Alexandre Forest
Associé
Article
Cet article a initialement été publié le 16 août 2017 dans LA REFERENCE, Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters.
II– LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE
III– LA DÉCISION DE LA COUR D'APPEL
IV– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEUR
A. L'application jurisprudentielle
L'auteur présente ici une revue jurisprudentielle et doctrinale de l'impact qu'a eu la décision de la Cour d'appel du Québec dans 9183-7708 Québec inc. c. Soltron Realty Inc., décision qui a non seulement permis la révision en détail des concepts fondamentaux derrière la délégation de paiement et, dans une moindre mesure, l'action oblique, mais qui a aussi offert un mode d'emploi procédural aux locateurs commerciaux aux prises avec le défaut d'un sous-locataire franchisé et sa relation avec le locataire franchiseur.
La décision de la Cour d'appel dans 9183-7708 Québec inc. c. Soltron Realty Inc. 1 a répondu de manière détaillée à plusieurs questions se posant dans le cadre de la relation tripartite entre un locateur commercial, une franchise agissant à titre de locataire et un franchisé sous-louant les lieux. Le modèle n'est pas nouveau. En effet, il est fréquent de constater qu'un franchiseur, afin de garder un contrôle sur les lieux loués pour un franchisé, incorporera une entreprise
« intermédiaire » n'ayant pas d'actifs pour la seule fin d'agir à titre de locataire des lieux loués, concluant de manière concomitante un contrat de sous-location avec son franchisé qui est celui qui aura la véritable relation avec le locateur. Cette structure avait l'avantage d'effectivement permettre un certain contrôle du franchiseur sur les lieux loués, mais permettait en plus au franchiseur de conserver ce contrôle tout en faisant assumer les risques de défaut du sous-locataire par l'entreprise « intermédiaire » susmentionnée. La décision Café Vienne est venue, en quelque sorte, sonner le glas de ce double avantage des franchiseurs en rétablissant l'équilibre entre ces derniers et les locateurs commerciaux.
Suivant une révision détaillée de la décision Café Vienne ainsi que du jugement de la Cour supérieure dans la même cause, l'auteur se penchera ensuite sur l'accueil de cette décision par la jurisprudence comme par la doctrine avant d'émettre brièvement sa propre opinion de la décision en conclusion.
Les appelantes sont sept franchisées (les « appelants ») de Groupe Café Vienne 1998 inc.
(le « franchiseur ») avec qui elles ont toutes signé des contrats de franchise. Elles exploitent leurs commerces dans des locaux dont la locataire est Café Vienne Canada inc. (le « locataire ») avec qui elles ont toutes signé des contrats de sous-location. Le franchiseur et le locataire sont des sociétés distinctes, mais elles sont liées.
Le franchiseur gère un système de franchises auquel ont souscrit les appelantes au moyen de contrats de franchise. Le locataire est une coquille corporative par laquelle le franchiseur s'assure un contrôle sur les locaux dans lesquels ses franchisées exercent leurs activités sous sa bannière. Le locataire loue ainsi des locaux qu'il place à la disposition des franchisées au moyen de contrats de sous-location. Les franchisées doivent signer ces contrats de sous-location en même temps que leurs contrats de franchise.
Ces contrats de sous-location prévoient que les appelantes doivent acquitter les loyers et les autres obligations prévus aux baux principaux intervenus entre le locataire et les propriétaires en cause. Les clauses 4, 6, 9.1, 9.2 et 10 des contrats de sous-location stipulent en effet ce qui suit :
4. Le Sous-Locataire [la franchisée] devra payer directement au Sous-Locateur
[Le Locataire], à toutes et chacune des années pendant la durée de ce Sous-Bail, à titre de loyer pour l'Emplacement, sans déduction ou compensation, tout loyer, loyer additionnel, T.V.Q., T.P.S. et tous les autres montants payables par le Sous-Locateur
[Le Locataire] en vertu du Bail Principal.
6. Il est entendu que le Sous-Bail opérera comme un bail net-net, exempt de tout paiement, charge, taxe, et obligation pour le Sous-Locateur, le Sous-Locataire devant défrayer tous les coûts, dépenses, taxes, charges, loyers, loyers additionnels, T.V.Q., T.P.S. et tous les autres montants payables en vertu du Bail Principal.
9. Le Sous-Locataire convient :
9.1 de payer le loyer et tous les autres montants dus en vertu du Bail Principal tel que ci-haut mentionné ;
9.2 d'exécuter toutes et chacune des obligations du Sous-Locateur en vertu des dispositions du Bail Principal et de tenir le Sous-Locateur entièrement et complètement indemne de toutes poursuites, réclamations, dépenses et demandes relatives à toutes et chacune desdites obligations ;
0. Le Sous-Locataire convient d'être lié par le Bail Principal et reconnaît que toutes les clauses dudit Bail Principal liant le Sous-Locateur en tant que locataire font partie intégrante du présent Sous-Bail, les clauses s'appliquant mutatis mutandis au Sous-Locataire.
Ces contrats sont ambigus quant au versement du loyer de la sous-location. L'article 4 prévoit en effet que le loyer est payé « directement au Sous-Locateur ». Par contre, les clauses 9.1 et 9.2 prévoient que chacune des appelantes s'engage à payer le loyer du bail principal et à exécuter les obligations du locataire en vertu du bail principal, ce qui implique que chacune d'elles doit payer le loyer directement au propriétaire en cause.
Dans les faits, le locataire a toujours exigé des appelantes qu'elles versent les loyers directement aux propriétaires avec lesquels elle a signé les baux principaux. Les appelantes ont d'ailleurs toujours obtempéré à cette exigence, assumant ainsi les obligations du locataire en vertu des baux principaux, comme le prévoient d'ailleurs les clauses 9.1, 9.2 et 10 des contrats de sous-location.
