Melissa Tehrani
Associée
Chef, Groupe national Publicité et réglementation des produits
Article
Des occasions (de marketing) en or : quand le sport et le droit de la publicité convergent
Pour les passionnés de sport, l’été 2024 passera assurément à l’histoire. Entre l’Euro 2024, les Jeux olympiques et le Tour de France, les gens du monde entier auront l’occasion de suivre le parcours éprouvant d’athlètes qui réaliseront de véritables prouesses techniques et physiques dans leur discipline respective. Pourtant, derrière la clameur de la foule, repose un potentiel commercial non négligeable : les larges publics qu’attirent ce type d’événements représentent une vraie petite mine d’or pour les annonceurs. La présente série, intitulée « Des occasions (de marketing) en or », traite des considérations essentielles et des nuances juridiques dont doivent tenir compte les entreprises désireuses de faire de la publicité auprès des spectateurs de ces événements mondiaux au cours du prochain mois, malgré les complexités du droit de la publicité.
Les préparatifs en vue des Jeux olympiques (JO) de 2024 sont en branle. Bientôt, des athlètes de calibre mondial se réuniront à Paris pour s’affronter dans diverses disciplines, de la piste d’athlétisme au bassin de natation. Mais, en coulisses, se joue une autre compétition tout aussi féroce : celle des marques, qui souhaitent profiter de la visibilité de ce genre d’événement pour promouvoir leurs produits et services auprès des vastes publics internationaux qu’attirent ces événements sportifs d’envergure.
Il existe différentes façons de s’associer officiellement aux JO ou à d’autres événements sportifs d’envergure en tant que marque. Le plus souvent, elles peuvent devenir commanditaires officiels, comme dans le cadre d’un partenariat avec le Comité international olympique (« CIO »), ou encore commanditaires locaux en passant par le Comité olympique du pays hôte. De telles commandites peuvent être assorties d’avantages importants, notamment la permission d’utiliser les marques olympiques officielles (conformément à l’entente de commandite) et, potentiellement, de tirer profit de la cote d’estime de l’événement.
Or, les commandites officielles représentent un investissement financier important. Qui plus est, il n’est pas rare qu’un commanditaire se voie accorder l’exclusivité dans son secteur, ce qui signifie que si votre concurrent d’une marque donnée a déjà signé une entente de commandite, il est fort probable que vous ne puissiez pas faire de même. Nombreuses sont les marques qui cherchent alors à profiter autrement de l’engouement suscité par l’événement et capter l’attention du public. Mais comment? En ayant recours au marketing insidieux, une tactique qui permet d’accroître la visibilité d’une marque sans qu’elle ait obtenu le titre de commanditaire officiel, mais qui présente certains inconvénients, dont l’impossibilité de faire usage des marques officielles, un risque accru que la publicité soit contestée par l’organisateur de l’événement et même que certains médias refusent de la diffuser (par exemple, si ces derniers entretiennent des liens avec l’organisateur).
Le marketing insidieux (ou ambush marketing) peut être défini de plusieurs manières. Selon la Cour d’appel de Paris, il s’agit d’une :
« Stratégie publicitaire mise en place […] afin d’associer son image commerciale à celle d’un événement, et donc de profiter de l’impact médiatique dudit événement sans s’acquitter des droits qui y sont relatifs, et sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de l’organisateur de l’événement. ».
Le Comité olympique canadien, quant à lui, donne une définition un peu plus critique :
« Des activités de [marketing insidieux] qui misent sur la cote d’estime du Mouvement olympique en créant une association commerciale fausse non autorisée. »
Au Canada, la loi interdit le recours à des indications trompeuses pour promouvoir des intérêts commerciaux, au même titre que la contrefaçon de droits d’auteur ou de marques de commerce appartenant à des tiers. Par contre, dans les faits, les efforts déployés par les titulaires de droits pour faire respecter la loi peuvent être plus vastes que les interdictions légales sous-jacentes.
