’était une dame dont on s’est servi de ses extraits pour prouver que son invalidité n’était peut-être pas telle qu’elle le prétendait. Alors, il a dit : écoutez, en instance, cette dame-là, je constate qu’elle a 400 amis. Moi, je juge que l’expectative de vie privée, il n’y en a pas vraiment. Mais ce sur quoi le juge Tremblay a accroché, c’est que l’employeur, pour avoir cette information-là, a créé un faux compte, Mona quelque chose. C’est un beau petit nom, quand même. Je ne m’en souviens plus. Il a pris un faux compte et il a mis des informations dans le faux compte qu’il savait qui allaient faire appel au goût personnel de la dame. Je pense qu’il aimait le Cirque du Soleil, elle aussi. En tout cas, il s’est fait un beau petit profil. Il fait du phishing, la personne a mordu Puis elle a dit : ah, je veux être amie avec cette personne-là, elle a donc l’air intéressante. Naturellement, ça va directement aux moyens utilisés. Le juge a dit : même si tu as une expectative de vie privée qui est comme à la limite de l’inexistence, c’est carrément intrusif de créer un faux compte pour aller à la pêche chez ton employé qui, de toute façon, autrement, visiblement, ne t’aurait pas accepté comme ami même si tu avais voulu.
<25:10> Pour revenir à ce que je vous disais « la fin justifie les moyens », lorsque le juge a regardé la preuve, je dirais pout, pout, pout. La preuve était… il n’y avait rien de vraiment percutant là-dedans. Il n’y avait même rien pour contredire que la personne était en invalidité. Ils l’ont suivi pendant un an sur son compte Facebook puis ils ont comme réussi à peu près à ne rien trouver. Peut-être que s’ils avaient trouvé quelque chose de percutant, la décision du juge Tremblay aurait été différente. À nouveau, retenez qu’ici on a créé un faux profil Facebook. Ce n’est certainement pas à recommander. Je vous dirais plus souvent qu’autrement, ça vous vient volontairement, ces informations-là. Ça vient souvent des collègues de travail. Je dis souvent à mes clients : faites en sorte que vos gens, vos gestionnaires n’acceptent pas de demandes d’amitié, s’il vous plaît, de leurs subalternes. Ça va vous revenir à un moment donné, dans le visage que vos subalternes voient que votre gestionnaire a certaines activités. C’est important qu’ils gardent un rapport de force, un rapport d’autorité avec les employés. Ce n’est pas une bonne idée. Chaque fois que j’ai un client qui me rapporte des belles choses Facebook parce que son gestionnaire est ami avec un employé, naturellement, ils ont toujours tôt fait de me faire remarquer qu’il y a peut-être plus d’avantages que de désavantages à être ami avec ses employés.
<26:16> Sur ce, je passe la parole à Me Gauthier, qui va traiter des illustrations pratiques. On a essayé de vous choisir des cas qui étaient, on l’espère, intéressants, sinon divertissants.
Élizabeth Gauthier
<26:27> Merci, Lucie. Dans cette décision, c’est un peu particulier. On a une travailleuse qui souhaitait faire admettre sa lésion professionnelle. La travailleuse souhaitait également mettre en preuve du contenu qu’elle avait vu, qu’elle avait intercepté sur la tablette, le iPad de sa patronne. L’histoire, c’est que la travailleuse et la patronne ont été très bonnes copines. La travailleuse a été hébergée chez ladite patronne pendant un moment puis la patronne la laissait utiliser sa tablette. Oui. Elle se connectait sur le compte Facebook. C’est le contraire, en fait. Vous m’excuserez. La travailleuse laissait sa patronne utiliser sa tablette. Donc, sa patronne se connectait sur son propre compte Facebook à même la tablette de la travailleuse. À un moment donné, la patronne ne s’est pas déconnectée de Facebook. Donc, la travailleuse aurait pris sa tablette, évidemment elles n’étaient plus amies à ce moment-là, est allée voir… elle est tombée là-dessus. Elle a dit : wow, ma patronne a laissé son compte ouvert. Par curiosité, elle a fait le tour du compte Facebook de sa patronne. Elle est allée dans les messages privés. Vous savez qu’il y a des messages privés qu’on peut envoyer à d’autres utilisateurs. Elle a vu que sa patronne échangeait plusieurs messages avec d’autres travailleurs à son égard. Donc, ça parlait de la travailleuse.