Préalablement aux procédures en cause dans la présente affaire, le locataire a loué de Soltron Realty inc. (le « locateur ») des locaux commerciaux situés au centre-ville de Montréal. Selon les pratiques commerciales habituelles du locataire (et celles vastement répandues dans le domaine de la franchise), il a alors sous-loué ces locaux commerciaux à une franchisée de Groupe Café Vienne. Comme toutes les autres franchisées, cette franchisée payait directement le loyer de ces locaux commerciaux au locateur. Le contrat de franchise fut résilié et la franchisée n'a pas payé son loyer. Le locateur s'est donc tourné vers le locataire, qui a refusé de payer.
Le 17 octobre 2012, le locateur a obtenu un jugement de la Cour supérieure condamnant solidairement la franchisée en cause et le locataire à lui payer 63 739,80 $ à titre de loyers avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. 2. La Cour a rejeté l'appel de ce jugement le 4 février 2013 3.
Le locateur ne peut exécuter ce jugement à l'encontre de la franchisée en cause et le locataire refuse de l'exécuter au motif qu'il n'a pas les moyens de le satisfaire.
Le 12 avril 2013, le locateur procède donc à l'interrogatoire après jugement d'un représentant du locataire conformément à l'article 543 de l'ancien Code de procédure civile (« ancien C.p.c. »). Ce dernier s'oppose alors à la communication des contrats de sous-location qui le lient aux franchisées. La Cour supérieure rejette cette opposition le 22 mai 2013.
Le 10 juin 2013, les appelantes signent avec le locataire des ententes (les « Ententes ») prévoyant que la clause 4 des contrats de sous-location les concernant serait remplacée par ce qui suit :
Le Sous-Locataire [la franchisée] devra payer directement au Locateur principal des lieux loués, à toutes et chacune des années pendant la durée de ce sous-bail, à titre de loyer pour l'Emplacement, sans déduction ou compensation, tout loyer, loyer additionnel, TPS et TVQ et tous les autres montants payables par le Sous-Locateur [Le Locataire] en vertu du Bail Principal.
Selon les déclarations sous serment souscrites par les représentants des appelantes, ces ententes modificatrices visaient à rendre conforme l'article 4 des contrats de sous-location avec le fait que les appelantes ont toujours payé les loyers directement aux propriétaires des lieux loués.
Le 20 juin 2013, le locataire communique au locateur les contrats de sous-location ainsi que les ententes du 10 juin 2013 qui les modifient.
Le locateur procède alors à une saisie-arrêt entre les mains des appelantes afin de saisir les loyers de la sous-location payables au locataire en vertu des contrats de sous-location.
Les 2, 3 et 4 juillet 2013, les appelantes produisent des déclarations négatives alléguant qu'elles ne détiennent pas de sommes ni de meubles appartenant au locataire ou pouvant lui appartenir plus tard.
Le 8 juillet 2013, le locateur conteste ces déclarations négatives et demande que les Ententes soient déclarées inopposables à son égard conformément à l'article 1631 C.c.Q.
Le 7 avril 2014, le locateur assigne le franchiseur puisqu'il souhaite exercer, au moyen de l'action oblique prévue aux articles 1627 et suivants C.c.Q., le droit du locataire de réclamer aux appelantes, à titre de loyers, les sommes qu'elles doivent au franchiseur à titre de redevances de franchise. À cet effet, le locateur invoque la clause 12 des contrats de sous-location qui lient les appelantes et le locataire, laquelle stipule que toutes sommes dues en vertu des contrats de franchise intervenus entre les appelantes et le franchiseur sont réputées être du loyer en vertu des contrats de sous-location. La clause stipule aussi que ces sommes peuvent être réclamées en vertu de ces contrats de sous-location :
12. Il est convenu que tous les termes, obligations, conditions, dispositions, droits et recours énoncés dans le Bail Principal et dans le contrat de Franchise s'appliquent mutadis mutandis au présente [sic] Sous-Bail.
De plus, il est convenu que toutes sommes dues en vertu du Contrat de franchise sont réputées être du loyer en vertu du présent sous-bail et pourront être réclamées en vertu de ce sous-bail.
L'honorable Benoît Emery, j.c.s., conclut que les appelantes auraient dû produire des déclarations affirmatives. Il est d'avis que le fait que les loyers sont payés directement aux propriétaires ne modifie pas les obligations contractuelles des appelantes envers le locataire découlant des contrats de sous-location, dont l'obligation de verser les loyers des contrats de sous-location. Il ajoute que le fait pour les propriétaires d'accepter ces paiements ne libère pas non plus le locataire de ses obligations envers les propriétaires en vertu des baux principaux.
Le juge énonce qu'il ne peut adhérer à un stratagème consistant pour le franchiseur à interdire à ses franchisées de conclure un contrat de location directement avec les propriétaires des immeubles tout en opposant à ces propriétaires le fait que le locataire n'est jamais tenu de payer les loyers découlant des baux principaux qu'il a conclus avec eux. Selon le juge, « [d]écider autrement serait cautionner une structure corporative selon laquelle [le locataire] ne serait jamais redevable envers les propriétaires de qui elle loue des locaux destinés aux franchisés de la bannière Café Vienne ».
Le juge décide aussi que « les ententes signées le 10 juin 2013 visent sciemment à mettre
[le locataire] à l'abri de l'exécution du jugement rendu le 17 octobre 2012 », de sorte qu'elles ne sont pas opposables au locateur.
