La Cour suprême clarifie l'exigence relative à l'indépendance des témoins experts

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01 mai 2015

Il est bien établi en droit canadien que les témoins experts ont une obligation particulière envers le tribunal de fournir une aide équitable, objective et impartiale. Cependant, les tribunaux ne se sont pas toujours entendus sur comment et quand traiter des questions soulevées par l’indépendance des témoins experts – est-ce que  l’indépendance et l’impartialité doivent être examinées au stade de l’admissibilité ou seulement relativement à la valeur probante du témoignage?

Dans White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, la Cour suprême a clarifié que les questions liées à l’indépendance doivent être examinées au stade de l’admissibilité, mais que ce critère n’est pas exigeant : le témoin expert doit simplement être conscient de son obligation principale envers le tribunal et vouloir s’en acquitter.

Résumé de l’affaire

Les faits de l’affaire sont relativement simples : un groupe d’actionnaires a fait appel aux services d’un nouveau cabinet comptable, Grant Thornton s.r.l., pour effectuer diverses tâches comptables relativement à son entreprise. Les travaux réalisés par Grant Thornton ont révélé ce que les actionnaires ont décrit comme du travail négligent effectué par les comptables précédents. Ces derniers ont donc intenté une action pour négligence  professionnelle à l’encontre de leur ancien cabinet comptable.

Les actionnaires ont déposé une requête en jugement sommaire étayée par un rapport d’une associée en juricomptabilité de chez Grant Thornton. Les défendeurs ont présenté une requête en radiation de l’affidavit au motif qu’elle n’était pas un témoin expert impartial, car la poursuite portait essentiellement sur une divergence d’opinion entre deux cabinets comptables et Grant Thornton, à titre de cabinet qui avait découvert les erreurs alléguées, avait un intérêt financier dans l’issue du litige, et à titre d’associée, le témoin expert avait un intérêt financier personnel.

Le juge de première instance a radié l’affidavit intégralement au motif qu’un témoin expert « doit être, et paraître, indépendant et impartial ». La majorité de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a estimé que le juge de première instance avait erré en droit et que l’affidavit n’aurait pas dû être radié. La Cour suprême du Canada est parvenue à la même conclusion que la Cour d’appel.

La décision de la Cour suprême

La Cour suprême a réaffirmé et clarifié le test à deux étapes pour l’admissibilité de la preuve d’expert comme suit :

  1. La preuve doit satisfaire à quatre critères en ce qui a trait aux questions d’admissibilité :
    • la pertinence;
    • la nécessité d’aider le juge des faits;
    • l’absence de toute règle d’exclusion;
    • la qualification suffisante de l’expert; et
  2. si le premier critère mène à la conclusion que la preuve est admissible, le juge peut toujours exclure la preuve en se fondant sur une analyse coûts-bénéfices pour déterminer « si le témoignage d’expert qui satisfait aux conditions préalables à l’admissibilité est assez avantageux pour le procès pour justifier son admission malgré le préjudice potentiel, pour le procès, qui peut découler de son admission ».

Le juge Cromwell de la Cour suprême a conclu qu’il existe trois notions liées qui composent le devoir des témoins experts : l’impartialité, l’indépendance, et l’objectivité. Un témoin expert doit fournir une preuve objective, cette dernière doit être le fruit du jugement indépendant de l’expert, elle doit être objective en ce qu’elle ne doit pas favoriser injustement la position d’une partie au détriment de l’autre.

Les questions liées à l’indépendance et l’impartialité sont évaluées à  la fois lors de la qualification de l’expert au stade de l’’admissibilité et lors de l’analyse des coûts-bénéfices lors de la deuxième étape. Au stade de l’admissibilité, le critère n’est pas particulièrement exigeant : le témoin expert est-il conscient de sa principale obligation envers le tribunal et à même de s’en acquitter? En l’absence de contestation, il est généralement reconnu que l’attestation ou le témoignage de l’expert à cet effet satisfait au critère d’admissibilité.

La Cour a fourni des renseignements utiles quant aux facteurs qui pourraient rendre une preuve inadmissible. Par exemple, l’apparence de partialité ou le simple fait qu’un expert détient un intérêt ou une connexion avec le litige ou une partie ne suffit pas à rendre inadmissible la preuve du témoin expert. De la même façon, l’existence d’une simple relation d’emploi entre l’expert et  une partie n’emporte pas l’inadmissibilité de la preuve. Il incombe à la partie adverse de démontrer clairement que le témoin expert ne peut ou ne veut s’acquitter de l’obligation de fournir une preuve équitable, objective et impartiale. Les facteurs à considérer incluent notamment l’existence d’un intérêt financier direct du témoin expert dans l’issue du litige ou l’existence d’un lien familial entre le témoin expert et la partie.

Une fois le stade de l’admissibilité passé, toute autre question relative à l’indépendance ou à l’impartialité peut être prise en considération dans la seconde étape qui consiste en une analyse des coûts-bénéfices qui soupèse les risques et les avantages d’accueillir la preuve.

Dans cette affaire, le témoin expert a démontré qu’elle comprenait et était à même de respecter son obligation envers le tribunal et donc de passer le stade de l’’admissibilité. La Cour suprême a conclu que les allégations selon lesquelles Grant Thornton risquait d’engager sa responsabilité si les actionnaires n’avaient pas gain de cause étaient hypothétiques et que rien ne démontrait que le témoin expert avait été retenu pour adopter la position  qui lui aurait été dictée par les actionnaires. Bref, il n’y avait aucune raison valable d’exclure sa preuve comme étant inadmissible.


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