Changement au scénario : utilisation de l’IA dans la production cinématographique et télévisuelle

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02 novembre 2023

Bien que la grève de la Guilde des acteurs – Fédération américaine des artistes de radio et de télévision (SAG- AFTRA) se poursuive, le syndicat de scénaristes américains (WGA) et l'Alliance des producteurs du cinéma et de la télévision (AMPTP), l'association professionnelle chargée de négocier au nom des sociétés de productionhollywoodiennes, ont finalement signé un accord à l'issue d'une grève historique de 148 jours.

Comme expliqué ici, l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) était au cœur des négociations. Le dévoilement public des détails de l'accord ont permis de voir que la WGA a atteint son objectif de réglementation de l'IA (dans une certaine mesure, du moins). Cet accord ne marque pas seulement la fin de la deuxième plus longue grève de la WGA dans l'histoire d'Hollywood, il donne également un aperçu de la manière dont l'industrie prévoit aborder l'utilisation de l'IA.

Si la loi peine à suivre le rythme auquel l'IA se développe, l'industrie du cinéma et de la télévision semble toutefois avoir fait quelques pas dans la bonne direction. 



Pas de célébrité, pas de gloire, pas de nom au générique

Les parties ont convenu que l'IA générative (IAG) ne sera jamais reconnue à titre d'« auteur ».

De plus, tout matériel produit par l'IAG ne sera pas considéré comme du matériel littéraire (p.ex., des histoires, des adaptations et des scénarios, entre autres types d'œuvres) pour utilisation dans la production de projets télévisuels et cinématographiques. Tout matériel produit par l'IAG devra être révisé par un auteur humain avant d'être considéré comme du matériel littéraire. Une approche qui ne manquera pas de rassurer les scénaristes qui craignaient peut-être de se retrouver un jour en compétition avec l'IAG pour des prix ou des mises en candidatures aux Oscar (du moins, pour l'instant).

En exigeant que des auteurs humains révisent et adaptent les œuvres créées par l'IAG, l'AMPTP est peut-être en train de subtilement introduire une façon d'utiliser l'IAG dans le processus d'écriture de scénarios, tout en conservant un droit d'auteur sur l'œuvre. La question à savoir si le droit d'auteur subsiste dans les œuvres produites par l'IAG est cruciale, et n'a pas encore fait l'objet de débats dans les tribunaux, question qui pourrait de toute manière dépendre des circonstances et différer d'un pays à l'autre.

Dans la plupart des pays, y compris au Canada, pour qu'une œuvre puisse bénéficier de la protection du droit d'auteur, on exige qu'un auteur humain y ait participé. Si une œuvre est créée avec l'assistance de l'IAG, la protection du droit d'auteur entre en jeu ou non selon le degré de participation de l'humain à manipuler l'IAG pour « écrire » l'œuvre.

La Source d'autres enjeux liés au droit d'auteur

La WGA a également réussi à empêcher les studios d'utiliser son matériel pour entraîner des modèles d'IA générative sans permission. Selon le Summary of the 2023 WGA MBA (en anglais) publié par la WGA :

« La WGA se réserve le droit d'affirmer que l'exploitation du matériel des scénaristes pour entraîner l'IA est interdite par [le contrat] ou toute autre loi. » [TRADUCTION]

Fait intéressant : impossible pour l'instant de savoir si la « loi » interdit l'utilisation non autorisée de matériel protégé par le droit d'auteur pour l'entraînement d'IAG. Cette question à savoir si ce type d'utilisation équivaut à une violation du droit d'auteur fait actuellement l'objet de débats devant les tribunaux dans de multiples pays.

Ces poursuites pourraient aboutir, mais difficile d'en prédire les résultats (du moins, pour le moment). Même si les tribunaux américains adoptent une position commune relative à la violation du droit d'auteur, rien ne garantit qu'il en serait de même ailleurs. Par exemple, au Royaume-Uni et au Canada, la défense de « l'utilisation équitable », une défense juridique qui pourrait être invoquée pour permettre l'entraînement de l'IA relativement à des œuvres protégées par le droit d'auteur, et ce, sans permission, est beaucoup plus restreinte que la défense de l'utilisation équitable (fair use) américaine.

Selon l'issue de ces affaires, les studios pourraient être autorisés par la loi à utiliser des œuvres protégées par le droit d'auteur pour entraîner l'IAG à des fins de scénarisation, mais se voir interdire de procéder ainsi aux termes du contrat (pourvu que l'œuvre protégée par le droit d'auteur ait été écrite par un membre de la WGA). 

Cependant, tant que les tribunaux n'auront pas tranché la question, l'utilisation d'œuvres protégées par le droit d'auteur pour entraîner l'IAG à des fins de création de scénarios demeure risquée. En effet, des producteurs pourraient être tenus responsables dans le cadre de leurs accords avec des tiers (comme les distributeurs et les diffuseurs) à qui ils auraient affirmé et garanti que le film et ses éléments sous-jacents, y compris le scénario, étaient originaux et ne violaient aucun droit de tiers. 

De plus, les producteurs pourraient s'exposer à des poursuites en assurance responsabilité professionnelle puisque leurs couvertures d'assurance en la matière sont fondées sur leurs affirmations selon lesquelles la chaîne de titres au sein de la production est bel et bien saine.

Un accord a été conclu, mais tout n'est pas clair quant à l'utilisation de l'IA

Bien que le contrat donne un aperçu de l'approche de l'industrie en ce qui a trait à l'utilisation de l'IAG dans le processus d'écriture de scénarios, des incertitudes et des zones de préoccupations demeurent. Outres les questions de droit d'auteur, l'utilisation de l'IAG soulève des préoccupations en ce qui a trait à la protection de la vie privée, à la diffamation, et aux droits de la personnalité. Des clarifications sont donc encore nécessaires.

L'IA pourrait changer irrémédiablement le monde du travail, l'économie, les normes culturelles, notre sécurité, et même, notre humanité. Par conséquent, on peut s'attendre à l'élaboration d'une réglementation visant l'IA dans un futur proche.

Il reste que tenter de prédire quelle forme cette réglementation prendra s'est avéré difficile. En effet, au rythme effréné auquel cette technologie se développe, comment en entrevoir tous les impacts? Mis à part quelques domaines hautement spécialisés (comme celui des véhicules autonomes), en général, la


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