par Wally Braul, James H. Smellie, Maya Stano, et Mark Youden.

Résumé

Le 13 janvier 2016, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une décision et a donné des directives à l’égard d’une caractéristique commune des évaluations environnementales, c’est-à-dire l’harmonisation provinciale/fédérale des évaluations environnementales et leurs décisions correspondantes. L’affaire Coastal First Nations v British Columbia (Environment), 2016 BCSC 34 mettait en cause un « accord d’équivalence » de 2010 entre le Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique et l’Office national de l’énergie (tribunal de réglementation fédéral) relativement au projet d’oléoduc Northern Gateway (le « PNG »). Aux termes de cet accord, la province était censée supprimer l’exigence minimale selon laquelle « les projets sujets à examen », y compris le PNG, doivent obtenir un certificat d’évaluation environnementale pour être mis en œuvre; le certificat étant le document d’approbation définitif émis en vertu de la réglementation provinciale sur les évaluations environnementales de la Colombie-Britannique.

Bref, la Cour a affirmé que la province n’était pas autorisée à renoncer à ses fonctions de délivrance de certificats aux termes de l’accord d’équivalence. Car ce faisant, la province a restreint à tort sa capacité de consulter et de potentiellement accommoder les groupes autochtones touchés par une telle décision.

Par conséquent, la province est forcée de faire marche arrière et d’étudier la question à savoir si elle doit délivrer un certificat d’évaluation environnementale, avec ou sans ses « cinq conditions » largement publicisées pour le PNG (la province avait mis de l’avant ces cinq conditions lors de sa participation à titre d’intervenante dans le processus d’examen conjoint fédéral pour s’opposer au PNG). De plus, pour exécuter la déclaration de la Cour, la province devra consulter les communautés autochtones potentiellement touchées par les effets possibles de la délivrance d’un certificat.

Motifs d’examen

L’affaire consistait en un contrôle judiciaire lancé par deux groupes de requérants : les Premières Nations côtières – Great Bear Initiative Society et la Première Nation Gitg’at. Les requérants tentaient d’obtenir un jugement déclaratoire annulant, en partie, la clause de l’accord d’équivalence visant à supprimer l’obligation d’obtention d’un certificat pour les projets sujets à examen. Les déclarations étaient demandées pour deux motifs : 1) la réglementation de la Colombie-Britannique ne prévoit pas l’abdication de son pouvoir décisionnel, et 2) la Couronne de la Colombie-Britannique ne s’est pas acquittée de son obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones à l’égard de la disposition en cause de l’accord.

Décision quant à l’abdication des compétences

Pour situer l’affaire, la Environmental Assessment Act, SBC 2002, c 43 de la Colombie-Britannique stipule que les « projets sujets à examen » doivent obtenir un certificat. Les articles 27 et 28 permettent à la province d’éviter le double emploi et de coordonner son évaluation des projets sujets à examen avec le gouvernement fédéral et autres autorités réglementaires. L’accord d’équivalence a officialisé la coordination relative au PNG (et plusieurs autres projets, comme nous le verrons ci-dessous).

La Cour n’était pas préoccupée par le fait d’éviter le double emploi dans le cadre du processus réglementaire, soulignant que cet effort relevait habituellement du « fédéralisme coopératif ». Elle a néanmoins conclu qu’aux termes de la Environmental Assessment Act de la Colombie-Britannique, la province ne pouvait se soustraire entièrement à sa responsabilité ultime de prendre une décision relativement à un certificat. En d’autres termes, c’est une chose pour la province de se fier à un examen fédéral (ce qu’elle a fait ici), mais c’est une tout autre histoire lorsqu’elle tente de sortir du cadre de la Loi et de renoncer complètement à son pouvoir décisionnel en s’en remettant implicitement à la décision du fédéral (lequel a approuvé le PNG sous réserve de 209 conditions en 2014).

La Cour s’est penchée attentivement sur les pouvoirs constitutionnels respectifs de la province et du gouvernement fédéral au moment de réglementer le PNG. La Cour a souligné que la province dispose habituellement d’un droit constitutionnel pour réglementer les impacts environnementaux au sein de ses frontières provinciales, ce qui comprend la protection des intérêts sociaux, culturels et économiques sur ses terres et ses eaux. La Cour a commenté que sans le maintien de son droit de prendre une décision relative au certificat du PNG, la province ne disposerait plus de mécanisme pour veiller à respecter ses objectifs pressants et valides ainsi que ses responsabilités de compétence provinciale. Au bout du compte, la Cour a conclu au paragraphe 170 que le « Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique doit conserver une part de son pouvoir discrétionnaire relativement à tous les projets qui ont le potentiel de toucher la province. Il est crucial de parvenir à atteindre cet équilibre. » [TRADUCTION] À ce titre, la Cour a déclaré l’accord invalide dans la mesure où il visait à éliminer la nécessité d’obtenir un certificat.