<27:58> Ce que l’histoire ne dit pas, c’est ce que ces messages-là disaient parce que c’est exactement cette décision-là dont Me Guimond vous parlait, où la juge a refusé de voir le contenu des messages afin de décider s’ils étaient admissibles ou non. La question était de savoir : est-ce qu’ils sont admissibles, ces messages-là? Donc, je vous rappelle le scénario. Vous comprenez, c’est la travailleuse qui est tombée là-dessus parce que sa patronne a négligé de se déconnecter de son compte Facebook. Le tribunal dit que c’est qu’effectivement admissible parce qu’il n’y a eu aucun subterfuge. La décision dont Me Guimond vient de vous parler, Campeau, on insistait beaucoup sur l’existence de subterfuges. Est-ce que l’employeur a utilisé un moyen illicite pour obtenir ces informations-là? L’employeur ou la partie qui souhaite les mettre en preuve. Il a été jugé que non, que malheureusement la représentante de l’employeur a fait preuve de négligence en laissant son compte Facebook ouvert. Donc, le contenu des conversations allait être admissible en preuve. C’est une décision assez récente, vous voyez, 2017. On n’a pas la décision qui a été rendue sur le fond, pour savoir qu’est-ce que ça venait dire, mais probablement que ça va être… en tout cas, j’ose imaginer que ça va être pertinent, quoique, encore une fois, étant donné que le tribunal n’en prend pas connaissance, on ne sait pas si c’est pertinent. Mais ici, manifestement, la juge a décidé d’être différente et de ne pas se baser sur la déconsidération de l’administration de la justice, mais seulement de voir si le contenu était admissible en preuve. Donc, à suivre.
<29:21> Mesdames et messieurs, si vous êtes amis – et là, je ne parle pas amis Facebook – mais amis avec vos collègues de travail, déconnectez-vous de votre compte Facebook si vous êtes sur leurs appareils.
<29:33> Dans la prochaine décision, c’est encore une situation de harcèlement psychologique entre collègues. Ça, on le voit souvent, en fait. Encore une fois, c’est la travailleuse qui souhaitait mettre en preuve des extraits Facebook de conversations entre deux collègues, mais pas de conversations privées. De publications. Donc, de posts que deux collègues se sont écrits directement sur Facebook. Ce n’est pas marqué sur la diapositive, mais ce qu’elle disait, c’est quelque chose comme : une annonce à tous, vous me connaissez comme étant désagréable, désobligeante, méchante, bien, ça ne risque pas de changer cette année.
<30:05> Et là, l’autre collègue de répondre : moi aussi, il y en a qui vont souffrir. La travailleuse en question s’était sentie directement visée par ces propos-là, mais à aucun moment les autres travailleuses ne citent le nom de cette personne. Sauf qu’elle se sentait personnellement visée. Donc, elle souhaitait le faire admettre en preuve.
<30:25> L’admissibilité dans cette décision n’était pas en litige, parce que… On vous parle bien sûr de décisions où il y a eu des discussions sur le compte Facebook, mais ce n’est pas toujours qu’il va y avoir une contestation sur l’admissibilité. Ici, c’était admissible. Il n’y a pas eu de contestation. Je pense que même s’il y avait eu une contestation, ça aurait été jugé admissible parce que les deux travailleuses se sont écrit entre elles sur leur plateforme publique, étaient amies Facebook avec la travailleuse, donc c’est bien évident qu’elle a vu cet échange de messages.
<30:55> Si l’admissibilité de la preuve avait été en litige, est-ce que ça aurait été pertinent au sens de l’autre critère qui est essentiel, à savoir si la preuve peut être administrée? J’ai échangé là-dessus avec Me Guimond, puis on n’était pas certaines que ça serait pertinent, parce que la travailleuse ici souhaitait mettre en preuve du contenu d’autres personnes qui parlaient d’elles, de leurs états d’âme. On ne faisait pas mention du nom de la travailleuse. On ne faisait pas mention de quoi que ce soit. Est-ce que ça aurait été pertinent au litige? L’histoire ne le dit pas. À la toute fin, sachez que la lésion de la travailleuse a été refusée, puis c’a été considéré comme ne constituant pas du harcèlement psychologique parce qu’on n’était pas capable de prouver que ça la visait personnellement et, surtout, parce que l’employeur avait pris les moyens raisonnables pour y mettre fin.
<31:56> Autre anecdote et situation où c’est l’employée qui a tenté de mettre en preuve du contenu. Cette décision, CHU Sainte-Justine, est particulièrement intéressante. On a une travailleuse qui était en absence pour lésions professionnelles, mais qui par ailleurs était mannequin, mannequin de lingerie fine. L’employeur savait que cette personne était également mannequin parce que, souvent, elle lui demandait de s’absenter avant son accident de travail. Elle avait des doutes parce que la période de consolidation était manifestement très longue et doutait de l’invalidité parce qu’il n’y avait pas vraiment d’événements. La travailleuse jouait au basketball avec des individus, puis elle a dit que soudainement, elle s’était fait mal au dos. Mais il n’y a pas eu d’événements brusques.