Malgré la connotation péjorative qu’on associe au terme « insidieux », il faut préciser que dans certaines circonstances, ce type de marketing peut être non seulement parfaitement légal, mais aussi particulièrement astucieux. Certes, une exécution ratée peut porter atteinte à certains droits reconnus par la loi et occasionner de lourdes dépenses, mais cette technique peut tout aussi bien être employée dans le respect de la législation applicable, comme nous le verrons plus en détail ci-dessous.
Le marketing insidieux se prête à une multitude de situations et de contextes, et pas seulement aux grands événements sportifs : avant-premières mondiales de films, jours de fête nationale, naissances dans la famille royale, etc. En fait, tout ce qui peut susciter l’attention médiatique et publique est susceptible d’attirer des marques et des annonceurs prêts à s’y associer. Les événements sportifs d’envergure, qui captivent l’attention internationale (et pour lesquelles obtenir le titre de commanditaire officiel est très dispendieux), sont généralement très propices au marketing insidieux. Pensez notamment aux JO, à la Coupe du monde, au Super Bowl et aux séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey.
Lorsque de grands événements ont lieu, une commandite officielle s’avère mutuellement avantageuse : l’organisateur de l’événement s’appuie sur les frais de commandite versés par les marques associées, qui bénéficient à leur tour de la visibilité que confère un événement hautement suivi et médiatisé. Selon les modalités de l’entente de commandite, les marques peuvent même être autorisées à s’associer directement à l’organisateur, par exemple en utilisant ses célèbres marques dans leurs publicités pour s’identifier en tant que « commanditaire officiel », et tirer profit de sa cote d’estime grâce au soutien financier qu’elle apporte à l’événement.
Compte tenu des frais que les marques déboursent pour recevoir le titre de commanditaire officiel et de la dépendance des organisateurs d’événements envers ces frais, il n’est pas surprenant que les deux parties accueillent le marketing insidieux avec méfiance. Les organisateurs doivent travailler pour maintenir l’attrait de la commandite, et les commanditaires, quant à eux, veulent protéger les droits promotionnels, souvent exclusifs, qu’ils ont acquis en moyennant des sommes considérables.
Le marketing insidieux, aussi appelé « marketing par embuscade », se présente sous différentes formes :
L’embuscade associative
On parle de marketing par embuscade associative lorsqu’une marque laisse entendre qu’elle est associée à un événement (ou à un participant à cet événement, comme une équipe, un athlète, etc.) sans en avoir l’autorisation. Il peut s’agir d’une utilisation explicite des éléments de propriété intellectuelle (PI) liés à l’événement, comme les logos, les noms, etc., ou d’une association plus subtile entre la marque et l’événement sans y faire directement allusion, par exemple à l’aide d’un message réactif ponctuel.
L’embuscade par utilisation explicite, ou potentiellement évocatrice, de la PI liée à l’événement est la méthode la plus risquée, car elle peut entraîner une violation des droits de PI, lesquels sont associés à des causes d’action statutaires. Il est donc normal que les titulaires de PI veuillent faire respecter leurs droits de propriété, et d’ailleurs, ils sont parfois habilités à le faire. Dans certains cas, ne pas faire respecter ces droits pourrait même les mettre en péril. C’est pourquoi les organisations sportives internationales prennent la question très au sérieux.
Un exemple bien connu de cette forme de marketing d’embuscade par message réactif ponctuel, qui ne comportait aucun élément de PI appartenant à des tiers, a pu être observé lors du Super Bowl de 2013, quand une panne d’électricité a plongé le stade dans la noirceur en pleine partie. Dans les minutes qui ont suivi, la marque de biscuits Oreo a diffusé le message suivant sur Twitter : « Pas d’électricité? Pas de soucis », accompagné de l’image d’un biscuit Oreo sur un fond sombre avec la légende « Trempez vos biscuits préférés, même dans l’obscurité » [traduction]. Le message a fait sensation, et a permis à la marque de s’immiscer instantanément sous les projecteurs (ou, en l’occurrence, l’absence de projecteurs) sans être un commanditaire officiel du Super Bowl. Oreo n’a fait aucune mention explicite de l’événement, n’a utilisé aucun nom, logo ou autre élément de PI protégé, et n’a pas donné l’impression de commanditer l’événement ou d’y être associé d’une manière quelconque. Plutôt futé!