En conséquence, le juge accueille la contestation du locateur, valide les saisies en mains tierces pratiquées entre les mains des appelantes, déclare inopposables à l'égard du locateur les Ententes et ordonne que les appelantes paient à cette dernière, dans les 30 jours de son jugement, « tous les loyers qu'elles devront à Café Vienne Canada inc. en vertu de leurs baux de sous-location jusqu'à concurrence des sommes dues en capital, intérêts et frais par le Locataire inc. en exécution du jugement rendu [...] le 17 octobre 2012 ».
La Cour d'appel débute par l'analyse de l'appel principal des appelantes en ce qui a trait à leur déclaration négative et à leur argumentaire selon laquelle le locateur, à titre de créancier du locataire, ne pouvait saisir les loyers des contrats de sous-location en raison du lien juridique direct qui unit les propriétaires aux appelantes pour le paiement du loyer. Elles invoquent, en plus du fait que le juge de première instance aurait erré en fondant son jugement presque entièrement sur son appréciation négative de la structure corporative du franchiseur, deux moyens d'appel :
Repoussant rapidement les allégations quant à l'opinion du juge Emery sur la structure corporative du franchiseur en soulignant que ce dernier avait plutôt critiqué avec raison les Ententes, la Cour d'appel se penche sur l'analyse de l'article 1874 C.c.Q. :
1874. Lorsqu'une action est intentée par le locateur contre le locataire, le sous-locataire n'est tenu, envers le locateur, qu'à concurrence du loyer de la sous-location dont il est lui-même débiteur envers le locataire ; il ne peut opposer les paiements faits par anticipation.
Le paiement fait par le sous-locataire soit en vertu d'une stipulation portée à son bail et dénoncée au locateur, soit conformément à l'usage des lieux, n'est pas considéré fait par anticipation.
Les appelantes soutiennent que l'article 1874 C.c.Q. serait une fin de non-recevoir à la saisie-arrêt du locateur.
La Cour d'appel précise toutefois que l'action du propriétaire contre le sous-locataire pour le paiement du loyer est, au Québec comme en France, qualifiée d'« action directe ». Cependant, le sous-locataire ne cesse d'être le débiteur du locataire pour devenir celui du locateur qu'au moment où l'action directe du locateur contre le sous-locataire est mise en oeuvre. Cette action est mise en oeuvre, selon le libellé de l'article 1874 C.c.Q., « [l]orsqu'une action est intentée par le locateur contre le
locataire », ce qui suppose que le loyer de la location principale est échu et que le locataire est en défaut de le payer. Ainsi, dès que le locateur intente une action contre le locataire et qu'il en notifie le sous-locataire, il y a, à l'égard du sous-locataire, novation par changement de créancier.
Du fait que l'action directe est une action personnelle du créancier (ici, les propriétaires) contre le tiers (ici, les appelantes), le produit profite exclusivement au créancier qui l'a intentée, au lieu de tomber, comme c'est le cas dans l'action oblique, dans le patrimoine de son débiteur. L'action directe donne ainsi à son titulaire une forme de privilège par rapport aux autres créanciers.
En l'espèce, les appelantes, le locataire et le franchiseur soutiennent qu'en raison de l'article 1874 C.c.Q., la créance du locataire contre le sous-locataire pour le paiement des loyers de la sous-location ne pourrait faire l'objet d'une saisie-arrêt pendant toute la durée de la sous-location parce qu'elle serait d'emblée affectée à la satisfaction de l'action directe du locateur contre le sous-locataire. Or, tel n'est pas le cas.
La doctrine française qualifie l'action directe du bailleur contre le sous-locataire d'action directe « imparfaite » puisque la créance du locataire contre le sous-locataire n'est pas affectée à la satisfaction de l'action directe du bailleur. À cet égard, il est utile de noter que l'article 637 de l'ancien C.p.c. prévoyait que la saisie-arrêt confirmée par un jugement de validité opère cession de la créance du saisi en faveur du saisissant. L'action directe n'est donc efficace que si elle est mise en oeuvre avant ou pendant que la saisie-arrêt en est encore à sa phase conservatoire, c'est-à-dire avant le jugement de validité.
En l'espèce, les saisies-arrêts ont été validées par le jugement de première instance. Si ce jugement était maintenu par cet appel, il y aurait alors cession des loyers de la sous-location au profit du locateur à compter du jour de la saisie. Or, en l'occurrence, aucun des propriétaires des immeubles n'a mis en oeuvre son action directe avant ce jugement.
Qu'en est-il justement de la validité des saisies-arrêts auxquelles les appelantes opposent la délégation de paiement ?
La délégation de paiement visée aux articles 1667 à 1670 C.c.Q. est une opération tripartite par laquelle une personne, le délégant, obtient d'une autre personne, le délégué, qu'elle s'engage personnellement envers une tierce personne, le délégataire :
1667. La désignation par le débiteur d'une personne qui paiera à sa place ne constitue une délégation de paiement que si le délégué s'oblige personnellement au paiement envers le créancier délégataire ; autrement, elle ne constitue qu'une simple indication de paiement.
1668. Le créancier délégataire, s'il accepte la délégation, conserve ses droits contre le débiteur délégant, à moins qu'il ne soit évident que le créancier entend décharger ce débiteur.
1669. Le délégué ne peut opposer au délégataire les moyens qu'il aurait pu faire valoir contre le délégant, même s'il en ignorait l'existence au moment de la délégation.
Cette règle ne s'applique pas, si, au moment de la délégation, rien n'est dû au délégataire, et elle ne préjudicie pas au recours du délégué contre le délégant.
1670. Le délégué peut opposer au délégataire tous les moyens que le délégant aurait pu faire valoir contre le délégataire.