<32:37> Ce que l’employeur a fait, c’est qu’il est allé voir rapidement sur Google, pour commencer. Il y a découvert le nom de mannequin. C’était un nom fictif, le nom de mannequin de cette travailleuse. Il a vu qu’elle semblait avoir beaucoup de photos récentes de mannequinat de lingerie fine. L’employeur en a parlé avec son procureur, qui est un bureau d’avocats et le procureur avait chez lui des techniciens. C’est particulier, parce que je travaillais dans ce bureau avant. Donc, je connais bien l’histoire et je connais bien le technicien. Effectivement, le technicien a lui-même fait les recherches pour voir, à travers les différents moteurs de recherche Twitter, Linkedin, Facebook, Google, et on voyait vraiment que la travailleuse avait des activités récentes, contemporaines. Donc, pendant sa période d’invalidité et d’absence du travail, où elle était dans des positions complètement incompatibles avec sa lésion professionnelle, je vous rappelle, qui était au dos.
<33:31> Je ne vais certainement pas mimer la scène, mais imaginez-vous des photos de lingerie fine, des positions acrobatiques sollicitant la région lombaire. C’était incompatible. Forts de ces informations, les procureurs et l’employeur ont sollicité également l’avis d’un expert, donc d’un médecin, afin de confirmer que ces photos-là et toutes les informations qu’ils avaient déjà accumulées sur la travailleuse étaient incompatibles avec l’invalidité alléguée.
<34:04> Je pense que ça démontre vraiment un souci du détail et de la rigueur, ici, le fait qu’ils ont sollicité l’avis d’un expert parce que c’est bien beau de dire : nous, on pense que c’est incompatible, mais à un moment donné il faut aussi que ça soit prouvé scientifiquement, donc par un médecin qui est venu dire : effectivement, quand on la voit courber le dos comme ça, quelqu’un qui a une entorse puis une hernie ne peut pas faire ça. La lésion de la travailleuse a fini par être rejetée et c’est en grande partie grâce à cette preuve qui avait été recueillie et à la preuve par expertise médicale qui a été faite par la suite. Je vous invite à aller la lire parce que c’est fort intéressant.
<34:43> Enfin, et ça va être la dernière décision dont je vais vous parler pour ensuite passer la parole à ma collègue, celle-là, je l’adore. On est tombés dessus puis c’est une vraie mine d’or. Pourquoi? Parce qu’elle est très, très spéciale. On n’en voit pas souvent. C’est un cas où la CSST a déclaré que le travailleur devait rembourser les indemnités de remplacement du revenu qu’il avait reçues, et ce, pour une somme supérieure à 100 000 $. Et comment c’a été découvert? C’est que la CSST a reçu une dénonciation anonyme. On ne sait pas qui a fait la dénonciation, mais je peux présumer que ça venait peut-être du côté de l’employeur ou de quelqu’un qui voulait du mal au travailleur à tout le moins. Une dénonciation où on voyait que le travailleur disait quelque chose sur son Facebook. Je vous ai mis la citation sans la reprendre. Ce que ça dit, c’est : « Wow, j’ai eu plus que 100 000 $ en commissions cette semaine. Wow, mon nouvel emploi, super. Joignez-vous à moi. Je vais faire la course Spartan Race ». Puis le travailleur avait bien sûr une lésion physique, en arrêt de travail complet depuis plusieurs années, donc depuis 2008. Il a reçu la dénonciation anonyme en 2012. C’est parti de là. La CSST a reçu ça. Première chose qu’elle a faite, c’est qu’elle a mandaté un enquêteur.
<35:59> Donc, la CSST elle-même a mandaté un enquêteur pour voir s’il y en avait plus puis pour voir si on était capable d’ajouter de la viande sur l’os. Effectivement, l’enquêteur a fait vraiment un très bon travail. Il y a eu des filatures qui ont été effectuées aussi en vertu de leurs pouvoirs d’enquête et on en a découvert plus, de telle sorte qu’elle a déterminé que le travailleur devait rembourser le montant des indemnités reçues. C’a été confirmé par le tribunal. La décision a été rendue par Phillipe Bouvier, qui est un bon décideur, qui est celui qui fait la loi sur les accidents de travail annotée. Son jugement est fort détaillé. Il dit qu’effectivement le travailleur avait un autre emploi, recevait des sources de revenus qu’il n’a pas déclarées, donc qu’il avait des déclarations frauduleuses envers la CSST, et a exigé le remboursement des indemnités pour la somme de 117 000 $ à peu près. Vous vous en doutez, cette décision s’en va en révision interne, c’est certain. En tout cas, le jugement ne semble entaché d’une erreur ou d’un vice de fond, à mon humble avis, et je pense que ma collègue est du même avis. C’est sommes toutes très rare qu’on voit ce genre de décisions rendues sur le remboursement des indemnités reçues. Voilà qui fait le tour de mes exemples. Je passe la parole à ma collègue.
