Le nouveau régime d’intégrité de TPSGC : chacun y trouve son compte

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01 juillet 2015

Le 3 juillet 2015, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (TPSGC) a adopté un nouveau régime d'intégrité plus souple pour les entreprises qui font affaire avec le gouvernement du Canada. Voilà une bonne nouvelle pour les sociétés qui sollicitent les marchés publics canadiens.

Le milieu des affaires reprochait à l'ancien cadre d'application du régime d'intégrité sa stricte politique d'inadmissibilité, de même que l'extension de ses règles aux entités affiliées. En effet, en vertu de la Politique d'inadmissibilité et de suspension, tout fournisseur éventuel était inadmissible à l'attribution de contrats pour les dix prochaines années s'il avait été trouvé coupable de certaines infractions criminelles, telles que l'extorsion ou la corruption, ou encore d'autres infractions prévues à la Loi sur la concurrence.

Cette disposition exigeante n'encourageait guère les entreprises à divulguer volontairement leur situation, ni à se doter de mécanismes plus rigoureux en matière de conformité. Ces dernières étaient bien conscientes qu'une interdiction de dix ans, sans possibilité d'exemption discrétionnaire, leur serait imposée si une infraction en matière d'intégrité était divulguée par elles-mêmes ou découverte par autrui.

Après de multiples activités de lobbying, le gouvernement a assoupli certaines des conséquences les plus lourdes. Les nouvelles dispositions tentent également d'être plus claires en ce qui concerne l'exécution des règles concernant l'intégrité.

À titre d'exemple, le nouveau régime d'intégrité permet aux fournisseurs éventuels qui ont été trouvés coupables d'infractions associées à l'intégrité de retrancher de moitié la période d'inadmissibilité s'ils démontrent qu'ils ont collaboré avec les autorités chargées de l'application des lois ou qu'ils ont pris des mesures correctrices en vue de remédier aux dits actes répréhensibles. Un fournisseur peut, en tout temps, demander de bénéficier d'une réduction de sa période d'admissibilité. Si sa demande est accueillie, il pourrait se voir imposer une entente administrative pour évaluer ses progrès, en vertu de laquelle il devra respecter certaines conditions. Parmi celles-ci pourraient figurer des mesures correctrices et des mesures de conformité, auxquelles le fournisseur éventuel devra satisfaire pour continuer à faire affaire avec le gouvernement canadien. Pour l'instant, toutefois, rien ne décrit précisément le libellé de ces ententes.

En plus de permettre une réduction de la période d'inadmissibilité, le nouveau régime autorise aussi les fournisseurs éventuels à faire appel à des tiers indépendants et qualifiés pour surveiller leurs progrès dans le cadre des ententes administratives. Les fournisseurs pourront aussi obtenir les services de tiers pour procéder à l'analyse de condamnations en vertu de lois étrangères ainsi que pour procéder à l'évaluation de leur implication dans des infractions commises par leurs organisations affiliées. Toutefois, nous n'avons actuellement aucune certitude quant au degré de participation et à l'ampleur de la divulgation jugés nécessaires dans le cadre de ces évaluations de tiers.

Voici la liste des principaux changements apportés par le nouveau régime d'intégrité :

Application à l'ensemble du gouvernement fédéral. Le régime d'intégrité s'applique à toutes les transactions d'approvisionnement et transactions immobilières des ministères et organismes du gouvernement fédéral. L'ancien régime ne visait que les marchés administrés par TPSGC et ses transactions immobilières.

Possibilité de réduire la période d'inadmissibilité. La période d'inadmissibilité est maintenue à une période de dix ans à compter de la date de la condamnation; cependant, le gouvernement peut la réduire à cinq ans s'il estime que le fournisseur éventuel a collaboré avec les autorités chargées de l'application des lois ou qu'il a pris des mesures correctrices dans le but de remédier aux actes répréhensibles qui ont mené à son inadmissibilité. Auparavant, on pouvait attendre jusqu'à dix ans pour imposer une période d'inadmissibilité; le nouveau régime limite la rétroactivité à trois ans.

Contrôle sur les sociétés affiliées. Auparavant, une société canadienne pouvait être déclarée inadmissible si l'une de ses sociétés affiliées était reconnue coupable d'un délit prescrit au Canada ou à l'étranger, même si elle n'avait aucun contrôle sur cette société et n'avait pas participé aux actes répréhensibles. Le nouveau régime stipule que le fournisseur doit exercer un certain contrôle sur la société affiliée pour que les gestes de celle-ci le rendent inadmissible. Plus précisément, le gouvernement devra avoir recours à une évaluation faite par un tiers pour déterminer si le fournisseur a été impliqué dans les actions de la société affiliée qui ont conduit à la culpabilité de cette dernière. En l'absence d'un contrôle sur celle-ci ou d'une participation à ses gestes, le fournisseur canadien demeurera admissible.

Nouvelle infraction. Le nouveau régime considère maintenant comme une infraction le fait de payer des honoraires conditionnels à une personne visée par la Loi sur le lobbying. Ce geste s'ajoute à la liste existante d'infractions commises au Canada ou d'infractions similaires commises à l'étranger qu'interdit le régime, soit : les activités anticoncurrentielles prohibées en vertu de la Loi sur la concurrence (complots (article 45), truquage d'offres (article 47), déclarations fausses ou trompeuses (article 52), etc.), l'évasion fiscale, l'extorsion, la corruption de fonctionnaires judiciaires, la corruption d'un agent public étranger, les commissions secrètes, le blanchiment d'argent, la violation criminelle de contrat, la manipulation frauduleuse d'opérations boursières, le délit d'initié, la contrefaçon et les infractions similaires et la falsification de livres et documents. Les sociétés qui ont fait une demande dans le cadre du Programme de clémence prévu à la Loi sur la concurrence restent assujetties à la politique d'inadmissibilité, mais leur participation à ce programme devrait leur permettre de soumettre une demande de réduction de la période visée.

