Laura E. Gomez
Avocate
Article
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Le présent article a d’abord paru dans la revue Food in Canada et est publié ici avec l’autorisation de l’éditeur original.
S’il fallait rédiger une recette concernant le cadre juridique actuel du cannabis comestible, voici à quoi elle ressemblerait : une dose de cannabis et trois mesures d’incertitude... L’introduction imminente d’un marché pour le cannabis récréatif recèle une occasion sans précédent pour les entreprises qui souhaitent se tailler une place dans ce marché encore inexploré. Alors que le projet de loi C-45, la Loi sur le cannabis proposée, continue de franchir les étapes menant à son adoption au Sénat, un nouveau cadre réglementaire complexe est en train de se matérialiser. Même si quelques détails sont connus quant à la vente de certaines formes de cannabis récréatif (frais, séché et sous forme d’huile), il reste que la réglementation prochaine des produits du cannabis comestible comportera son lot de défis juridiques particuliers.
Le gouvernement propose de permettre la vente de produits du cannabis comestibles dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la Loi proposée. Cet échéancier donne à Santé Canada du temps supplémentaire pour élaborer une réglementation adaptée à la nature unique de cette catégorie de produits et aux risques qu’elle présente.
La Loi ne contient pas de définition des « produits comestibles contenant du cannabis » pour le moment. Santé Canada indique que cette catégorie comprendra des produits comme les aliments ou les boissons contenant du cannabis, et qu’une définition précise sera introduite dans la réglementation subséquente. En particulier, la définition du cannabis aux termes de la Loi est vaste et fait référence non seulement à des parties de la plante de cannabis, mais aussi aux phytocannabinoïdes produits par la plante ou présents dans cette dernière, y compris toute substance identique, peu importe la manière dont cette dernière a été obtenue.
Nous prévoyons que la surveillance fédérale du chanvre industriel sera transférée du régime de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances à celui de la nouvelle Loi. Cependant, il est impossible de prédire quelles modifications seront apportées au Règlement sur le chanvre industriel en vue de les harmoniser à la Loi (ou règlements futurs), ni de savoir si ces changements toucheront le statut réglementaire des produits dérivés tels que les huiles.
Quant au format des produits comestibles, Santé Canada a suggéré l’imposition de limites aux formats autorisés pour les aliments (p.ex. : des truffes par rapport à des biscuits) dans le but de réduire les probabilités que les produits du cannabis comestible soient attrayants pour les jeunes. Le contrôle des portions sera aussi sans doute un enjeu clé, favorisant les formats comestibles offerts en doses mesurées et contrôlées. Il est cependant indéniable que lors du choix des formats admissibles pour les produits du cannabis comestible, l’industrie fera pression pour trouver un équilibre assorti d’une certaine dose de souplesse, permettant ainsi aux producteurs légaux d’offrir une variété de produits pour soutenir la concurrence avec le marché illégal du cannabis.
Même si Santé Canada a annoncé que le contenu en THC des produits du cannabis comestible sera restreint, les documents de consultation ne font aucunement état de limites imposées aux autres phytocannabinoïdes. Autre enjeu crucial dans ce dossier : l’emballage et l’étiquetage dans le but d’éviter l’ingestion accidentelle de cannabis comestible par des enfants. En effet, des restrictions en matière de formats, des emballages à l’épreuve des enfants et l’interdiction d’utiliser certains termes (p. ex. : « friandise » ou « bonbon ») sont tout autant de mesures proposées ou adoptées pour réduire les risques d’ingestion accidentelle dans d’autres administrations.
Alors que Santé Canada prévoit exempter le cannabis produit en vertu de la Loi de certaines exigences de la Loi sur les aliments et les drogues, impossible de dire quels éléments du cadre réglementaire actuel sur les aliments s’appliqueront au cannabis comestible. Au cours de la prochaine année, Santé Canada devra se pencher sur plusieurs questions fondamentales, comme celle de savoir si les produits de cannabis comestible devraient arborer un tableau des valeurs nutritives, une étiquette concernant les allergènes et si d’autres exigences proposées concernant l’étiquetage nutritionnel, comme celui sur le devant de l’emballage, s’appliqueront. Outre l’étiquetage spécifique au cannabis (p.ex. : les symboles, les avertissements, THC/CBD), quels autres renseignements factuels au sujet du cannabis comestible devraient être accessibles aux consommateurs? Et que dire des allégations relatives à la teneur en nutriments comme « sans sucre », « faible en gras » ou « source de fibres »? Devraient-elles être permises?
Il faudra également trancher d’autres questions comme les restrictions relatives aux additifs alimentaires et les exigences touchant la salubrité alimentaire. Sans oublier non plus la question de l’application de cette réglementation. Les organismes de réglementation devront décider si la tâche d’appliquer la réglementation sur les produits du cannabis comestible incombera à Santé Canada seulement ou si elle sera aussi partagée avec l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA).
Tant et aussi longtemps que de nouveaux règlements ne seront pas proposés, l’incertitude régnera. Une chose est claire toutefois, les produits de cannabis comestible de par leur position particulière à l’intersection du secteur alimentaire et du secteur des drogues exigeront l’élaboration d’une recette savamment dosée de contrôles législatifs et réglementaires.
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