François Baril
Associé
Article
14
Le 9 juin 2015, le Bureau de la concurrence du Canada a publié la mise à jour de ses Lignes directrices sur la propriété intellectuelle (LDPI), à des fins de consultation publique (voir ici). Les LDPI décrivent comment le Bureau traite la relation entre le droit de la concurrence et les droits de propriété intellectuelle, ainsi que son approche en matière d’application de la législation quant à la conduite liée à l’exercice de droits de PI.
La mise à jour présente l’approche proposée par le Bureau en vue d’appliquer la législation à l’égard des activités des « trolls de brevets » (c'est-à-dire des entreprises dont le modèle de gestion consiste à faire valoir des brevets alors qu’elles ne fabriquent ni ne vendent les produits ou services visés par lesdits brevets), du règlement de litiges concernant des brevets au sein de l’industrie pharmaceutique et de la conduite liée aux brevets essentiels au respect des normes (« BERN ») (c'est-à-dire un brevet revendiquant une invention qui doit être utilisée afin de se conformer à une norme adoptée par un organisme d’établissement ou d’élaboration des normes [« OEN »]).
La mise à jour fait suite à la publication d’une mise à jour de phase 1 des LDPI par le Bureau en septembre 2014 (celle-ci était principalement constituée de révisions administratives effectuées en vue de refléter les modifications portées à la Loi sur la concurrence du Canada, compte tenu du fait que les LDPI avaient été publiées en septembre 2000) et d’un livre blanc décrivant comment le Bureau entrevoit la mise en application de la législation canadienne sur la concurrence aux règlements de litiges concernant des brevets pharmaceutiques. Le livre blanc a donné lieu à une vive controverse, car (entre autres) on y proposait une politique plutôt floue en matière d’application de la législation aux termes de laquelle, à la discrétion du commissaire de la concurrence, le Bureau examinerait les règlements de litiges concernant des brevets pharmaceutiques en vertu de la disposition sur les complots criminels comprise à l’article 45 de la Loi.
La mise à jour traite de la conduite des trolls de brevets, uniquement en ce qui a trait aux « allégations fausses ou trompeuses ». La mise à jour énonce le point de vue du Bureau selon lequel un troll de brevets qui envoie des milliers de lettres de mise en demeure à différentes entreprises affirmant que ces dernières ont enfreint les brevets du troll et exigeant le paiement d’un droit de licence afin d’éviter tout litige pourrait faire l’objet d’un examen aux termes des dispositions de la Loi en matière de publicité trompeuse. Ces dispositions comprennent une interdiction criminelle générale contre les indications fausses ou trompeuses (article 52), ainsi qu’une interdiction civile générale contre les pratiques commerciales trompeuses (article 74.01). Ces interdictions sont essentiellement semblables, sauf que pour qu’il soit conclu à la responsabilité aux termes de l’interdiction criminelle, il doit être démontré que l’indication a été donnée « sciemment ou sans se soucier des conséquences. » Dans les deux cas, il doit nécessairement être question d’une indication donnée au public en vue de promouvoir un produit, un service, ou des intérêts commerciaux et laquelle est fausse ou trompeuse sur un point important.
Selon la mise à jour, lorsque la preuve démontre que l’entreprise qui envoie les lettres de mise en demeure « faisait parvenir [c]es lettres aux entreprises à tort et à travers ou s’il lui était indifférent que les représentations [relatives à la prétendue contrefaçon de ses brevets] soient trompeuses, les fausses représentations avaient alors été faites sciemment ou avec témérité, de sorte qu’elles susciteraient des préoccupations en vertu des dispositions sur les affaires susceptibles d’examen et des dispositions criminelles de la Loi. »
La violation des dispositions criminelles de la Loi en matière de publicité trompeuse peut entraîner de sérieuses conséquences, y compris des amendes à la discrétion du tribunal et/ou des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans. Les conséquences résultant de la violation des dispositions civiles de la Loi en matière de pratiques commerciales trompeuses peuvent également être majeures. La Loi prévoit, entre autres, l’imposition d’une sanction pécuniaire administrative pouvant aller jusqu’à 10 millions $ pour une première infraction, et une sanction pouvant aller jusqu’à 15 millions $ pour chaque contravention subséquente de la Loi.