Le délégué ne peut, toutefois, opposer la compensation de ce que le délégant doit au délégataire, ni de ce que le délégataire doit au délégant.
La délégation peut être « parfaite » ou « imparfaite ».
La délégation parfaite est celle ayant pour effet de libérer le débiteur délégant à l'égard du délégataire avec pour conséquence que ce dernier n'a plus de recours contre le délégant dans l'hypothèse où le délégué ne paierait pas : le délégué est son seul et unique débiteur.
Au contraire, la délégation imparfaite n'a pas pour effet de libérer le délégant à l'égard du délégataire, le délégué s'ajoutant au délégant comme débiteur du délégataire.
C'est surtout dans le cas de figure où préexiste un lien contractuel entre le délégant et le délégataire, de même qu'entre le délégant et le délégué, qu'intervient le mécanisme de la délégation de paiement. Un tel cas de figure se présente en l'espèce.
En général, c'est le délégant qui se trouve à l'origine de la délégation de paiement. En effet, la délégation naît d'un contrat intervenant entre le délégant et le délégué, dans lequel le délégant « désigne » le délégué afin qu'il paie sa dette à sa place. La délégation suppose donc le consentement du délégant puisque c'est lui qui prend l'initiative de l'opération. Le consentement du délégué est bien sûr indispensable puisqu'il doit personnellement s'engager envers le délégataire. C'est d'ailleurs une exigence expressément formulée à l'article 1667 C.c.Q.
La question du consentement du délégataire pose plus de difficultés. Si le consentement du délégataire est requis en cas de délégation parfaite, puisqu'il perd alors le bénéfice de l'exécution de sa créance contre le délégant, la doctrine n'est pas unanime à dire qu'il est requis en cas de délégation imparfaite puisque le délégataire ne subit aucun préjudice de l'ajout du délégué à titre de débiteur additionnel.
Quoi qu'il en soit, il semble admis que l'acceptation par le créancier délégataire du nouveau débiteur délégué puisse se faire de quelque manière que ce soit, par un acte ou autrement. Aucune formalité particulière n'est requise, ni pour la validité d'une délégation de paiement, ni même pour son opposabilité aux tiers.
Considérant ces principes juridiques, la Cour d'appel convient qu'il apparaît du dossier que des délégations de paiement sont intervenues en l'espèce puisque le locataire (ici, le débiteur délégant) a donné ordre aux appelantes (ici, les déléguées) de payer les loyers directement à ses propres créanciers, propriétaires des immeubles (ici, les délégataires) et que tant les appelantes que les propriétaires ont acquiescé. Ces délégations de paiement découlent ici de deux sources, soit principalement des contrats de sous-location, mais aussi des pratiques et usages commerciaux des parties. En effet, en vertu des clauses 9 et 10 des contrats de sous-location, les appelantes ont convenu d'être liées par les baux principaux, de payer les loyers exigibles du locataire en vertu de ces baux principaux, et d'exécuter toutes et chacune des obligations du locataire en vertu de ceux-ci. Ces obligations souscrites par les appelantes ne sont pas niées par la clause 4 des contrats de sous-location, laquelle dispose que les loyers de la sous-location sont payables directement au locataire. En effet, c'est précisément le propre d'une délégation imparfaite de paiement de faire en sorte que le délégué (ici, les appelantes) soit tenu à la même prestation à la fois envers le délégataire (ici, les propriétaires) et envers le délégant (ici, le locataire), ce dernier renonçant par la délégation à exiger le paiement de sa créance.
Dans la mesure où il persiste une ambiguïté sur l'intention des parties de conclure une délégation de paiement dès la signature des contrats de sous-location, celle-ci est résolue par l'acquiescement des appelantes à assumer les loyers des baux principaux en les versant directement aux propriétaires en cause, et ce, à la demande du locataire. Ces pratiques ou usages commerciaux peuvent d'ailleurs être pris en compte dans la recherche de l'intention commune des parties (art. 1426 C.c.Q.) et cela résout l'ambiguïté.
Bien que les appelantes, le locataire et le franchiseur soutiennent que les délégations de paiement intervenues en l'espèce sont parfaites, la Cour d'appel souligne que l'absence d'intention claire à cet effet est fatale et que les appelantes se sont donc ajoutées comme débitrices des propriétaires des immeubles et non qu'elles ont remplacé le locataire.
Quel a été l'effet des délégations imparfaites de paiement sur les créances du locataire contre les appelantes pour le paiement des loyers de la sous-location ?
Dans le cas de la délégation imparfaite de paiement qui nous concerne ici, la créance du délégant contre le délégué n'est ni éteinte ni cédée au délégataire. Il est bien établi que cette créance demeure dans le patrimoine du délégant : elle n'est éteinte qu'à l'instant de l'exécution, par le délégué, de son obligation nouvelle envers le délégataire.
Toutefois, la créance du délégant contre le délégué est-elle saisissable pendant la période où le délégué est tenu envers le délégataire ? Un créancier du délégant peut-il faire saisir-arrêter les sommes que le délégué « doit » au délégant ? Ni la jurisprudence ni la doctrine du Québec ne permettent de répondre clairement à cette question,
qui a toutefois déjà été tranchée en France par la Cour de cassation, Chambre commerciale, dans un arrêt rendu le 14 février 2006 4 qui illustre l'efficacité de la délégation imparfaite comme instrument de garantie dans le contexte du droit français des procédures civiles d'exécution.
