Edith Penty Geraets
Associate
Patent Agent, UPC Representative
Article
12
En octobre 2022, des modifications apportées aux Règles sur les brevets au Canada comportaient l'établissement de taxes sur les revendications excédentaires dans les cas où une demande de brevet s'accompagne de plus de 20 revendications. Par conséquent, il y a lieu de se montrer plus stratégique en limitant les revendications dans les demandes de brevet soumises à l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC).
En vigueur dans de nombreux pays, les taxes sur les revendications excédentaires sont connues des demandeurs mondiaux. Par exemple, le United States Patent and Trademark Office (USPTO) impose une taxe après la 20e revendication ou la 3e revendication indépendante. Quant à l'Office européen des brevets (OEB) et à l'Office chinois des brevets (CNIPA), ils imposent une taxe après la 15e et la 10e revendication, respectivement.
Partout dans le monde, les agents de brevets connaissent bien les stratégies de modification des revendications permettant d'élaguer une longue série de revendications (souvent déposée à l'étape du PCT) pour respecter les limitations de tel ou tel État et réduire les coûts engagés par leurs clients.
S'il peut être tentant d'adapter au Canada un ensemble allégé de revendications préparé pour les responsables américains ou européens des brevets afin de l'utiliser pour le Canada, cette approche n'est pas toujours judicieuse, car il y a plusieurs particularités à prendre en compte relativement à ce pays.
La pratique du double brevet (l'octroi de plus d'un brevet pour une même invention) est interdite dans de nombreux États, dont le Canada. Le Canada applique deux doctrines de double brevetage : le double brevet relatif à la nouveauté et le double brevet relatif à l'évidence. Dans notre pays, la loi ne prévoit pas de solution au double brevet, comme la renonciation de terme pratiquée au sud de la frontière. Par conséquent, l'identité des revendications de deux demandes de brevet peut être fatale pour la demande la plus récente.
En contexte canadien, le demandeur a cependant à sa portée des stratégies pour se défendre contre des allégations de double brevet. Plus précisément, la jurisprudence au pays a établi que si un examinateur soulève une objection pour absence d'unité, le demandeur sera en meilleure position face à des arguments selon lesquels un brevet découlant d'une demande antérieure et un brevet découlant d'une demande complémentaire (ou divisionnaire) dont l'objet a été divisé par suite de l'objection visant le double brevet[1]. Par conséquent, si une objection pour absence d'unité est probable, mieux vaut regrouper toutes les revendications d'intérêt dans une même demande et diviser les objets brevetables une fois l'objection soulevée, de manière à protéger les brevets contre les allégations de double brevet.
Or, depuis l'imposition de taxes sur les revendications excédentaires, pour certaines demandes, il est onéreux de regrouper toutes les revendications d'intérêts. Il est toutefois recommandé, pour conserver le droit de déposer une demande complémentaire en réponse à une objection pour absence d'unité, d'inclure les principales revendications indépendantes pour chacune des inventions de la demande.
Comme le savent de nombreux agents de brevets, les examinateurs canadiens sont attentifs aux manques de clarté. Le plus souvent, ils s'opposent à ce que les revendications contiennent des formulations à caractère facultatif : « facultativement », « préférablement », « comme », « par exemple », « p. ex. », caractéristiques entre parenthèses, etc. Des demandeurs privilégieront tout de même ce type de formulation pour élaguer l'ensemble de revendications et décider plus tard quels éléments facultatifs conserver, quitte à ce que le traitement soit moins rapide, et les rapports d'examen, plus nombreux.
L'utilisation de la conjonction « ou » est généralement permise au pays, mais les examinateurs canadiens s'opposent parfois aux revendications qui comportent trop de « ou » ou de « et/ou ».
Fait à noter, s'il est vrai que la conjonction « ou » ne devrait pas susciter d'objection pour manque de clarté durant le traitement, en cas de litige, une revendication qui mentionne des variantes risque d'être invalidée si une ou plusieurs des variantes n'est pas brevetable1. Autrement dit, si l'emploi de la conjonction « ou » vise initialement à réduire la taxe sur les revendications, le demandeur pourrait gagner à modifier l'ensemble de revendications de nouveau, avant l'acceptation, de manière à présenter les réalisations clés dans des revendications indépendantes.
