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L'emploi d’une marque de commerce à des fins promotionnelles n'équivaut pas à un emploi dans la pratique normale du commerce
Dans la décision que la Cour fédérale a rendu récemment dans l'affaire Riches, McKenzie & Herbert LLP c. Cosmetic Warriors Limited (2018 CF 63), que l'on peut consulter ici, le juge Manson a autorisé l'appel d'une décision du registraire des marques de commerce, annulant ainsi la conclusion selon laquelle la défenderesse avait démontré l'emploi de la marque de commerce LUSH sur des tee-shirts.
Cosmetic Warriors (la « défenderesse ») est propriétaire de la marque de commerce LUSH (la « marque ») pour l’emploi en liaison avec les produits suivants : « Vêtements, nommément tee‑shirts ». La défenderesse était tenue de fournir une preuve d'emploi en réponse à un avis d'annulation pour non-usage que le registraire des marques de commerce a envoyé conformément à l'article 45 à la demande de la demanderesse, Riches, McKenzie & Herbert LLP.
La défenderesse a déposé un affidavit de la directrice des communications de marque de Lush Handmade Cosmetics, Ltd., (« Lush Canada »), prétendu titulaire canadien de la marque.
D'après la preuve que la défenderesse a présentée, Lush Canada exploite plus de 200 magasins en Amérique du Nord, dont 46 au Canada. Les employés de Lush Canada portent des tee-shirts arborant la marque, qui font partie de leur uniforme. En outre, les employés peuvent acheter des vêtements portant la marque, pour eux-mêmes ou pour donner en cadeau aux membres de leur famille ou à leurs amis. Les ventes de tee-shirts portant la marque pendant la période en question ont dépassé 1 200 $ au Canada et 2 900 $ aux États-Unis. Des tee-shirts portant la marque sont aussi vendus dans le cadre de campagnes pour l'environnement.
Décision du registraire
La demanderesse soutient que les tee-shirts arborant la marque n'étaient pas vendus dans la pratique normale du commerce, en se fondant sur le fait que l'affidavit de la défenderesse avait tendance à décrire les tee-shirts comme des produits promotionnels. La demanderesse a démontré que les produits étaient vendus au prix coûtant et non à un prix permettant de réaliser un profit, en petites quantités, aux employés. Le registraire a reconnu que la distribution gratuite d’un produit afin de promouvoir sa propre marque ne constitue pas un transfert dans la pratique normale du commerce.
Le registraire a conclu que les factures du fournisseur des tee‑shirts démontraient que ces derniers étaient vendus aux employés au prix coûtant lorsqu’elles étaient lues conjointement avec d’autres preuves. Toutefois, parce que la défenderesse n’était pas tenue de fournir de preuves d’achats des vêtements du fournisseur, le registraire n’était pas prêt à tirer une conclusion défavorable contre elle. De plus, le registraire a conclu qu’il n’était pas approprié d’élargir la portée de la jurisprudence susmentionnée pour laisser entendre qu’un propriétaire inscrit doit obligatoirement réaliser un profit sur la vente de ses produits pour que ses ventes soient considérées comme ayant été effectuées « dans la pratique normale du commerce » au sens de l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce (la « Loi »).
Le registraire s’est aussi penché sur la prétention de la demanderesse selon laquelle le terme « marchandises promotionnelles variées » [Traduction] sur les factures du fournisseur indiquait que les vêtements étaient de nature promotionnelle. Toutefois, le registraire a considéré que l'expression était vague et a refusé de tirer des conclusions défavorables.
Le registraire a conclu que la défenderesse avait établi l’emploi de la marque.
La défenderesse a aussi exporté les mêmes tee-shirts aux États-Unis aux mêmes fins, soit la vente aux employés. Le registraire a estimé qu'il n'était pas nécessaire de conclure si la preuve remplissait l'exigence de l'emploi stipulée au paragraphe 4(3) de la Loi, mais a indiqué que bien que le paragraphe 4(3) ne comportait pas l'exigence de la « pratique normale du commerce » prévue au paragraphe 4(1), la jurisprudence a établi que le terme « exportation » au paragraphe 4(3) exigeait une certaine forme de transaction commerciale, cette exigence étant selon lui remplie par la vente aux employés des États-Unis.
Décision de la Cour fédérale
Le juge Manson définit comme suit les questions en litige :
A. L’exigence de l’emploi « dans la pratique normale du commerce » tel que défini au paragraphe 4(1) de la Loi requiert‑elle le transfert des produits arborant la marque en réalisant un profit?
B. Le registraire a‑t‑il commis une erreur en concluant que les produits arborant la marque n’étaient pas simplement promotionnels?