Dans cette affaire, la Cour de cassation a été d'avis que « si la créance du délégant sur le délégué s'éteint seulement par le fait de l'exécution de la délégation, ni le délégant ni ses créanciers ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le délégataire, exiger le paiement ». Elle en conclut « que la saisie-attribution effectuée entre les mains du délégué par le créancier du délégant ne peut avoir pour effet de priver le délégataire, dès son acceptation, de son droit exclusif à un paiement immédiat par le délégué, sans concours avec le créancier saisissant ».
L'indisponibilité de la créance du délégant contre le délégué tient à ce que le délégant doit être considéré comme ayant renoncé à en exiger le paiement tant que le délégué est tenu envers le délégataire et n'est pas défaillant à l'égard de ce dernier, situation qui, sauf fraude, doit être considérée comme opposable aux tiers. Autrement dit, si la délégation imparfaite n'a pas pour effet d'éteindre immédiatement la créance du délégant contre le délégué, elle implique néanmoins que le délégant a renoncé à sa créance contre le délégué sous la condition résolutoire de l'inexécution par ce dernier de son obligation envers le délégataire et ne reste, dès lors, créancier que sous condition suspensive.
Tenant compte de ces principes — qui sont largement tirés du droit civil français et qui apparaissent à la Cour d'appel comme ne pouvant être écartés pour aucune raison valable en droit civil québécois —, la Cour est d'avis que les créances du locataire contre les appelantes pour le paiement des loyers des contrats de sous-location ne pouvaient faire l'objet d'une saisie-arrêt par le locateur dans les circonstances en cause dans ce dossier. Ces saisies-arrêts ne pouvaient être confirmées en raison des délégations imparfaites de paiement qui sont intervenues en l'espèce et qui ont eu pour effet de rendre indisponibles à la saisie-arrêt les sommes que les appelantes « doivent » au locataire à titre de loyers de la sous-location tant que les appelantes, à titre de déléguées du locataire, n'étaient pas en défaut de payer les loyers aux propriétaires délégataires.
Ces sommes ne sont donc pas des sommes qui sont « dues ou qui devront être payées » au locataire au sens de l'article 625 de l'ancien C.p.c. portant sur la saisie-arrêt.
Suivant cette conclusion concernant l'appel principal, la Cour d'appel s'attaque ensuite à l'appel incident du locateur toujours pertinent : son action oblique doit-elle être accueillie afin que les appelantes soient condamnées à lui payer les sommes qu'elles doivent au franchiseur à titre de redevances de franchise ?
Le locateur constate en effet que le juge de première instance a examiné son action oblique, mais qu'il a omis d'en décider dans ses conclusions. Elle demande donc à la Cour d'accueillir cette action afin que les appelantes soient condamnées à lui payer les sommes qu'elles doivent au franchiseur à titre de redevances de franchise. Le locateur s'appuie sur la clause 12 des contrats de sous-location qui prévoit que les sommes dues en vertu des contrats de franchise sont réputées être du loyer et peuvent être réclamées par le locataire en vertu des contrats de sous-location.
L'action oblique est gouvernée par les articles 1627 à 1630 C.c.Q. :
1627. Le créancier dont la créance est certaine, liquide et exigible peut, au nom de son débiteur, exercer les droits et actions de celui-ci, lorsque le débiteur, au préjudice du créancier, refuse ou néglige de les exercer.
Il ne peut, toutefois, exercer les droits et actions qui sont exclusivement attachés à la personne du débiteur.
1628. Il n'est pas nécessaire que la créance soit liquide et exigible au moment où l'action est intentée ; mais elle doit l'être au moment du jugement sur l'action.
1629. Celui contre qui est exercée l'action oblique peut opposer au créancier tous les moyens qu'il aurait pu opposer à son propre créancier.
1630. Les biens recueillis par le créancier au nom de son débiteur tombent dans le patrimoine de celui-ci et profitent à tous ses créanciers.
Afin d'exercer l'action oblique, le créancier doit établir :
La Cour d'appel considère que toutes ces conditions sont remplies en l'espèce.
Tout d'abord, la créance de locateur découle d'un jugement de la Cour supérieure du 17 octobre 2012 qui fut confirmé par cette Cour. Il s'agit donc d'une créance certaine, liquide et exigible à l'égard du débiteur (le locataire).
En ce qui a trait au deuxième critère, à savoir l'existence du droit, la première phrase de cette clause 12 incorpore les baux principaux et les contrats de franchise dans les contrats de sous-location. La seconde phrase permet au sous-locateur, le locataire, d'exiger que les appelantes lui versent, à titre de loyers, les sommes que le franchiseur peut leur réclamer en vertu des contrats de franchise. La clause 12 des contrats de sous-location est donc une option qui ne concerne pas les appelantes tant que l'option n'est pas levée par le locataire. En effet, la preuve au dossier établit que les appelantes versent depuis toujours leurs redevances de franchise au franchiseur et non au locataire. La preuve révèle aussi que toutes les parties aux contrats de franchise et aux contrats de sous-location conviennent que la clause 12 des contrats de sous-location est une forme d'option qui, de fait, n'a pas été exercée à ce jour par le locataire.
Le litige concernant cette option porte sur les conditions requises afin de permettre au locataire de la lever. Le franchiseur et le locataire sont d'avis que l'option prévue à la clause 12 ne peut s'exercer qu'en cas de défaut des appelantes en vertu soit du contrat de franchise soit du contrat de sous-location. Or, la Cour d'appel est d'avis que la clause 12 des contrats de sous-location n'impose aucune condition préalable afin de permettre au locataire de lever l'option. Il s'agit là d'une option qui peut être levée à la seule discrétion au locataire.
L'accord du franchiseur n'est pas non plus nécessaire afin que le locataire puisse exercer le droit d'option que lui confère la seconde phrase de la clause 12.