En ce qui a trait au règlement de litiges concernant des brevets pharmaceutiques, le Bureau propose l’approche suivante en matière d’application de la législation :
« i. une entente relative à une mise en marché séparée ([“c'est-à-dire un règlement [qui] n’implique pas que le fabricant du médicament de marque prenne en considération le fabricant du médicament générique d’une façon autre qu’en permettant l’accès sur le marché avant l’échéance du brevet”]) conformément à laquelle le fabricant de médicaments génériques accède au marché avant l’expiration du brevet ne contreviendra pas à la Loi...;
ii. un règlement assorti d’un paiement ([“c'est-à-dire une compensation au fabricant de médicaments génériques en plus de permettre l’accès du médicament générique sur le marché avant l’échéance du brevet”) avec le fabricant de médicaments génériques selon lequel ce dernier accède au marché avant l’expiration du brevet sera l’objet d’un examen conformément à l’article 90.1 […] ou peut-être à l’article 79, sauf dans les circonstances décrites au point (iii);
iii. un règlement peut faire l’objet d’un examen aux termes de l’article 45 seulement s’il y a des preuves que l’intention du paiement était de fixer les prix, de partager les marchés ou de limiter la production... »
Dans son explication du cadre analytique qui sous-tend cette approche, la mise à jour du Bureau indique que l’on prévoit que dans « la majorité des cas, le Bureau examinera un règlement en vertu de l’article 90.1 de la Loi parce que ce règlement ne serait pas perçu comme une entente entre des concurrents pour fixer les prix, partager les marchés ou limiter la production (une “entrave claire et nette” à la concurrence). » En outre, dans les cas précisés au point (ii), ci-dessus, la mise à jour mentionne que le but premier de l’examen mené par le Bureau aux termes de l’article 90.1 (ou de l’article 79) sera de déterminer si le paiement avait « pour but de retarder l’arrivée du médicament générique » et que si le Bureau conclut que le paiement en litige correspond de manière raisonnable (A) à la valeur marchande de tout bien ou service fourni par le fabricant de médicaments génériques; (B) à la gravité de l’exposition aux dommages selon l’article 8 pour la société innovatrice aux termes du RMBAC; (C) aux coûts restants que devra vraisemblablement assumer la société innovatrice sans règlement du litige [1][s1] « le Bureau serait porté à conclure que le règlement ne contrevient pas à la Loi. »
Dans les cas où le Bureau conclut que le montant du paiement était élevé au point où il avait « probablement pour but de retarder l’arrivée du médicament générique », la mise à jour indique qu’en évaluant la question visant à déterminer si le règlement a empêché ou diminué sensiblement la concurrence, le Bureau tiendrait alors compte des effets de l’arrivée retardée sur la concurrence, ainsi que des gains d’efficacité possibles découlant du règlement (dans le cas d’un examen en vertu de l’article 90.1) et des justifications d’ordre commercial possibles (dans le cas d’un examen aux termes de l’article 79) avant de décider s’il convient de chercher réparation auprès du Tribunal de la concurrence. En vertu de l’article 90.1, la seule réparation possible est une ordonnance interdisant le règlement. Aux termes de l’article 79 de la Loi, les réparations potentielles comprennent l’ordonnance d’interdiction ainsi que des sanctions pécuniaires administratives pouvant aller jusqu’à 10 millions $ (ou jusqu’à 15 millions $ dans le cas d’une deuxième violation ou d’une violation subséquente de la disposition).