L’embuscade par intrusion
Cette approche mise sur des tactiques physiques ou temporelles : l’entreprise insère sa marque dans l’espace physique où se déroule un événement, ou s’organise pour déployer des campagnes en même temps que l’événement afin de tirer profit de l’attention du public, bien qu’elle ne soit pas un commanditaire officiel. En voici quelques exemples :
S’il est vrai que le recours à de telles méthodes peut permettre d’éviter les risques liés à l’utilisation inappropriée de la PI d’un tiers, celles-ci peuvent toutefois déclencher l’application de mécanismes juridiques précis, comme des règlements municipaux sur l’affichage. En outre, ces tactiques impliquent parfois d’autres actes interdits, comme le fait d’entrer sur un site par intrusion.
Mentionnons à titre d’exemple, l’approche adoptée par la Maison de champagne G.H. Mumm durant les JO de 2018.
Par l’intermédiaire de son ambassadeur Usain Bolt (ce célèbre coureur olympique jamaïcain alors fraîchement retraité), G.H. Mumm a lancé une campagne dans le cadre de laquelle elle s’engageait à envoyer une bouteille de champagne gratuite à tout athlète ayant remporté une médaille pendant les Jeux. Pour recevoir la récompense, les athlètes n’avaient qu’à publier une photo d’eux-mêmes imitant la pose bien connue de Bolt sur le podium et à identiqueter ce dernier. La campagne est devenue virale. Le résultat? G.H. Mumm a pu atteindre le vaste public dont jouissaient ces athlètes sans être un commanditaire officiel. Puisque Bolt ne participait pas aux JO, on pouvait difficilement alléguer que le fait de l’identiqueter sur les photos de podium contrevenait à la Règle 40 de la Charte olympique (voir ci-dessous et notre prochain article sur ce sujet!)
De nombreux pays et territoires, dont le Canada, n’ont pas de lois qui traitent explicitement du marketing insidieux; les pratiques y afférentes se retrouvent donc dans une zone grise. Compte tenu de ce vide juridique, le marketing insidieux est assujetti à la réglementation générale en matière de publicité, notamment aux lois sur la PI et à l’interdiction de faire des indications fausses ou trompeuses. Notons que celle-ci s’applique en vertu de la Loi sur la concurrence (législation fédérale) et des lois provinciales sur la protection des consommateurs.
Rappelons encore une fois qu’il y a moyen de faire du marketing insidieux sans enfreindre les lois applicables ni les droits de PI de tiers. Pour atténuer les risques juridiques encourus, les marques doivent s’abstenir de reproduire les logos, les noms, les vêtements et autres éléments de PI protégés étant liés à un événement. Elles doivent aussi éviter de donner la fausse impression qu’elles commanditent un événement ou qu’elles y sont associées de manière officielle.
Ceci dit, avant de se lancer, les entreprises doivent tenir compte des risques potentiels. Pensons, par exemple, à des entités médiatiques qui ont conclu des partenariats avec l’organisateur d’un événement et agissent donc à titre de « diffuseurs officiels ». Ces entités pourraient parfaitement bien refuser de diffuser certaines publicités si elles (ou l’organisateur de l’événement) jugent que celles-ci exploitent les droits ou les avantages réservés aux commanditaires officiels. Il faut également tenir compte des risques en matière de relations publiques. Par exemple, le public amateur est averti : il sait faire la différence entre les commanditaires qui payent de larges sommes pour soutenir les événements et les athlètes, et les marques qui semblent chercher à profiter de l’engouement collectif sans apporter de soutien véritable.