Le locataire a donc le droit d'option lui permettant d'exiger que les appelantes lui versent, à titre de loyers, toutes les sommes qu'elles doivent au franchiseur en vertu des contrats de franchise. Bien sûr, ce droit pourrait s'exercer en cas de défaut, mais les contrats sont ainsi faits qu'il n'y a aucune condition préalable à l'exercice de ce droit par le locataire.
La Cour souligne que le franchiseur et le locataire ne peuvent frustrer leurs créanciers en invoquant des conditions préalables de défaut lorsqu'aucune telle condition préalable n'est effectivement énoncée.
En ce qui a trait aux troisième et quatrième critères de l'action oblique, le locataire refuse d'exercer ce droit d'option. Ce faisant, il porte préjudice au locateur, car il admet qu'il n'a aucun autre moyen de satisfaire le jugement du 17 octobre 2012 et le locateur n'a aucun autre moyen pour ce faire.
L'action oblique est donc nécessaire afin de permettre au locateur de lever le droit d'option conféré à son débiteur (le locataire) en vertu de la clause 12 des contrats de sous-location. Tant que cette option n'est pas levée, les appelantes ne peuvent pas verser les redevances de leurs contrats de franchise au locataire, mais elles doivent plutôt les verser au franchiseur. Ainsi, tant que l'option n'est pas levée, les appelantes ne doivent pas ces redevances au locataire. Si le locateur tente de faire saisir en mains tierces ces redevances avant que l'option soit levée, elles devront alors faire des déclarations négatives.
Le locateur devra donc procéder à une nouvelle saisie en mains tierces des sommes en cause une fois l'option levée via son action oblique. Il s'agit là d'un aspect technique résultant de l'effet de l'action oblique et des règles du C.p.c. portant sur la saisie en mains tierces. En effet, selon l'article 625 de l'ancien C.p.c., la saisie-arrêt ne porte que sur les sommes que le tiers-saisi « doit au débiteur ou qu'il aura à lui payer ». L'article 711 du nouveau C.p.c. est au même effet, le tiers-saisi devant déclarer « le montant, la cause et les modalités de toute dette qu'il a ou qu'il pourrait avoir envers le débiteur au moment de sa déclaration ».
La Cour d'appel permet donc l'action oblique et condamne les appelantes à verser au locataire toutes les sommes qu'elles doivent en vertu des contrats de franchise les liant avec le franchiseur afin que le locateur puisse dès lors procéder à la saisie de ces sommes auprès de celles-ci jusqu'à pleine exécution du jugement du 17 octobre 2012.
Souligner la densité de la décision de la Cour d'appel dans 9183-7708 Québec inc. c. Soltron Realty inc. tiendrait presque de l'euphémisme. Son intérêt est double en ce que, tout d'abord, il permet de réviser en détail les notions qui sous-tendent la délégation de paiement ainsi que l'action oblique et, ensuite, il vient en quelque sorte faire écho à la critique soulevée par le juge Emery quant à la structure corporative des franchiseurs par rapport aux locateurs commerciaux. Mais comment a-t-elle été accueillie, autant en jurisprudence qu'en doctrine ?
Pour ce qui est de son application jurisprudentielle, la décision Café Vienne a été citée, à ce jour, dans les décisions 9302-7399 Québec inc. c. Gestion Proxima Centauri inc. 5, Englobe Corp. c. Leboeuf Société immobilière inc. 6 et Van Den Dooren c. Ferme Gara inc. 7.
Dans cette affaire, Gestion Proxima Centauri inc. (« Proxima ») demande le rejet de la demande de 9302-7399 Québec inc. (« 9302 »), alléguant le défaut d'intérêt et l'absence de fondement juridique. 9302 poursuit Proxima pour cinq mois de loyer échu, trois mois de loyer de base et additionnel et la fraction non amortie des frais pour améliorations locatives. En juin 2013, Vitalité Traiteur inc. (« Vitalité ») signe un bail (le « Bail ») avec Logisco inc., visant un local commercial situé dans un immeuble
appartenant à cette dernière. En novembre 2013, Vitalité et Proxima signent une convention de sous-location visant une partie du local loué. Logisco consent à la sous-location, mais n'intervient pas à la convention. En décembre 2014, Logisco vend son immeuble à 9302. En novembre 2015, en raison des difficultés financières éprouvées
par Vitalité, 9302 convient de la libérer de ses obligations en vertu du Bail à compter du 1er octobre 2015. En contrepartie, Vitalité accepte une majoration du loyer payable visant un autre local qu'elle a loué en mars 2013, dans le même immeuble. Proxima n'intervient pas à cette convention. Elle continue d'occuper les lieux qu'elle a sous-loués de Vitalité jusqu'en mars 2016. Étant en défaut de payer les loyers, 9302 lui réclame les loyers échus. Proxima affirme que la résiliation du bail a eu comme conséquence de mettre fin à la convention de sous-location. Elle ajoute qu'il y a absence de lien de droit entre les parties.
La requête en irrecevabilité est rejetée. Les dispositions alléguées, se retrouvant dans la convention d'annulation et dans la convention de sous-location, prouvent que l'intention des parties n'était pas de mettre fin à la convention de sous-location. Par ailleurs, selon les faits allégués, Proxima a continué d'occuper les lieux loués après la prise d'effet de la convention d'annulation. Cela dit, le tribunal conclut qu'il est impossible de conclure que le recours de 9302 doit être rejeté pour défaut d'intérêt ou pour absence de fondement juridique.
