La décision récemment rendue par la Cour d’appel du Québec dans une affaire opposant Terrassement St-Louis Inc. (ci-après « Terrassement ») à une société d’État soulève des enjeux en matière d’accès à la justice. En effet, les clauses d’arbitrage sont généralement respectées par les tribunaux en raison de leur efficacité dans la résolution des différends. Néanmoins, leur application peut soulever des difficultés lorsqu’elles imposent des modalités rigides à des cocontractants en position économique désavantageuse.

Dans cette affaire, Terrassement réclame des sommes impayées en vertu d’un contrat relatif à des travaux environnementaux[1]. Nonobstant la clause d’arbitrage et la clause d’élection de for désignant le district judiciaire de Montréal dans les documents d’appel d’offres publics, Terrassement introduit son recours devant les tribunaux civils du district de Chicoutimi. Ce choix de district fut contesté par une demande de renvoi à l’arbitrage ainsi qu’un moyen déclinatoire[2].

Décision de la Cour supérieure

Opposée à une demande de renvoi à l’arbitrage, la Cour supérieure conclut à l’invalidité de la clause d’arbitrage au motif que cette dernière est abusive. Dans son analyse, la Cour conclut dans un premier temps que le contrat, issu d’un appel d’offres public, constitue un contrat d’adhésion. En effet, en sa position de soumissionnaire, Terrassement a été retenue pour l’exécution des travaux dont les conditions essentielles du contrat ont été établies unilatéralement par Hydro-Québec par les documents d’appel d’offres[3]. N’ayant pas fait l’objet d’une libre négociation entre les parties, la Cour estime que la clause d’arbitrage, reproduite ci-après, crée un fardeau financier important au détriment de l’adhérente[4]:

18.7 ARBITRAGE

18.7.1 Clause d’arbitrage

Les parties conviennent que tout désaccord, différend ou toute réclamation relative au présent contrat ou découlant directement ou indirectement de son interprétation ou de son application sera tranché de façon définitive et exclusive par voie d’arbitrage, et à l’exclusion des tribunaux, selon les lois du Québec. À moins que les parties n’en décident autrement dans une convention d’arbitrage, l’arbitrage se déroulera sous l’égide de trois arbitres, sera confidentiel et sera conduit en français, à Montréal, conformément aux règles de droit et aux dispositions du Code de procédure civile du Québec en vigueur au moment de ce différend. La sentence arbitrale sera finale, exécutoire et sans appel et liera les parties.

Le cœur du litige découle de ce contexte dans lequel l’imposition d’un processus de règlement de différends devant un tribunal d’arbitrage à trois arbitres, combinée à la valeur relativement modeste du litige (253 128 $), engendre un fardeau financier disproportionné pour l’adhérente compromettant de fait son accès à la justice[5].

La position de la Cour d’appel

La Cour d’appel reconnaît et confirme que, dans le contexte particulier d’un appel d’offres, les principales conditions contractuelles, incluant les clauses d’arbitrage et d’élection de for, sont imposées unilatéralement au cocontractant. Cette absence de négociation confère au contrat sa nature de contrat d’adhésion[6].

Selon l’avis de la Cour, la clause d’arbitrage imposée par Hydro-Québec ne prévoyait aucun mécanisme différencié selon le montant réclamé. Quelle que soit l’importance de la somme en jeu, le contrat impose un arbitrage devant un tribunal composé de trois arbitres, entraînant des frais significatifs. Par conséquent, l’entreprise régionale Terrassement aurait vu sa réclamation neutralisée par les coûts élevés de l’arbitrage. Suivant la juge de première instance, la Cour d’appel estime qu’une telle exigence rend la procédure inadaptée dans les cas où la valeur du litige est peu élevée[7].

En considérant le déséquilibre de force entre les parties, la Cour est d’avis que cette clause d’arbitrage confère un avantage indu à la société d’État et prive Terrassement de la possibilité concrète de faire valoir sa réclamation. Essentiellement, cette conclusion repose principalement sur la situation économique de Terrassement, sur le montant modeste en jeu, et sur le constat que les frais d’un arbitrage à Montréal, devant trois arbitres, excéderaient vraisemblablement la somme réclamée.

La clause litigieuse apparaît ainsi comme ayant été rédigée seulement pour des litiges de grande envergure. Elle ne prévoit ni modulation du nombre d’arbitres, ni procédure d’arbitrage simplifiée ou accélérée, ni intervention possible de l’institution d’arbitrage en l’absence de consentement mutuel. L’absence de tout mécanisme de simplification ou d’adaptation rend cette clause excessivement rigide. Appliquée à un litige de moindre envergure, la Cour considère qu’elle s’avère abusive, bien que le contrat global soit de grande valeur[8].

Il est reconnu que les arbitres disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire pour encadrer la procédure. Or, ils n’ont pas la compétence d’adapter l’application concrète de la clause au contexte d’un litige en diminuant le nombre d’arbitres. La Cour note qu’une clause prévoyant expressément une voie accélérée pour les réclamations de moindre valeur aurait pu atténuer le caractère déraisonnable de la clause[9].

Ce qu’il faut retenir

Sous la plume du juge Ruel et dans une optique de respect du droit d’accès à la justice et de la valorisation de l’arbitrage en tant que modèle de règlement de différends, la Cour rappelle que l’examen du caractère excessif d’une clause doit tenir compte d’un critère subjectif, à savoir la situation particulière du cocontractant et les obstacles pratiques à l’exécution de cette clause[10]. Elle souligne également l’importance de rédiger des clauses d’arbitrage suffisamment souples pour permettre une adaptation aux caractéristiques propres à chaque litige, notamment lorsque les sommes en jeu varient de façon significative. Elle précise que les modalités prévues par une convention d’arbitrage ne doivent pas restreindre l’accès effectif à la justice[11].

L’affaire Hydro-Québec c. Terrassement St-Louis inc. met en lumière les tensions persistantes entre efficacité contractuelle et justice procédurale. En proposant l’adoption de clauses d’arbitrage souples et adaptables, la Cour d’appel ne se contente pas de trancher un litige, elle offre une vision prospective du droit contractuel public, plus juste, équilibrée et respectueuse des réalités des entreprises.

Comment Gowling WLG peut vous aider

Gowling WLG compte dans son équipe des professionnels qui demeurent à votre disposition pour vous proposer des solutions adaptées et efficaces en matière de rédaction contractuelle. Nous vous invitons à communiquer avec un membre de notre équipe pour votre prochain projet en infrastructures.

 



[1] Terrassement Saint-Louis c. Hydro-Québec, 2024 QCCS , para. 53.

[2] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900, para. 52 et 57.

[3] Terrassement Saint-Louis c. Hydro-Québec, 2024 QCCS , para. 80.

[4] Terrassement Saint-Louis c. Hydro-Québec, 2024 QCCS , para. 91-92.

[5] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900, para. 24.

[6] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900, para. 13-14.

[7] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900, para. 17.

[8] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900, para. 22.

[9] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900, para. 23.

[10] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900, para. 24.

[11] Hydro-Québec c. Terrassement Saint-Louis, 2025 QCCA 900.