Lors de la Conférence sur la fiscalité internationale d’avril 2017 de l’Association fiscale internationale canadienne, un représentant du ministère des Finances (le « ministère ») a une fois de plus confirmé que le Canada a bel et bien l’intention d’adopter la Convention multilatérale pour la mise en œuvre de mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (l’instrument multilatéral, soit l’« IM ») de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE »). En particulier, si la procédure le permet, le Canada, à l’instar de plusieurs autres pays, prévoit signer l’IM lors de la cérémonie officielle de l’OCDE qui aura lieu le 7 juin prochain, à Paris. Le ministère a aussi profité de l’occasion pour présenter son scénario de la meilleure éventualité quant à l’échéancier de la ratification et de l’entrée en vigueur de l’IM dans le cas où les partenaires du Canada à la convention fiscale adoptent eux aussi l’IM en temps opportun. Si l’on se fie à ce scénario, l’IM pourrait entrer en vigueur au plus tôt le 1er janvier 2019 en ce qui a trait aux retenues fiscales (p. ex., les retenues fiscales sur dividendes), et dans la première période imposable suivant le mois de juin 2019 (p. ex., le 1er janvier 2020, pour un contribuable dont l’exercice financier correspond à l’année civile) quant à tous les autres types d’impôts.

Le Canada était membre du Groupe ad hoc qui a élaboré l’IM et avait déjà annoncé dans le budget de 2017 qu’il entendait le signer et mettre en œuvre les processus nationaux nécessaires pour assurer son entrée en vigueur. L’annonce d’avril constitue la première directive du ministère quant à l’échéancier de la mise en œuvre de ces mesures. Cependant, le ministère a fait savoir que le processus de ratification pourrait être retardé selon que ces mesures sont mises en œuvre ou non, et selon la rapidité à laquelle cette mise en œuvre s’effectue par le gouvernement et le Parlement.

L’entrée en vigueur de l’IM pourrait avoir d’importantes répercussions sur les conventions fiscales du Canada avec les autres pays qui le ratifient. Une fois entré en vigueur, l’IM modifiera effectivement les conventions fiscales bilatérales existantes avec d’autres pays signataires en vue de mettre en œuvre les mesures pour contrer l’érosion de la base et le transfert de bénéfices (« BEPS »). L’objectif de l’IM est de mettre en œuvre l’action 2 des BEPS  (neutraliser les effets des dispositifs hybrides), l’action 6 (empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales), l’action 7 (empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable ou « ES ») et l’action 14 (accroître l’efficacité des mécanismes de règlements de différends) dans les conventions fiscales existantes sans que ne soit nécessaire le recours aux négociations bilatérales avec chacune des parties aux conventions fiscales  du Canada.

Comme tel, l’IM ne constitue pas un protocole d’amendement d’une convention fiscale canadienne particulière, mais opérera plutôt de concert avec ce type de conventions en vue de remplacer, modifier ou compléter leurs dispositions, à la fois selon les choix du Canada quant à l’IM, de même qu’en ce qui a trait aux choix parallèles des pays parties à des conventions fiscales existantes avec le Canada qui adopteront aussi l’IM. Au moyen d’un processus de réserves, le Canada doit choisir laquelle de ses conventions fiscales sera couverte par l’IM (connues sous le nom de conventions fiscales couvertes ou « CFC ») et quelles dispositions de l’IM s’appliqueront à chaque CFC. Pour plus de certitude, le Canada et les autres signataires doivent aussi déterminer quels articles existants dans chaque CFC seront remplacés ou modifiés par l’IM (ce que l’on appelle la formulation d’une notification). Ces articles seront modifiés par l’IM uniquement dans le cas où les deux pays donnent leur accord; en effet, toute incompatibilité devra être négociée par ces derniers.

Les pays qui adoptent l’IM sont tenus d’adopter deux dispositions seulement (connues sous le nom de normes minimales) : la disposition contre l’utilisation abusive des conventions, ainsi que la procédure à l’amiable (l’arbitrage). Malgré cela, les pays peuvent se prévaloir d’options quant aux manières de respecter ces normes minimales. Les autres dispositions de l’IM qui traitent de l’évitement artificiel du statut d’établissement stable par des accords de commissionnaires et l’abus des exemptions applicables à certaines activités spécifiques, et de l’utilisation de dispositifs hybrides ou de coopérations triangulaires pour obtenir des avantages conférés par des traités sont optionnelles. Jusqu’à présent, le ministère n’a pas divulgué lesquelles des mesures de l’IM il adoptera, et quelle configuration d’options il choisira. Cependant, si l’on se fie à l’engagement pris dans le budget 2016 visant à régler la question de l’utilisation abusive de conventions fiscales dans le respect de la norme minimale du projet BEPS, on prévoit que le Canada adoptera la norme minimale contre l’utilisation abusive de conventions fiscales de l’IM.