Pour ce qui est de la possibilité que soit mené un examen visant de prétendus agissements criminels, la mise à jour indique que les « cas limités » dans lesquels un règlement risque d’être examiné aux termes de la disposition sur les complots criminels comprise à l’article 45 comprennent ceux où le règlement prévoit l’accès du médicament générique sur le marché après l’expiration du brevet et ceux où il existe « des preuves convaincantes selon lesquelles les deux parties ont reconnu que le brevet n’était pas valide ».
Selon la mise à jour, les activités des OEN augmentent les risques en matière de concurrence (y compris la possibilité de poursuites criminelles aux termes de l’article 45 de la Loi) en ce sens que les discussions entre les concurrents participant au processus d’établissement des normes peuvent donner lieu à des ententes dont l’objet est de fixer le prix de produits ou de services, ou à des « ententes abstraites en ce qui concerne les modalités des licences », ou dans la mesure où ces dernières peuvent « facilit[er] […] les discussions conjointes entre les membres au sujet des modalités des licences ».
En ce qui concerne les soi-disant brevets « extorsionnaires » et « embuscade tendue au moyen d’un brevet », la mise à jour indique que le défaut de divulguer des brevets essentiels au respect des normes, conjugué au fait que les responsables de la mise en œuvre de la norme font subséquemment l’objet d’un litige portant sur la contrefaçon en lien avec les brevets précédemment non divulgués peut engager la responsabilité en matière d’antitrust, aux termes de la disposition visant l’abus de position dominante figurant à l’article 79 de la Loi. Il en va de même dans le cas d’un manquement, par le titulaire d’un BERN, à l’égard d’un engagement à respecter des modalités justes, raisonnables et non discriminatoires, ce qui comprend le transfert du brevet grevé d’un engagement en matière de licence à une autre entreprise qui ne respecte pas l’engagement conclu par le titulaire précédent du brevet.
Quant à la question de déterminer si la législation en matière de concurrence impose certaines limites relativement au droit qu’ont les titulaires de BERN grevés d’un engagement juste, raisonnable et non discriminatoire de tenter d’obtenir une injonction lorsque leurs brevets sont prétendument contrefaits par les responsables de la mise en œuvre d’une norme, la mise à jour du Bureau affirme qu’il peut être approprié qu’un titulaire de BERN ayant un engagement en matière de licence tente d’obtenir une injonction « dans certains cas », y compris « lorsque l’éventuel détenteur de licence refuse de verser une redevance considérée comme étant juste, raisonnable et non discriminatoire par un tribunal ou un arbitre, ou lorsque l’éventuel détenteur de licence ne participe pas aux négociations entourant l’octroi d’une licence. » La mise à jour indique qu’en dehors des cas susmentionnés (et d’autres situations qui ne sont pas précisées), le Bureau se pencherait probablement sur une tentative par le titulaire d’un BERN grevé d’un engagement juste, raisonnable et non discriminatoire d’obtenir une injonction, en considérant qu’il s’agit d’un potentiel abus de position dominante aux termes de l’article 79.
Une fois finalisée, la mise à jour définira pendant bien des années l’approche du Bureau en matière d’application de la législation à des questions importantes et nouvelles (du moins au Canada) concernant la relation entre la PI et le droit de la concurrence. Il serait donc dans l’intérêt des entreprises qui risquent d’être touchées par les nouvelles lignes directrices et dans celui d’autres intervenants de songer sérieusement à participer au processus de consultation publique.
La date limite pour soumettre des commentaires au Bureau est le 10 août 2015.
1 Relativement aux coûts restants que devra vraisemblablement assumer la société innovatrice en lien avec le litige, la mise à jour précise que « les coûts restants que devra vraisemblablement assumer le fabricant de médicaments de marque sans règlement incluent les coûts prévus d’une autre contrefaçon de brevet et d’une demande reconventionnelle pour invalidation de brevet ainsi que les coûts causant potentiellement préjudice lors de la demande d’interdiction et des actions intentées en cas de violation ou d’invalidation. »
s1 Il faut lier le [1] à la note correspondante qui apparaît à la toute fin de l’article. Je ne sais pas comment faire
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