Pour appuyer ses propos, la défenderesse invoque le paragraphe 45 de la décision 9183-7708 Québec inc. c. Soltron Realty Inc. pour expliquer qu'un bailleur n'a pas de recours contractuel contre un sous-locataire. Cet extrait se trouve au paragraphe 23 de la présente décision, et explique ce qui suit :
Avec le consentement du locateur, le locataire peut sous-louer, en tout ou en partie, le bien loué. La sous-location est une nouvelle location d'une partie ou de la totalité du bien loué. Lors d'une sous-location, le locataire principal n'est pas libéré de ses obligations envers son locateur et conserve ses droits et recours contre ce dernier. Par contre, dans le cadre d'un contrat de sous-location, le lien direct de droit est entre le sous-locateur et le sous-locataire et non entre le sous-locataire et le locateur. Le contrat de sous-location ne crée aucun lien contractuel entre le locateur et le sous-locataire. Le principe de l'effet relatif des contrats trouve, de fait, une application importante dans le contexte d'une sous-location.
En résumé, il s'agit d'une requête en paiement de factures présentée par Englobe Corp.
(« Englobe »). En juin 2014, Englobe acquiert les actifs de la société LVM (« LVM »), incluant les comptes à recevoir de cette dernière. Entre février et juin 2013, LVM a effectué des travaux pour Leboeuf Société immobilière inc. (« Leboeuf ») dans le cadre de deux projets de construction : Écoquartier Pointe d'Estimauville inc. (« PED ») et Écoquartier Pointe-aux-Lièvres inc. (« PAL »). 9254-1945 Québec inc. (« 9254 ») résulte de la fusion de ces deux projets. Englobe réclame 116 773 $ à Leboeuf et à 9254, puisque les factures et les états de compte à la suite des travaux demeurent impayés, et ce, malgré l'envoi de mises en demeure. Leboeuf plaide qu'il y a eu délégation de paiement entre elle et 9254, de sorte qu'elle en est libérée. La requête est accueillie. Les factures ont été modifiées à la demande de Leboeuf pour indiquer le nom de chacun des projets. Il s'agit uniquement d'une modification à l'identification du client et non un changement de débiteur, 9254 ne s'étant pas engagé personnellement à assumer le paiement à Englobe.
Dans la présente affaire, Leboeuf prétend qu'il y a eu délégation de paiement entre celle-ci et 9254. Le tribunal conclut que ce n'est pas le cas. Selon le tribunal, pour répondre à la définition d'une délégation de paiement (art. 1667 C.c.Q.), le délégué, en l'occurrence 9254, devait s'obliger personnellement au paiement envers Englobe (LVM) et aucune preuve n'est présentée à cet effet. Le tribunal conclut alors qu'il n'y a pas eu délégation de paiement, mais une indication de paiement par un changement de débiteur, ce qui correspond davantage à une délégation imparfaite. Pour appuyer ces propos, le tribunal mentionne, au paragraphe 37 de la présente décision, ce qui suit : « Au surplus, seule une intention clairement exprimée par le créancier, nous dit la Cour d'appel dans 9183-7708 Québec inc. c. Soltron Realty inc., peut donner l'effet de libérer la créance (art. 1668 C.c.Q.). En l'espèce, la preuve ne démontre aucunement qu'il en fut ainsi. »
En résumé, il s'agit d'une action en recouvrement d'une somme de 6898,50 $, représentant le dernier versement de loyer d'une terre agricole sous-louée par Joseph Van Den Dooren à Ferme Gara inc. À la demande de Suzanne Engelbert, propriétaire de la terre louée à M. Van Den Dooren et ex-épouse de ce dernier, Ferme Gara inc. lui a transmis directement le paiement du loyer. Lorsque Joseph Van Den Dooren réclame le paiement de Ferme Gara inc., il est informé des démarches de son ex-épouse et du fait que le loyer lui a été transmis directement. Il envoie néanmoins la facture pour le loyer et transmet par la suite une mise en demeure. Dans sa contestation,
Mme Engelbert prétend que M. Van Den Dooren n'avait pas le droit de sous-louer la terre avant la fin du bail. Toutefois, cette proposition est inexacte. L'action est accueillie en partie.
Dans la présente affaire, Mme Engelbert prétend ne pas avoir été informée de la sous-location, ce qui contreviendrait à l'article 1870 C.c.Q. Cet article prévoit que le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué, mais il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location. En l'espèce, il n'y a pas de preuve au dossier permettant au tribunal de croire que
Mme Engelbert a effectivement été dûment avisée de cette sous-location. Toutefois, le tribunal conclut qu'un tel défaut d'avis n'a pas pour effet de créer un lien direct
entre Mme Engelbert et Ferme Gara inc. Le tribunal cite le paragraphe 45 de la décision Café Vienne, dans le paragraphe 21 de la présente décision, pour appuyer ces propos :
Avec le consentement du locateur, le locataire peut sous-louer, en tout ou en partie, le bien loué. La sous-location est une nouvelle location d'une partie ou de la totalité du bien loué. Lors d'une sous-location, le locataire principal n'est pas libéré de ses obligations envers son locateur et conserve ses droits et recours contre ce dernier. Par contre, dans le cadre d'un contrat de sous-location, le lien direct de droit est entre le sous-locateur et le sous-locataire et non entre le sous-locataire et le locateur. Le contrat de sous-location ne crée aucun lien contractuel entre le locateur et le sous-locataire. Le principe de l'effet relatif des contrats trouve, de fait, une application importante dans le contexte d'une sous-location.
Cela dit, si la conclusion d'un bail de sous-location qui respecte les conditions de l'article 1870 C.c.Q. ne crée pas de lien direct entre le locateur principal et le sous-locataire, on voit mal comment ce lien pourrait être créé dans le cas contraire.