Ententes administratives. Le nouveau régime d'intégrité permet au ministre de conclure une entente administrative avec certains fournisseurs éventuels présentant un risque (parce qu'ils ont été suspendus ou déclarés inadmissibles auparavant). Ces ententes peuvent comprendre des dispositions exigeant la mise en œuvre ou l'extension de programmes de conformité, de formation du personnel et d'audits indépendants, la divulgation du contenu des dossiers d'entrepreneurs ou d'autres mesures correctrices ou mesures de conformité.

Suspension de fournisseurs. Le gouvernement peut suspendre un fournisseur qui a été accusé d'avoir commis une infraction figurant à la liste ou un délit similaire à l'étranger ou qui a reconnu sa culpabilité à cet égard et ainsi l'empêcher de répondre à des appels d'offres pendant une période maximale de 18 mois. La suspension peut être prolongée si un processus judiciaire est en cours, par exemple si les accusations font l'objet d'une enquête. Le gouvernement peut également imposer au fournisseur, de manière provisoire, la conclusion d'une entente administrative qui lui évitera sa suspension.

Sous-traitants. Un fournisseur ne peut pas conclure un contrat avec un sous-traitant inadmissible dans l'exécution d'un contrat avec le gouvernement fédéral. Celui qui le ferait sciemment s'expose à cinq années d'inadmissibilité. En vertu du régime antérieur, le fournisseur pris en faute pouvait être automatiquement frappé d'inadmissibilité pour une période de dix ans. Le nouveau régime prévoit une exception permettant aux fournisseurs qui recourent aux services d'un sous-traitant inadmissible d'obtenir l'approbation préalable de TPSGC à cet égard.

Inadmissibilité permanente. Le nouveau régime frappe d'inadmissibilité permanente tout fournisseur reconnu coupable de fraude à l'endroit du gouvernement aux termes du Code criminel ou de la Loi sur la gestion des fonds publics.

Avis et application régulière de la loi. TPSGC instituera maintenant un mécanisme qui lui permettra d'informer de manière proactive les fournisseurs qui auront été déclarés inadmissibles aux marchés publics ou qui auront été suspendus après évaluation. Les fournisseurs pourront également demander une détermination anticipée de leur admissibilité et de celle de leurs sociétés affiliées. Le cadre d'application de l'ancien régime ne comportait aucune mesure d'application régulière de la loi.

Liste publique. En vertu du nouveau régime, TPSGC produira une liste publique des fournisseurs inadmissibles ou suspendus. La liste actuelle est encore vierge, mais la situation pourrait changer d'ici quelques semaines ou quelques mois.

Les changements qui se concrétisent par l'intermédiaire du nouveau régime d'intégrité contiennent des avantages pratiques pour les fournisseurs qui s'intéressent aux marchés publics. Le processus qui leur permet de demander la détermination anticipée de leur admissibilité leur donne l'occasion de confirmer leur capacité à faire affaire avec le gouvernement canadien avant même la mise en place d'un processus d'approvisionnement ou l'offre d'un marché (et avant tout investissement dans la participation à un appel d'offres). La détermination anticipée leur permet aussi d'obtenir du gouvernement canadien une évaluation de l'incidence des gestes de leurs sociétés affiliées sur leur propre admissibilité.

L'adoption du nouveau régime représente également une bonne nouvelle pour les fournisseurs qui comptent recourir à des sous-traitants, puisque la détermination anticipée de l'admissibilité peut s'étendre jusqu'aux sous-traitants que l'on se propose d'utiliser dans un marché à venir. La tâche des fournisseurs qui confient à une source externe la réalisation de mesures de diligence raisonnable exhaustives, à des fins de conformité, s'en trouvera ainsi allégée.

En dépit de ces changements, les multinationales qui exercent leurs activités au Canada et à l'international, doivent rester vigilantes en ce qui concerne l'application générale du régime d'intégrité, car bien des détails sur sa mise en œuvre sont toujours en développement. On ignore encore, par exemple, en quoi consisteront le libellé et la portée des ententes administratives, comment seront nommés les tiers indépendants et comment ils s'acquitteront de la surveillance desdites ententes. Le gouvernement canadien a déclaré que les modifications ont été adoptées pour faciliter l'harmonisation avec les meilleures pratiques internationales. Il a usé de son pouvoir discrétionnaire pour introduire de nouveaux éléments relatifs à l'inadmissibilité, en réponse aux inquiétudes de l'industrie, mais le nouveau régime continue d'adopter une approche fondée sur des règles. À l'opposé, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Australie et l'Union européenne ont adopté une approche discrétionnaire guidée par certains critères afin de déterminer l'inadmissibilité des fournisseurs. Il reste à établir si une démarche uniformisée, en cette matière, aura des effets plus graves sur certains fournisseurs et en épargnera d'autres.

Si vous désirez en savoir davantage, n'hésitez pas à communiquer avec Phuong Ngo, Graham Ragan et Jennifer Katsuno du groupe Marchés publics ou Glen Jennings et Davit Akman du groupe Enquêtes et droit pénal des affaires chez Gowlings.


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