Roch J. Ripley
Partner
Head of Vancouver Intellectual Property Department; Patent Agent
Article
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L'affaire Yves Choueifaty v. Attorney General of Canada[1] est une importante décision pour les demandeurs de brevets préoccupés par l'admissibilité d'une invention à la protection par brevet ou, plus simplement, la notion de sujet brevetable. La Cour fédérale du Canada a tranché : l'approche problème-solution qu'applique l'Office canadien de la propriété intellectuelle (« OPIC ») depuis 2013 pour interpréter les demandes de brevets est incompatible avec le droit canadien. Avec prise d'effet immédiat et conformément à la jurisprudence canadienne, l'ordonnance de la Cour fédérale exige désormais que l'OPIC interprète correctement les demandes pendant l'examen. Concrètement, dans les domaines des méthodes d'affaires, des inventions informatiques et des méthodes de diagnostic, cette décision devrait permettre aux demandeurs de brevets d'éviter, voire de surmonter plus facilement les rejets d'admissibilité de l'invention lors de poursuites de demandes de brevets.
Dans l'affaire Choueifaty, l'appelant avait déposé une demande de brevet visant une méthode informatique de création de portefeuilles anti-repère. Voici la première revendication de la demande de l'appelant, laquelle est représentative des revendications en cause aux fins de la détermination de l'admissibilité de l'invention :
Une méthode mise en œuvre par ordinateur générant un portefeuille anti-repère, ladite méthode comprenant : l'acquisition, au moyen d'un système informatique, de données concernant un premier groupe de titres dans un premier portefeuille, où le système informatique comprend un processeur et une mémoire rattachée audit processeur; l'identification, au moyen d'un système informatique, d'un deuxième groupe de titres à inclure dans un deuxième portefeuille fondé sur lesdites données et sur les caractéristiques de risque dudit deuxième groupe de titres; et la génération, au moyen d'un système informatique, des pondérations individuelles pour chaque titre dudit deuxième portefeuille selon une ou plusieurs procédures d'optimisation de portefeuilles qui optimisent le rapport anti-repère pour le deuxième portefeuille où le rapport anti-repère est représenté par le quotient de : un numérateur comprenant un produit interne d'un vecteur ligne d'actions dans ledit deuxième portefeuille et un vecteur colonne d'une caractéristique de risque de retour associée auxdites actions dans ledit deuxième portefeuille; et un dénominateur comprenant la racine carrée d'un scalaire formé par un produit interne dudit vecteur colonne desdites actions dans ledit deuxième portefeuille et un produit d'une matrice de covariance et d'un vecteur colonne desdites actions dudit deuxième portefeuille. [TRADUCTION]
Un examinateur de brevets et la Commission d'appel des brevets (« Commission »)[2] ont tous deux rejeté la demande, affirmant que les revendications touchaient un sujet inadmissible à la protection par brevet. Plus particulièrement, la Commission a appliqué l'approche problème-solution pour conclure que :
L'appelant en a appelé de ce rejet pour inadmissibilité de l'invention devant la Cour fédérale.
L'analyse réalisée par l'OPIC dans cette affaire est typique de celles appliquées aux revendications visant des méthodes d'affaires et des inventions informatiques qui sont rejetées au motif allégué qu'elles sont inadmissibles. Même si les revendications faisaient explicitement état d'équipement informatique et d'un problème et d'une solution proposée par un demandeur de brevet exigeant de l'équipement informatique, les examinateurs de brevets et la Commission ont adopté une approche problème-solution plus large, et souvent préconisée, qui leur a permis de conclure par le passé que les éléments essentiels d'une invention étaient abstraits et intangibles. Ainsi, les examens aboutissaient régulièrement à des rejets pour inadmissibilité de l'invention.