La Cour a également rejeté sans équivoque les arguments du PNG voulant que la nature intergouvernementale du projet implique une compétence fédérale exclusive ou absolue qui le soustrait à la loi provinciale. La Cour a fait valoir que les lois fédérales en question sont simplement permissives en ce sens que le PNG a le droit de procéder du moment qu’il se conforme aux conditions fédérales. La Cour a également énoncé que (dans le paragraphe 71) « si [la Colombie-Britannique] choisit d’émettre des conditions supplémentaires, les lois provinciales seront également permissives du moment que la conformité à certaines conditions ou à des conditions plus restreintes seront respectées. » [TRADUCTION] La question qui demeure en suspens, donc, est la question à savoir si les clauses d’un futur certificat pourraient être à ce point exigeantes qu’elles « interdisent » effectivement le PNG et l’emportent sur la compétence fédérale. Il est à noter cependant que des clauses aussi sévères pourraient être neutralisées par des arguments constitutionnels fondés sur la doctrine de la prépondérance en faveur du gouvernement fédéral.

Décision relative à l’obligation de consulter

La Colombie-Britannique a omis de consulter les requérants avant de conclure l’accord – elle n’a répondu aux plaintes des requérants au sujet de l’accord qu’après que le PNG a reçu l’approbation fédérale. Les requérants ont fait valoir que la Couronne provinciale avait l’obligation de consulter les Premières Nations avant de conclure l’accord. La Cour a maintenu que la province n’avait pas d’obligation de consulter au moment de considérer l’exécution de l’accord.

Un deuxième argument s’est avéré plus favorable aux requérants. Cet argument était que la province avait failli à son devoir de consulter relativement à la demande des requérants de mettre fin à l’accord (la fin de l’accord étant un droit dont pouvait se prévaloir la province aux termes de ce dernier). En acceptant la position des requérants, la Cour a souligné que chaque Couronne – provinciale et fédérale – doit consulter les Premières Nations quant à la manière dont leurs compétences respectives peuvent toucher les garanties constitutionnelles accordées aux Autochtones. Alors que les oléoducs interprovinciaux et internationaux relèvent de compétences fédérales, la province conserve des compétences provinciales considérables en ce qui a trait à des questions qui pourraient tout de même toucher au PGN, et l’exercice de ce pouvoir pourrait être assujetti à l’obligation de consulter et de peut-être accommoder les groupes autochtones. La Cour a tranché que le défaut de la province de consulter relativement à la fin de l’accord était une violation du principe d’honneur de la Couronne.

Conséquences plus vastes

Le raisonnement et la décision sembleraient toucher plus largement tous les projets en Colombie-Britannique en attente d’approbation aux termes de l’accord d’équivalence. Les autres projets assujettis à l’accord d’équivalence contesté comprennent le projet d’expansion d’oléoduc Trans Mountain (Kinder Morgan Canada), le projet Dawson (Westcoast Energy Inc.), l’usine de traitement du gaz Fort Nelson North (Westcoast Energy Inc.) et le projet Horn River Project (Nova Gas Transmission Ltd.)1. Il est clair en effet que la déclaration de la Cour ne se limite pas uniquement au PNG, mais juge l’accord lui-même invalide « dans la mesure ou il vise à supprimer la nécessité d’obtenir un [Certificat d’évaluation environnementale] » aux termes de ce dernier.

Cette décision ne porte pas nécessairement un coup fatal à l’objectif d’harmonisation des évaluations environnementales, mais il est probable que les autorités d’évaluation environnementale provinciales seront plus prudentes lorsqu’on leur demandera de renoncer à leurs pouvoirs décisionnels – et à leurs obligations de consultation auprès des Autochtones y afférentes – dans le cadre d’évaluations fédérales. L’inverse est également vrai; la même leçon s’appliquant au gouvernement fédéral qui se fie à des évaluations provinciales.


1 Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique, accord et liste des projets (consulté le 14 janvier 2016), en ligne : http://www.eao.gov.bc.ca/EAO_NEB.html. (en anglais seulement)