Déménagement forcé : la clause de résiliation extrajudiciaire dans les baux commerciaux comme outil essentiel à utiliser avec prudence

29 juin 2017

Auteurs : Mona Kiwan et Alexandre Forest

En cette période de déménagements dans le domaine de la location résidentielle, il importe de rappeler que si les locateurs commerciaux ne sont pas nécessairement amenés à négocier et conclure de nouveaux baux à la même période, certains conseils méritent d’être répétés… à longueur d’année!

Dans l’aménagement de leurs relations contractuelles, les bailleurs peuvent se protéger efficacement des locataires qui ne respectent pas leurs obligations, potentiellement sans même avoir recours au lourd et coûteux processus judiciaire. En effet, c’est en s’assurant d’insérer une clause de résiliation de plein droit dans le contrat de location qu’un locateur pourra mettre fin au bail avant terme sans l’intervention d’un tribunal. Dans l’exercice de cette faculté, le bailleur doit cependant faire preuve de vigilance. En effet, l’utilisation fautive ou abusive d’une telle clause peut être lourde de conséquences. Afin d’éviter un tel scénario, il s’avère fort utile de se pencher sur les principes applicables en la matière.

Les principes applicables

En matière de louage commercial, la résiliation judiciaire constitue la règle générale. Ainsi, lorsqu’un locateur désire résilier le bail et évincer son locataire pour non-respect de ses obligations contractuelles, il doit en principe s’adresser aux tribunaux. Il existe cependant une exception à cette règle. En effet, les parties au bail possèdent la faculté d’inclure une clause de résiliation extrajudiciaire aussi connue sous le nom de clause de résiliation de plein droit ou clause de résiliation ipso facto. La Cour d’appel du Québec a d’ailleurs à nouveau validé en 2013 la légalité de ce type de stipulations et en a confirmé la portée en matière de louage commercial[1].

À cet effet, trois (3) conditions doivent être respectées afin qu’un locateur puisse conclure à la résiliation extrajudiciaire d’un bail commercial :

  1. Le contrat de bail doit contenir une clause de résiliation de plein droit qui est expresse et claire.
  2. Le locateur doit s’assurer de ne pas intenter de recours judiciaire avant que le bail ne soit résilié de plein droit.
  3. Le bailleur ne doit pas lui-même être en défaut de ses obligations corolaires envers son locataire.

Effets de la clause de résiliation automatique

Mais quels sont au juste les effets concrets d’une telle clause? Advenant la survenance d’un défaut prévu au bail et suite à un avis du locateur, une telle stipulation a pour effet de provoquer la résiliation automatique du contrat. Dès lors, l’occupation des lieux par le locataire devient illégale. Le bailleur peut donc exiger que l’occupant libère les locaux de façon ordonnée et dans un délai raisonnable. La résiliation et la reprise des lieux n’ont pas non plus à être soumises à l’approbation préalable du tribunal, rendant cette alternative efficace et économique pour tout locateur commercial.

Dans une affaire récente[2], un commerçant expulsé de son local poursuivait en dommages le nouvel acquéreur de l’immeuble dans lequel il exploitait son dépanneur. En l’espèce, le propriétaire désirait démolir l’immeuble pour construire des bureaux locatifs. Puisque le locataire était en défaut de respecter plusieurs de ses obligations au contrat de location, le bailleur a décidé de résilier le bail de plein droit en invoquant la clause de résiliation extrajudiciaire prévue au bail. Le commerçant, qui alléguait que le bailleur cherchait seulement à mettre fin au bail pour détruire l’immeuble sans lui verser de compensation financière, a été débouté par la Cour supérieure qui a rejeté sa demande en dommages-intérêts. Il est par ailleurs intéressant de noter que dans ce cas, le locateur avait pris le risque de procéder à la destruction de l’immeuble malgré une procédure injonctive pendante devant les tribunaux, mais a tout de même eu gain de cause.

Un choix intéressant, mais requérant du doigté dans son application

Une telle clause s’avère un outil intéressant, même essentiel pour le bailleur. Cependant, lorsque cette même clause est appliquée de manière négligente ou abusive, le locateur risque d’entraîner sa responsabilité à l’égard du locataire. Ainsi, bien que le contrat de bail contienne une clause de résiliation automatique, le bailleur doit toujours s’assurer qu’elle s’applique aux circonstances en l’espèce et qu’elle couvre le défaut du locataire avant de pouvoir conclure à la résiliation du contrat. De plus, même si le locateur possède un droit clair à la résiliation extrajudiciaire, il doit s’assurer de ne pas faire preuve d’abus dans l’exercice de cette faculté. Dans de tels cas, et bien qu’en règle générale une telle stipulation permette d’éviter le recours aux tribunaux, un contrôle judiciaire subséquent pourrait s’imposer si le locataire décidait de contester le défaut allégué ou les agissements du locateur. C’est d’ailleurs pour cette raison que le propriétaire prévoyant doit faire preuve de prudence en utilisant cet outil. En outre, le locateur fautif pourrait être condamné à l’octroi de dommages et intérêts équivalents aux pertes subies par son cocontractant ou pire, le locataire pourrait même se voir octroyer le droit de réintégrer les locaux desquels il avait été expulsé plus tôt.

En effet, dans une décision récente[3], le propriétaire d’un dépanneur avait été expulsé de son local par le bailleur qui revendiquait l’application de la clause de résiliation de plein droit pour défaut de paiement de loyer. Le commerçant, par voie de demande d’injonction interlocutoire, a réussi à obtenir sa réintégration temporaire dans le local qu’il occupait depuis plus de trente ans. En l’espèce, le Tribunal a donné raison au locataire qui a réussi à opposer au bailleur son défaut de respecter son obligation corrélative de lui procurer la jouissance paisible des lieux. On peut s’imaginer l’atmosphère qui devait régner entre les parties suite à la réintégration du commerçant dans les lieux!

Par ailleurs, dans la décision de principe de la Cour d’appel ayant balisé l’application des clauses de résiliation extrajudiciaire en matière de baux commerciaux[4], un bail comprenant une clause de résiliation de plein droit était intervenu entre un locateur et un restaurateur. Peu de temps après l’ouverture du restaurant, une mésentente était survenue entre les parties quant au paiement du loyer. Le bailleur avait alors invoqué la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement et sommé le restaurateur de libérer le local occupé dans un délai de moins de 24 heures. Il avait ensuite fait changer les serrures du restaurant. Le Tribunal a conclu que dans les circonstances en l’espèce, le locateur n’avait pas droit à la résiliation ipso facto et que son comportement constituait un exercice abusif de cette faculté. Il a donc été condamné à payer au restaurateur expulsé des lieux des dommages compensatoires de plus de 30 000 $.

Conclusion

Bien que la clause de résolution de plein droit dans les baux commerciaux constitue un outil de taille pour faire face aux locataires récalcitrants, les propriétaires doivent faire preuve de prudence en l’utilisant. Somme toute, comme le dit si bien la Cour d’appel, « le contrôle judiciaire a posteriori vaut bien, dans ce contexte, le contrôle judiciaire a priori »[5].


[1] Société du Vieux-Port de Montréal inc. c. 9196-0898 Québec inc. (Scena), 2013 QCCA 380;

[2] Liu c. 350, 2017 QCCS 447;

[3] Dépanneur Diane inc. c. Metcap Living Management Inc., 2016 QCCS 1562;

[4] 9051-5909 Québec inc. c. 9067-8665 Québec inc., 2003 CanLII 55072 (QC CA);

[5] Ibid.


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