Dans ses décisions faisant autorité sur l'interprétation téléologique des revendications de brevets (en anglais, « purposive construcion »)[4], la Cour suprême a conclu que pour établir les éléments essentiels d'une revendication il faut se demander si « un élément donné peut être déclaré essentiel sur le fondement de l'intention de l'inventeur, telle qu'il l'exprime dans les revendications ou telle qu'on peut l'en déduire[5] » [TRADUCTION]. L'OPIC n'a pas procédé ainsi en appliquant son approche problème-solution et a fait valoir qu'il n'était pas nécessaire de tenir compte de l'intention de l'inventeur au moment de la poursuite de demande, puisque les règles de la Cour suprême en ce qui a trait aux règles d'interprétation des revendications s'appliquent uniquement après délivrance du brevet, contrairement à la période correspondant à la poursuite de demandes alors que le libellé peut encore être modifié.
Les arguments de l'OPIC n'ont pas convaincu la Cour fédérale et cette dernière a conclu que l'OPIC avait mal interprété la jurisprudence de la Cour suprême en n'accordant pas d'attention à l'intention de l'inventeur au moment d'interpréter ses revendications. La Cour fédérale a également fait valoir que « bien qu'il déclare que les revendications de brevets doivent être interprétées en fonction de leur objectif, le commissaire [aux brevets] n'a pas l'intention ni n'ordonne aux examinateurs de brevets de suivre les enseignements de [la jurisprudence de la Cour suprême].[6] » [TRADUCTION] Le fait que les demandeurs de brevets puissent modifier les revendications pendant la poursuite des demandes ne justifie pas que l'on ignore la jurisprudence de la Cour suprême que l'on applique pendant les litiges.
La Cour fédérale a donc annulé la décision de l'OPIC de refuser de délivrer un brevet et ordonné à l'OPIC de réexaminer l'admissibilité de l'invention de l'appelant en appliquant correctement la jurisprudence de la Cour suprême, et en tenant compte de l'intention de l'inventeur pour déterminer les éléments essentiels et l'admissibilité de sa revendication.
L'affaire Choueifaty est la première décision en sept ans à se pencher sur les pratiques d'évaluation de l'OPIC de l'admissibilité d'une invention à la protection par brevet. Seul l'avenir nous dira comment l'OPIC interprétera désormais les revendications, mais le fait d'exiger qu'il tienne maintenant compte de l'intention d'un inventeur est susceptible d'aider les demandeurs de brevets. Un élément non essentiel à la résolution du problème tel que déterminé par l'OPIC selon l'approche problème-solution pourrait néanmoins être essentiel selon l'intention de l'inventeur, et rendre une revendication admissible. À cet égard, il serait utile pour les demandeurs d'ajouter des indications claires de l'intention de l'inventeur. Il peut s'agir par exemple d'une déclaration figurant dans la description qui énonce explicitement que les pièces d'équipement informatique dans les revendications sont censées être essentielles. De même, les demandes de méthodes de diagnostic qui énoncent des étapes analytiques spécifiques devraient maintenant être examinées conformément aux principes jurisprudentiels qui établissent depuis déjà longtemps l'admissibilité des inventions pour les méthodes basées sur des corrélations diagnostiques nouvellement découvertes. Quoi qu'il en soit, l'affaire Choueifaty renforce la notion suivante : ce sont les revendications correctement interprétées conformément à la jurisprudence canadienne qui définissent une invention. Adopter une telle approche favorise le respect de la primauté du droit et apporte davantage de certitude, ce qui est somme toute une bonne nouvelle pour les demandeurs de brevets.
Si vous avez des questions, nous vous invitons à contacter Benoit Yelle, associé et agent de brevets au bureau de Montréal.
[1] 2020 CF 837 (« Choueifaty »), 21 août 2020.
[2] La Commission d'appel des brevets est le tribunal administratif au sein de l'OPIC qui examine les refus finaux des examinateurs de brevets. À ce titre, elle ressemble, par exemple, au tribunal et à la commission d'appel (PTAB) de l'Office des brevets et des marques des États-Unis (USPTO).
[3] Choueifaty, par. 14-16.
[4] Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 et Whirlpool Corp c. Camco Inc., 2000 CSC 67.
[5] Choueifaty, par. 38.
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