Dans le contexte des grands événements sportifs, une série de mécanismes ont été mis en place pour freiner le marketing insidieux et protéger la PI. Il va aussi sans dire que les commanditaires d’événements bénéficient des protections offertes à tous les titulaires de droits de PI, notamment en vertu de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur le droit d’auteur. De plus, les marques associées au Mouvement olympique sont protégées par la Loi sur les marques olympiques et paralympiques. Soulignons donc qu’en violant les droits de PI d’un tiers, les entreprises s’exposent non seulement au risque d’enfreindre ces lois, mais aussi à des poursuites judiciaires et sanctions financières très coûteuses.
Toujours dans l’idée de protéger leurs intérêts, certains organisateurs d’événements établissent leurs propres règles, qui bien qu’elles n’aient pas force de loi, peuvent devenir « exécutoires » par des moyens de facto. Les médias diffuseurs d’un événement peuvent notamment y consentir dans le cadre d’un partenariat officiel avec l’organisateur. Dans un autre cas de figure, l’organisateur peut exiger que les athlètes respectent de telles règles comme condition de participation à un événement.
À titre d’exemple, à la Règle 7 de la Charte olympique, le CIO affirme détenir des droits exclusifs sur l’ensemble des « propriétés olympiques », notamment :
« Le symbole, le drapeau, la devise, l’hymne, les identifications (y compris, mais sans s’y restreindre, « Jeux Olympiques » et « Jeux de l’Olympiade »), les désignations, les emblèmes, la flamme et les flambeaux (ou les torches) olympiques, […] ainsi que toute œuvre musicale ou audiovisuelle, création ou objet commandés en relation avec les Jeux Olympiques. »
En outre, la Charte olympique prévoit à la Règle 40 que les athlètes participant aux Jeux :
« …peuvent permettre que leur personne, leur nom, leur image ou leurs performances sportives soient exploités à des fins publicitaires pendant les Jeux Olympiques conformément aux principes déterminés par la commission exécutive du CIO. »
(Au cours des prochaines semaines, nous publierons un article sur les restrictions établies par la Règle 40, particulièrement en ce qui a trait aux athlètes d’Équipe Canada et à leurs commanditaires individuels.)
Autre mesure préventive, les pays hôtes peuvent adopter des lois spécifiques en vue de protéger la PI associée aux compétitions se déroulant sur leur territoire. Mentionnons qu’en préparation aux JO de2010 à Vancouver, le Canada avait adopté la Loi sur les marques olympiques et paralympiques[1], établissant ainsi des directives strictes quant à l’utilisation des diverses marques de commerce liées aux Jeux olympiques et paralympiques.
Lorsqu’utilisé de manière consciencieuse, le marketing insidieux peut s’avérer un moyen efficace et peu coûteux de profiter des retombées d’événements internationaux d’envergure. Mais il s’agit néanmoins d’une pratique comportant des risques considérables sur les plans réputationnel et financier.
Pour lancer une campagne de marketing insidieux, il est impératif de savoir tenir compte des lois sur les marques de commerce et sur les droits d’auteur, d’éviter les tactiques trompeuses et de respecter les exigences spécifiques imposées par les organisateurs d’événements (comme la Règle 40 de la Charte olympique). Les marques doivent également penser aux conséquences non juridiques auxquelles elles s’exposent, notamment la mise en péril de leurs relations avec les médias diffuseurs et l’image négative que l’utilisation de telles tactiques peut générer aux yeux du public.
Au cours des semaines à venir, nous publierons une série d’articles afin d’explorer ces questions plus en détail et d’aider les propriétaires de marques à éviter les aléas de la publicité tout au long de cette saison estivale d’événements sportifs.
À vos marques, prêts…surveillez nos prochaines publications!
[1] L.C. 2007, ch. 25
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