Les nouvelles Règles sur les brevets en vigueur au Canada établissent une limite de trois rapports d'examen, au-delà de laquelle il faut déposer une requête en rétablissement de la demande et payer de nouveau la taxe pour l'examen. Il peut donc être judicieux d'analyser et de modifier les revendications en amont de l'examen pour éviter les problèmes de clarté connus ou ajouter des revendications à différentes inventions afin de susciter une objection pour absence d'unité de la part de l'examinateur, s'il y a un objet brevetable pour lequel le demandeur souhaite déposer une demande complémentaire.
En somme, il faut étudier les stratégies de réduction des revendications en s'en tenant au contexte canadien, pour éviter les écueils de traitement et simplifier les démarches.
Si vous avez des questions spécifiques concernant cet article ou si vous souhaitez en discuter davantage, vous pouvez contacter les auteures ou un membre de notre équipe Sciences de la vie.
Annexe I – Tableau de comparaison des taxes sur les revendications excédentaires entre le Canada, l'Europe et les États-Unis et survol des stratégies de réduction des revendications étudiées par les responsables des brevets de chaque pays
| Canada | Europe | États-Unis |
---|---|---|---|
Nbre de revendications à ne pas dépasser pour éviter une taxe sur les revendications excédentaires | 20 | 15 | 20 |
Nbre de revendications indépendantes permis | Aucune limite (sauf pour des raisons de clarté) | Une par catégorie (à quelques exceptions près) | Aucune limite (mais une taxe est imposée s'il y a plus de trois revendications indépendantes) |
Taxes sur les revendications excédentaires | 100 $ CA par revendication après la 20e | 265 € s'il y a de 21 à 50 revendications 660 € s'il y a 51 revendications ou plus | 100 $ US* par revendication après la 20e 480 $ US* par revendication indépendante après la 3e |
Quand la taxe sur les revendications excédentaires est-elle calculée? | 1) Lorsqu'un examen est demandé; et 2) Lorsqu'un avis d'acception est communiqué; somme à régler pour toute revendication après la 20e, à un moment ou un autre du traitement, sauf si le paiement a déjà été fait | 1) Lorsqu'une demande est déposée; et 2) Lorsqu'une intention de délivrance est communiquée; somme à régler pour toute revendication après la 15e, sauf si le paiement a déjà été fait | Lorsqu'une demande est déposée |
Plusieurs revendications dépendantes sont-elles permises? | Oui, les revendications dépendantes comptent comme une seule revendication | Oui, les revendications dépendantes comptent comme une seule revendication | Oui (mais chaque revendication dépendante compte comme une revendication distincte et est assujettie à la taxe sur les revendications excédentaires de 860 $ US*) |
Double brevet | Double brevet relatif à la nouveauté ou à l'évidence; demande complémentaire volontaire déconseillée; regroupement de toutes les revendications d'intérêt au moment de demander un examen, pour susciter une objection pour absence d'unité | Double brevet relatif au « même objet » seulement | Double brevet relatif à la nouveauté ou à l'évidence; renonciation de terme possible |
Formulations à caractère facultatif permises? | Exceptionnellement | Oui | Habituellement |
Conjonction « ou » permise? | Oui | Oui | Oui |
Nbre de rapports d'examen | Trois; il est possible de présenter une requête en rétablissement de la demande pour demander deux autres rapports d'examen | Aucune limite; possibilité que le demandeur soit convoqué à une audience, si une économie de temps est prévue | Un ou deux rapports d'examen, suivis d'un dernier (décision finale); possibilité de présenter une requête en rétablissement de la demande pour que l'examen se poursuive |
* taxe applicable aux entités ordinaires
1 Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited c. le ministre de la Santé et Apotex Inc., 2005 CF 1332 (clarithromycine); Schering-Plough Canada Inc. et Schering Corporation c. Pharmascience Inc., Sepracor Inc. et le ministre de la Santé, 2009 CF 1128 (desloratadine).
[1] Consolboard Inc. c. Macmillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 RCS 504 [Consolboard].
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