James H. Buchan
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Trademark Agent
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Une marque non-employée au Canada risque d’être annulée ou radiée en vertu de la Loi sur les marques de commerce, trois ans à compter de la date de son enregistrement.
Depuis de nombreuses années, les concurrents souhaitant faire radier du Registre des marques de commerce du Canada les enregistrements qui leur font obstacle ont recours aux dispositions relatives à l’annulation. Toutefois, depuis janvier 2025, le registraire des marques de commerce (le registraire), de sa propre initiative, procède à des annulations d’enregistrements de manière aléatoire.
Ce qui suit vise à offrir aux propriétaires d’enregistrements de marques de commerce au Canada des conseils pratiques pour les aider à réagir en cas de réception d’un avis d’annulation de leur marque.
Une fois qu’une marque de commerce est enregistrée au Canada depuis au moins trois ans, quiconque peut demander au registraire de procéder à l’annulation de son enregistrement, en totalité ou en partie.
Si la demande est acceptée, le registraire émet un avis en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce au propriétaire inscrit de la marque visée, lui enjoignant de prouver que sa marque est employée au Canada. Cet « avis en vertu de l’article 45 » exige que le propriétaire inscrit dépose une preuve (sous forme d’affidavit ou de déclaration solennelle étayée par des pièces justificatives) qui explique et qui démontre que la marque visée a été employée au Canada au cours des trois années précédant la date de l’avis, et ce, à l’égard de chacun des produits et services enregistrés.
Lorsqu’une marque de commerce n’a pas été employée au Canada en lien avec les produits et services enregistrés durant la période pertinente, le propriétaire inscrit peut présenter une preuve établissant l’existence de « circonstances spéciales » justifiant ce défaut d’emploi, mais ces circonstances ont une portée restreinte.
Les exigences relatives à l’emploi d’une marque diffèrent selon qu’il s’agit d’une marque en lien avec un produit ou un service. Contrairement à la situation qui se présente en lien avec un produit, l’emploi d’une marque en lien avec un service n’a pas à être démontré dans le cours normal du commerce. Une marque de commerce est considérée comme employée en lien avec des services tant qu’elle est affichée lors de l’exécution des services ou dans l’annonce de ces derniers.
Pour cette raison, les professionnelles et professionnels en marques de commerce conseillent souvent à leurs clients d’obtenir des enregistrements couvrant à la fois les produits et les services, le cas échéant, afin de rendre ces enregistrements aussi robustes et efficaces que possible sur le plan de leur application.
Produits
Une marque de commerce est employée en lien avec des produits si elle est apposée sur les produits mêmes, sur leur emballage, ou si elle est autrement clairement associée aux produits au moment où ceux-ci sont vendus ou transférés à l’acheteur au Canada dans le cours normal du commerce. La preuve de l’emploi de la marque doit être fournie pour chacun des produits spécifiés dans l’enregistrement. Le défaut de démontrer l’emploi de la marque pour un produit donné dans le cours normal du commerce entraînera l’annulation de l’enregistrement de ce produit (sous réserve de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi).
Les ventes symboliques sont insuffisantes pour maintenir un enregistrement de marque de commerce. Si la preuve démontre un volume de ventes minime ou très faible, le déclarant doit expliquer pourquoi ces faibles volumes de ventes s’inscrivent dans le cours normal du commerce du propriétaire inscrit de la marque. (Wallace v. Geoservices (1988), 1988 CanLII 10168 (CA TMOB)).
Si le cours normal du commerce d’un produit de marque fait intervenir des intermédiaires dans la chaîne d’approvisionnement, il faut fournir la preuve qu’au moins une étape du transfert de la propriété ou de la possession des produits a eu lieu au Canada afin d’établir l’emploi de la marque au Canada (Manhattan Industries Inc. c. Princeton Mfg. Ltd., [1971] F.C.J. No. 1012).
En résumé, pour maintenir l’enregistrement de produits dans le cadre d’une procédure d’annulation au Canada, le propriétaire de la marque doit démontrer qu’il a vendu chacun des produits enregistrés en lien avec la marque au Canada, dans le cours normal du commerce, au cours de la période des trois ans précédant l’avis en vertu de l’article 45. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de démontrer des ventes importantes ou à l’échelle du Canada, il faut présenter des preuves claires du cours normal du commerce, y compris le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement jusqu’à l’acheteur au Canada, afin de conserver l’enregistrement des produits.
Services
Une marque de commerce est considérée comme « employée » en lien avec des services si elle est affichée lors de l’exécution de ces services ou dans l’annonce de ces derniers. Le terme « services », bien que non défini dans la Loi sur les marques de commerce, a fait l’objet d’une interprétation large et libérale par les tribunaux canadiens, qui ne font d’ailleurs pas de distinction entre les services principaux, accessoires ou incidents. Tant que des membres du public canadien, généralement des consommateurs finaux ou des acheteurs de services, retirent un avantage de l’activité, les tribunaux considèrent que la marque est employée en lien avec des services (TSA Stores, Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273).
Le cas particulier des services en ligne et des plateformes de commerce électronique
Cette différence nuancée dans la démonstration de l’emploi d’une marque en lien avec des services se présente souvent dans le contexte des entreprises de commerce de détail exerçant leurs activités sur des plateformes de commerce électronique. Les plateformes de vente au détail numériques atteignent souvent des consommateurs et des marchés là où le propriétaire de la marque ne possède aucun point de vente physique, voire là où les produits ne sont pas directement offerts pour la vente par le détaillant aux résidents canadiens.
À la limite de la notion d’emploi d’une marque au Canada, on trouve toutefois des situations où aucun produit de marque n’est vendu à des résidents du Canada, mais où un enregistrement pour des « services de vente au détail » ou des « services de restauration » est maintenu en raison des interactions en ligne entre des résidents canadiens et le propriétaire de la marque[1].