C. Le critère d’emploi prévu au paragraphe 4(3) de la Loi diffère‑t‑il de celui du paragraphe 4(1)?
Le juge Manson a eu recours à la norme de contrôle de la décision raisonnable, ce qui l'a amené à conclure que les questions en litige étaient des questions mixtes où le droit et les faits s'entrelaçaient.
Pratique normale du commerce
Concernant la question de savoir si l'exigence de la « pratique normale du commerce » dans la définition d'emploi au paragraphe 4(1) de la Loi requiert le transfert des produits arborant la marque en réalisant un profit, le juge Manson expose divers scénarios constituant un emploi « dans la pratique normale du commerce ». Manifestement, le bien promotionnel distribué sans frais ne remplit pas en soi les exigences du paragraphe 4(1) puisque les transferts de biens simplement pour l’acquisition d’achalandage sont insuffisants pour constituer un transfert ou un emploi dans la pratique normale du commerce. Toutefois, si la distribution gratuite d'un produit fait partie de la pratique normale du commerce, dans le but d'engendrer des profits et de développer un achalandage pour les produits, elle pourrait constituer un emploi dans la pratique normale du commerce de cette entreprise, plus particulièrement si les produits distribués gratuitement sont les produits habituels de l’entreprise.
En l’espèce, il existe une preuve que les employés déboursent de l’argent afin d’acheter des tee‑shirts. Toutefois, le juge Manson conclut que ce seul fait ne suffit pas à établir l'emploi dans la pratique normale du commerce en indiquant que dans certains cas, le paragraphe 4(1) nécessite un « transfert [...] aux fins d'acquisition d'achalandage et de profits des biens marchands ».
Le juge Manson conclut ce qui suit :
Lorsque les articles (en l’espèce, des tee‑shirts) sont vendus au prix coûtant à des fins promotionnelles aux employés seulement, afin de produire un achalandage dans une entreprise différente (en l’espèce, de produits cosmétiques), il est difficile de conclure que ce type de vente puisse être qualifié de pratique normale du commerce pour satisfaire à l’emploi en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi. Je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, puisqu’il y a une absence de profit, la nature promotionnelle et de minimas de la vente aux employés, et le fait que la défenderesse n’est pas habituellement une entreprise de vente de vêtements, la décision du registraire selon laquelle ces ventes étaient dans la « pratique normale du commerce » est déraisonnable. [par. 20]
Produits simplement promotionnels?
Le juge Manson reconnaît que la preuve de la demanderesse est pertinente et qu’elle doit être prise en considération pour analyser les fins promotionnelles de la vente des tee‑shirts. La Cour est d'accord avec la demanderesse pour dire que des conclusions défavorables peuvent être tirées de la preuve de la défenderesse, en particulier dans les cas se rapportant au paragraphe 45 où seule la preuve du registraire est produite et où les affidavits ne font l'objet d'aucun contre-interrogatoire.
La Cour conclut qu'en l’absence de preuve de profits, il est difficile de voir quelles fins les ventes aux employés pourraient servir, si ce n’est à la promotion des activités principales de Lush Canada et de ses campagnes de bienfaisance. Étant donné la nature des ventes, qui est principalement, voire exclusivement promotionnelle, le juge Manson conclut que la décision du registraire est déraisonnable.
Le critère d’emploi au paragraphe 4(3) de la Loi diffère‑t‑il de celui du paragraphe 4(1)?
Le juge Manson convient que le critère d'emploi énoncé au paragraphe 4(3) et celui énoncé au paragraphe 4(1) de la Loi diffèrent. Toutefois, il souligne que le paragraphe 4(3) a été adopté afin de protéger les entités canadiennes qui ne pouvaient pas se prévaloir de la protection prévue dans la Loi puisque leurs activités se déroulaient exclusivement à l’extérieur du Canada. Après avoir cité la décision que le juge Strayer a rendue dans Coca-Cola Ltd. c. Pardhan, le juge Manson conclut ce qui suit :
Autrement dit, lorsque les activités d’une partie au Canada n’établissent pas l’emploi d’une marque de commerce, ces mêmes activités n’ont pas atteint le niveau d’emploi simplement parce qu’une exportation a eu lieu. Une partie ne peut pas être autorisée à détourner les exigences normales de la Loi en expédiant un produit de l’autre côté de la frontière. En conséquence, ayant estimé que les ventes de tee‑shirts de la défenderesse ne constituent pas un emploi aux fins du paragraphe 4(1), je ne suis pas prêt à conclure que cet emploi est établi aux fins du paragraphe 4(3) en me fondant simplement sur le fait qu’il y a eu exportation. [par. 30]
En conclusion, l'enregistrement de la marque LUSH pour les vêtements a été radié du registre.
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