La décision Café Vienne a été citée à de nombreuses reprises afin d'expliquer certaines notions juridiques telles que la délégation de paiement, la saisie en mains tierces, l'action oblique et la novation.
En premier lieu, la doctrine 8 cite la décision Café Vienne notamment pour illustrer la notion juridique de la délégation de paiement. Tout d'abord, la décision est citée pour expliquer la distinction entre la délégation parfaite et imparfaite. On qualifie la délégation de parfaite lorsque le délégataire consent à décharger le délégant de son
obligation 9. Le délégué substitue alors son engagement à celui du délégant, et la délégation opère novation. Toutefois, si, au contraire, il n'est pas évident que le délégataire entend décharger le délégant, la délégation n'est qu'imparfaite, tel qu'il a été illustré dans la décision de la Cour d'appel 10. Le délégataire reste alors créancier du délégant et devient également créancier délégué 11.
Par ailleurs, la décision est citée pour expliquer une distinction principale entre la délégation et la cession de créance. En effet, il est mentionné que dans la délégation de paiement, le délégué s'engage à exécuter l'obligation du délégant envers le délégataire 12. La créance n'est toutefois pas cédée au délégataire, et appartient toujours au délégant 13. Dans le contexte d'une cession de créance, en revanche, le cessionnaire devient créancier de l'obligation que le débiteur cédé avait lui-même contractée auprès du cédant.
Enfin, la décision est citée pour illustrer les effets de la délégation imparfaite de paiement, plus précisément entre le délégant et le délégué. On mentionne que la délégation imparfaite a pour effet l'indisponibilité de la créance du délégué envers le délégant 14. Le paiement de la créance du délégué envers le délégant ne devient exigible qu'en cas d'inexécution de l'obligation du délégué envers le délégataire. Autrement, le délégué pourrait être tenu de payer deux fois la même créance 15.
En deuxième lieu, la doctrine fait mention de la décision Café Vienne dans le contexte d'une étude sur l'article 711 du nouveau Code de procédure civile concernant la saisie en mains tierces 16. En effet, la doctrine cite, en lien avec la décision, ce qui suit :
En ordonnant aux franchises de payer les loyers directement aux locateurs, sans le consentement clair et non équivoque des délégataires, la locataire procurait un débiteur supplémentaire à chaque locateur. Néanmoins, les créances de la locataire, pour le paiement des loyers en vertu des contrats de sous-location, ne pouvaient faire l'objet d'une saisie-arrêt par le locateur étant donné que les délégations imparfaites de paiement ont eu pour effet de rendre les sommes dues indisponibles à la saisie-arrêt tant que les franchisées ne sont pas en défaut de payer les loyers. 17
En troisième lieu, la doctrine mentionne brièvement la décision de la Cour d'appel à titre d'exemple notamment pour illustrer l'application de l'action oblique18. Pour garantir son patrimoine, le débiteur doit entreprendre certaines démarches. En cas de défaut de le faire, son créancier peut agir à sa place au moyen de l'action oblique. La doctrine explique alors en citant Café Vienne que l'« action oblique permet à un créancier d'exercer, au nom de son débiteur, les droits et actions que ce dernier refuse ou néglige d'exercer (art. 1627, al. 1 C.c.Q.) »19.
Finalement, la doctrine mentionne la décision de la Cour d'appel pour illustrer la particularité de la novation par substitution de créancier, qui peut s'avérer fort désavantageuse pour les parties en présence 20. La novation se caractérise par sa double fonction extinctive et créatrice : dans tout cas de novation, l'obligation d'origine s'éteint et est remplacée par une nouvelle 21. Ce mécanisme est peu utilisé en pratique, mais tout de même appliqué dans la décision Café Vienne. La doctrine explique que cette décision a « reconnu l'existence d'une novation par changement de créancier dans les rapports entre le sous-locataire et le locateur en lien avec l'exercice du droit conféré à ce dernier par l'article 1874 C.c.Q. »22.
La décision Café Vienne aura donc marqué la jurisprudence comme la doctrine. Mais peut-être plus encore, elle a marqué de manière importante la relation entre locateur, franchisé et franchiseur. En effet, en louage commercial, il n'était pas rare que les locateurs, malgré un jugement en leur faveur et à l'encontre de deux débiteurs différents, le franchisé et l'entreprise
« intermédiaire » du franchiseur, n'arrivaient tout simplement pas à exécuter leur jugement de manière satisfaisante compte tenu de la déconfiture de l'un et de l'absence d'actifs de l'autre.
Si certains locateurs pouvaient se permettre d'exiger la caution d'une tierce partie, la plupart n'arrivaient pas à négocier une telle garantie et se décourageaient devant les procédures complexes à instituer pour tenter d'obtenir un montant satisfaisant en exécution du jugement obtenu. La décision Café Vienne est venue leur donner une clarification quant à la démarche procédurale appropriée, à savoir l'action oblique. Du côté des franchiseurs, il devient donc beaucoup plus compliqué d'isoler complètement les franchisés quant à leur responsabilité face au locataire tout en gardant le contrôle des lieux loués afin de faciliter le remplacement d'un franchisé récalcitrant. Une structure corporative beaucoup plus lourde, avec par exemple une entité « intermédiaire » pour chaque place d'affaires, pourrait permettre un tel contrôle avec une exposition moindre, mais une telle structure nécessiterait une gestion beaucoup plus complexe et peu efficace dans un univers où les frais de gestion sont déjà scrutés à la loupe.
Pour paraphraser l'honorable Benoît Emery, j.c.s., il semblerait donc que, finalement, la structure corporative des franchiseurs ne leur permet pas d'éviter d'être redevables envers les propriétaires de qui ils louent des locaux destinés aux franchisés de leur bannière.
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