LUCIE GUIMOND
<37:18> Le temps file. Je n’entrerai pas dans le détail des deux décisions qu’on vous a citées pour ce qui est de Facebook à titre de motif raisonnable pour la filature, autrement que pour vous dire qu’effectivement, en matière de filature, ça vous prend un motif raisonnable. Je vous l’apprends si vous ne le savez pas. Avant de faire suivre un travailleur ou une travailleuse, un employé, appelez-le comme vous le voulez, ça prend un motif raisonnable. Alors, Facebook peut être un tel motif raisonnable. Dans ces décisions, ça s’est souvent conjugué avec d’autres motifs, c’est-à-dire des contradictions, des incohérences entre des attestations médicales puis les prétentions du travailleur. Un travailleur dont l’assignation temporaire venait d’être arrêtée alors que ça faisait des mois qu’il était en assignation temporaire. Un travailleur dont on avait l’impression qu’il magasinait un médecin pour faire poursuivre sa période d’invalidité. Seul ou avec d’autres, Facebook peut vous servir de motif raisonnable pour votre filature. Bien entendu, à ce moment-là, vous avez un double fardeau. Il faut d’abord montrer que votre preuve Facebook respecte les exigences de 28.58 pour autant, bien entendu, que l’autre partie soulève que ça ne le respecte pas et, ensuite, que votre filature de même respecte ces critères. Dans l’ensemble, que vos deux preuves respectent les critères émis par la cour d’appel.
<38:29> À titre anecdotique, dans ces deux dossiers de filature, mus par une preuve Facebook, on a très rapidement jugé. Le juge ne s’est pas étendu bien longtemps pour dire : c’est du domaine public puis, écoutez, il n’y a pas de paramètres d’activés dans son compte, il a des amis qui ont des amis qui ont des amis, il y a comme zéro expectative de vie privée. Mais rappelez-vous quand même, ce n’est jamais zéro, mais ça peut être très, très mince. Alors, même quand l’expectative de vie privée est à son minimum, il ne faut quand même pas user de moyens intrusifs parce qu’il en reste toujours un petit peu de vie privée. Si vous utilisez des moyens intrusifs, disproportionnés, il y aura quand même atteinte aux droits fondamentaux. Ce qui nous amène à la conclusion. Ah, on n’a pas notre titre. Alors, Médias sociaux et invalidités : conjugaison parfaite ou incompatibilité? Quel beau …
Élizabeth Gauthier
<39:19> C’était le titre de notre présentation.
LUCIE GUIMOND
<39:22> Quel beau titre, vous êtes-vous dit, au moment de vous inscrire à notre conférence. Alors, on s’est dit qu’il fallait bien entendu le justifier. Pour ceux qui se le demandent, ce sont des silos. Vous savez comme cabinet canadien prééminent en matière de droits d’auteurs, on ne prend pas n’importe quelle image. Pas question pour nous de prendre des Peanut, des Garfield et toutes ces choses-là qui font l’objet d’un copyright. On a une banque d’images autorisées du domaine public. Ça donne ça. Je crois qu’on doit vraiment saluer Me Gauthier pour son effort, d’avoir trouvé la photo dans la banque qui, quand même, présentait un reflet.
Élizabeth Gauthier
<39:59> Il y a un reflet, là. Je veux juste vous dire, il y a un reflet.
LUCIE GUIMOND
<40:01> De silos. Dont ne sont propriétaires aucun, du moins, de mes clients. Mais, enfin. Est-ce qu’un employé, même s’il est malade, peut utiliser les médias sociaux? Bien entendu. Ça ne demande pas un effort physique bien important. Peut-être plus mental. Alors, vous poserez la question si la lésion est psychologique. Mais bien entendu qu’il peut utiliser les médias sociaux pendant son invalidité. Cependant, il devra être sensible aux conséquences. Son employeur peut avoir accès, aura probablement accès, surtout si son invalidité se prolonge, l’appétit de l’employeur ira en grandissant.
<40:41> L’employé a intérêt – et c’est là qu’on revient à la photo – à ce que son profil Facebook soit le reflet parfait de sa condition invalidante. Moindrement que sur ce profil, il y a des informations qui pourraient vous permettre de douter de la condition d’invalidité ou des déclarations d’invalidité de l’employé, l’employé en cas d’incompatibilité, retour au titre, devra en subir les conséquences. Ces conséquences prendront plus souvent qu’autrement soit la forme de la contestation de sa réclamation, mais également la forme de mesures disciplinaires, ce dont vous entretiendront Me William et Me Glaud au retour de la pause. Je vous remercie.
<fin de l’enregistrement>