Cette norme minimale contre l’utilisation abusive de conventions fiscales requiert l’adoption de deux mesures. Premièrement, le Canada doit préciser que l’objet de ses conventions fiscales est d’éliminer la double imposition sans créer des possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite par l’intermédiaire de l’évasion fiscale ou de l’évitement fiscal, y compris le chalandage fiscal.

Deuxièmement, le Canada devra adopter une des deux approches relatives aux règles contre l’utilisation abusive de conventions fiscales : une règle générale contre l’utilisation abusive (la règle du critère des objets principaux) ou une règle détaillée contre l’utilisation abusive, soit la règle de limitation des avantages (limitation of benefits ou « LOB »). La règle du critère des objets principaux établit généralement que les avantages d’un traité seront refusés à une partie lorsque l’un des objets principaux d’un dispositif vise l’obtention d’un avantage qui serait refusé à la lumière des objectifs des dispositions pertinentes de la convention. La règle de la LOB exige de respecter une série de critères afin d’avoir droit aux avantages conférés par les conventions fiscales. Selon les consultations tenues dès 2013 sur les règles d’évitement du chalandage fiscal, lesquelles comprenaient la prise en compte d’une règle nationale anti-chalandage fiscale similaire à la règle du critère des objets principaux (qui a été abandonnée en faveur de l’approche de l’IM de l’OCDE), nous croyons que le Canada adoptera probablement la règle du critère des objets principaux.

Nous verrons sans doute beaucoup plus clair quant à l’incidence de l’IM si le Canada participe à la cérémonie de signature du 7 juin 2017, puisque les signataires sont requis d’y fournir une liste préliminaire de notifications et de réserves. Cette liste ne sera finalisée qu’au moment où la ratification sera terminée.

Suivant la signature, le Canada devra procéder à la ratification de l’lM. Pour ce faire, il devra d’abord déposer l’IM à la Chambre des Communes pour une période de 21 jours de séance parlementaire. Dans ce scénario hypothétique, le ministère a indiqué que c’est probablement au début octobre 2017 au plus tôt que le dépôt aura lieu, ce qui signifie que la période de 21 jours prendrait fin en novembre 2017. Un projet de loi sera ensuite élaboré pour enchâsser l’IM dans la législation et il pourrait être introduit à la fin 2017 ou au début 2018. Il fera alors l’objet de débats à la Chambre des Communes et au Sénat, en plus d’être examiné par les Comités de la Chambre des Communes et du Sénat pertinents. Une fois que le projet sera adopté par les deux Chambres, il devra obtenir la sanction royale, ce qui, selon le scénario du ministère, se déroulerait vers le milieu de l’année 2018.

Dans le meilleur des cas, le Canada pourrait ensuite donner une notification à l’OCDE quant à sa ratification de l’IM vers le mois d’août 2018. En présumant que la condition préalable imposée par l’IM selon laquelle quatre autres pays ont formulé leur notification en même temps est respectée, l’IM entrerait en vigueur au Canada trois mois civils plus tard (p. ex., autour du 1er décembre 2018). Comme susmentionné, les dispositions de l’IM entreraient en vigueur comme suit : i) en ce qui a trait aux retenues fiscales, le premier jour de la prochaine année civile (p. ex., le 1er janvier 2019), et ii) à l’égard de tous les autres impôts, pour les périodes imposables commençant après juin 2019 (p. ex., le 1er janvier 2020, pour un contribuable dont la période imposable correspond à l’année civile).

Contrairement à certains de ses homologues (p. ex., l’Australie et la Nouvelle-Zélande), le Canada n’a pas indiqué s’il a l’intention de solliciter des commentaires du public quant aux répercussions de l’IM. S’il devait se livrer à cet exercice, cette procédure pourrait être très accaparante en raison de son impressionnant réseau de conventions fiscales et l’échéancier optimal établi par le ministère pourrait s’avérer un peu trop optimiste. De plus, l’IM ne s’appliquerait qu’à des cas où le Canada et son partenaire de convention ont adopté l’IM de manière uniforme.

Sur le plan pratique, les contribuables disposant de structures internationales entrantes ou sortantes qui se prévalent d’avantages conférés par une ou plusieurs conventions fiscales bilatérales, se doivent de suivre de près ces développements, mais ils ne seront pas à même d’en mesurer complètement les répercussions avant de connaître les choix du Canada et de ses homologues. En présumant que le Canada atteint son objectif de participer à la cérémonie de signature du 7 juin prochain, il sera possible de recueillir plus de renseignements détaillés quant à l’incidence potentielle de l’IM dans un contexte canadien à partir du processus de réserves et des approches préliminaires que le Canada doit fournir.

Gowling WLG demeurera à l’affût des derniers développements en la matière et vous les communiquera au fur et à mesure.