Par exemple, dans l’affaire TSA Stores, Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2011 CF 273, la Cour fédérale a maintenu un enregistrement visant l’« exploitation de magasins de détail spécialisés dans la vente de matériel et de vêtements de sport » au motif que le site Web de l’entreprise, consulté par plus de 300 000 Canadiens pendant la période pertinente, fournissait aux consommateurs canadiens des renseignements utiles, comparables à ceux obtenus auprès d’un vendeur dans un magasin traditionnel.
Ces renseignements comprenaient : un service « Help Me Choose Gear » (Aidez-moi à choisir mon équipement), qui offrait des descriptions de produits détaillées et des informations sur la manière de choisir le bon produit, la taille et l’entretien de ceux-ci; un service « Shoe finder » (Trouvez chaussure à votre pied), qui permettait aux utilisateurs d’identifier la chaussure de course la mieux adaptée à leurs besoins; et un localisateur de magasins, qui permettait aux Canadiens de trouver le magasin le plus proche aux États-Unis.
De même, dans l’affaire Dollar General Corporation c. 2900319 Canada Inc., 2018 CF 778, la Cour fédérale a maintenu l’enregistrement visant des « services de magasin de détail populaire », au motif que le propriétaire inscrit exploitait un site Web de commerce électronique (consulté par des Canadiens) en lien avec la marque. Ce site Web permettait aux clients au Canada de consulter les détails des produits, leurs prix et leur disponibilité, ainsi que d’effectuer des achats en ligne avec une carte de crédit ayant une adresse de facturation canadienne, les produits pouvant ensuite être livrés soit à une adresse aux États-Unis, soit à un service d’expédition tiers que le client devait payer pour les faire expédier au Canada.
Dans cette affaire, un autre motif important de la décision était que la section des informations de facturation du site du propriétaire proposait « Canada » dans le menu déroulant et comportait des champs intitulés « Province » et « Code postal », ce qui démontrait une orientation et une interaction claires avec les résidents du Canada ainsi qu’avec ceux des États-Unis.
Plus récemment, dans l’affaire The Little Brown Box Pizza, LLC v. DJB, 2024 CF 1592, la Cour fédérale a maintenu un enregistrement de marque pour des « services de restauration » au motif que le propriétaire avait offert des services de restauration accessoires à des consommateurs canadiens pendant la période pertinente, par l’entremise de son site Web et de son application mobile portant la marque. La preuve a démontré qu’au moyen de ces plateformes en ligne arborant la marque, les consommateurs canadiens pouvaient rechercher des restaurants aux États-Unis, consulter le menu du propriétaire inscrit, passer et enregistrer des commandes personnalisées de pizzas pour des commandes futures, et recevoir des informations sur les produits du propriétaire. Le propriétaire inscrit a également expliqué que la personnalisation des pizzas faisait partie intégrante de son offre, qu’il prenait des mesures pour s’implanter au Canada, et il a également mentionné la diffusion de publicités en ligne sur les réseaux sociaux, que la Cour a jugée comme étant destinée à cibler les consommateurs canadiens.
Ces éléments de preuve, combinés au fait que le site Web de la marque avait été consulté par plusieurs milliers d’utilisateurs canadiens et que l’application mobile avait été téléchargée par au moins un d’entre eux, ont suffi à démontrer que la marque avait été employée pour des services de restauration au Canada pendant la période pertinente.
Si vous recevez un tel avis en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, vérifiez si votre situation correspond à l’un des cas suivants :
Si des résidents canadiens ont acheté et acquis des produits de marque dans le cours normal du commerce et se sont vu offrir des services directement par le propriétaire de la marque ou par le titulaire de sa licence au Canada, cette activité est susceptible d’être considérée comme un « emploi » de la marque au Canada en lien avec les produits et services.
Si des résidents canadiens ont acheté et acquis des produits de marque dans le cours normal du commerce et se sont vu offrir des services par l’entremise d’intermédiaires, cette activité est susceptible d’être considérée comme un « emploi » de la marque en lien avec les produits et services.
Même sans présence physique au Canada, si les résidents du Canada peuvent accéder au site du propriétaire de la marque pour passer et faire le suivi des commandes de produits expédiés et reçus ou récupérables au Canada dans le cours normal du commerce, cette activité sera susceptible d’être considérée comme un « emploi » de la marque au Canada en lien avec les produits.
Si le propriétaire d’une marque exploite un site Web ou une plateforme en ligne au Canada qui est accessible ou a été consulté par des Canadiens, et qui offre un degré suffisant d’interactivité et d’avantages aux consommateurs canadiens, de sorte que les services proposés s’apparentent à ceux que l’on pourrait recevoir « en personne », cela peut suffire à maintenir l’enregistrement pour les services dans certains cas. Le maintien de l’enregistrement pour les services dépendra toutefois de la force probante des preuves soumises et de la capacité à démontrer que le consommateur canadien a pu bénéficier d’un avantage.
Si vous avez des questions concernant le statut de vos marques de commerce, n’hésitez pas à communiquer avec l’une ou l’un des auteurs de cet article, ou avec un membre de l’équipe Marques de Commerce de Gowling WLG
[1] Les « services hôteliers » ont été maintenus dans l’affaire Miller Thomson LLP c. Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134, bien qu’aucun hôtel ne soit situé au Canada, car les consommateurs pouvaient payer et réserver des chambres d’hôtel depuis le Canada. La Cour d’appel fédérale a énoncé le principe suivant : « Il doit y avoir, au minimum, un degré suffisant d’interactivité entre le propriétaire de la marque de commerce et le consommateur canadien pour que l’emploi de la marque au Canada soit établi par l’utilisation de services sur Internet ».
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