Principe de Jordan : Nouvelle decision du Tribunal canadien des droits de la personne

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02 août 2017

Le 26 mai 2017, le Tribunal canadien des droits de la personne (« le Tribunal ») a rendu une nouvelle décision concernant la mise en œuvre du principe de Jordan par le gouvernement du Canada.

1.  Contexte : Élaboration et mise en œuvre du principe de Jordan

L’histoire derrière le principe de Jordan est celle de Jordan River Anderson, un jeune enfant de la Nation crie de Norway House né avec une maladie rare qui a nécessité son hospitalisation au cours des premières années de sa vie. En raison d’un manque de services médicaux disponibles dans sa collectivité, la famille de Jordan s’est tournée vers les services provinciaux de protection de l’enfance afin qu’il reçoive le traitement médical nécessaire. En raison d’un conflit de compétence entre le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral sur la question de savoir qui allait assumer les coûts d’un foyer d’accueil spécialisé à proximité des établissements médicaux à Winnipeg, Jordan a passé toute sa vie dans un hôpital, où il est décédé en 2005 à l’âge de cinq ans.

Afin de résoudre les conflits de compétence qui touchent les soins prodigués aux enfants des Premières Nations, la Chambre des communes du Canada a adopté une motion[1] en décembre 2007, appelée le « principe de Jordan ». Ce principe prévoit ce qui suit : « [...] dans les cas où un service gouvernemental est offert à tous les autres enfants, mais qu’un conflit de compétence surgit entre le Canada et une province ou un territoire ou encore entre différents ministères concernant les services fournis à l’enfant d’une Première Nation, le premier ministère contacté est celui qui paie pour les services et peut demander un remboursement à l’autre ministère ou gouvernement, une fois que l’enfant a reçu lesdits services »[2]. Ce principe de l’enfant d’abord a pour but d’empêcher que des enfants des Premières Nations se voient refuser des services publics essentiels ou tardent à recevoir de tels services.

À l’issue de l’adoption du principe de Jordan, des acteurs sociaux ont ciblé d’importantes lacunes concernant sa mise en œuvre. En 2014, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et Amnistie internationale ont déposé des mémoires auprès du Tribunal déclarant que l’interprétation actuelle du gouvernement fédéral du principe de Jordan est « limitée, restrictive, ambiguë, illégale et discriminatoire, causant la négation et le retard des services aux enfants dans le besoin »[3]. Par conséquent, pour résoudre ces lacunes dans la mise en œuvre et obliger le Canada à respecter ses obligations, quatre décisions ont été rendues par le Tribunal depuis 2016[4], et la quatrième a été rendue le 26 mai 2017.

2.  Décision du Tribunal du 26 mai 2017

Cette décision du Tribunal fait suite aux motions déposées par les plaignants[5] et les parties intéressées[6] afin de remettre en question la mise en œuvre du principe de Jordan par le Canada par rapport aux décisions du Tribunal susmentionnées. Les plaignants affirment que le Canada n’a pas respecté certaines des ordonnances du Tribunal à ce jour et demandent des ordonnances supplémentaires concernant des aspects précis du principe de Jordan. Le texte qui suit donne un aperçu des ordonnances du Tribunal à cet égard.

i.          Définition du principe de Jordan

Le Tribunal a reconnu que le Canada appliquait une définition limitée du principe de Jordan, ce qui n’est pas conforme aux ordonnances précédentes émises. Le Tribunal a donc ordonné, entre autres choses,  que la définition et l’application du principe de Jordan par le Canada reposent sur certains principes clés tels que l’application du principe à tous les enfants des Premières Nations, qu’ils résident ou non dans des réserves, ainsi que la non-limitation du principe aux enfants des Premières Nations ayant un handicap. Le Tribunal a également ordonné que le Canada révise les demandes de financement précédentes qui avaient été refusées, et ce, dans le but d’assurer la conformité par rapport aux principes clés présentés dans sa décision.

ii.         Changements dans le traitement et le suivi des cas visés par le principe de Jordan

En ce qui concerne le traitement des demandes, afin d’éviter les retards excessifs passés pointés du doigt par les plaignants, le Tribunal a ordonné au Canada d’élaborer et de modifier son processus entourant le principe de Jordan. Ainsi, il veillera à ce que le gouvernement contacté en premier évalue les besoins individuels d’un enfant qui demande des services en vertu du principe de Jordan, dans un délai de 12 à 48 heures suivant la réception de ladite demande. En outre, cette évaluation initiale ne devrait pas être retardée à cause de conférences sur le cas ou d’examens des politiques. Si la demande est accordée à l’issue de l’évaluation initiale, le Tribunal vient préciser que le ministère contacté en premier doit payer pour le service. En réponse à une absence de suivi officiel, le Tribunal a également ordonné la mise en œuvre de systèmes fiables pour assurer la détermination et le suivi des cas visés par le principe de Jordan.

iii.        Annonce de la définition conforme du principe de Jordan et de l’approche connexe

Le Tribunal a également conclu que le Canada doit mieux informer ses employés, les organismes avec lesquels il travaille ainsi que ses partenaires des Premières Nations afin qu’ils comprennent la nouvelle approche adoptée ainsi que les nouvelles ressources disponibles entourant le principe de Jordan[7]. Cette mesure est prise afin de s’assurer que les familles puissent réagir dans le cas où elles souhaiteraient aller de l’avant avec des cas potentiels et urgents qui pourraient relever du principe de Jordan.

iv.        Établissement des futurs rapports

Enfin, le Canada devra signifier et déposer des rapports ainsi que des affidavits précisant qu’il se conforme à chacune des ordonnances rendues par le Tribunal d’ici le 15 novembre 2017[8].

3.  Étapes suivantes 

Le débat relatif à la mise en œuvre du principe de Jordan demeurera ouvert tant que le Tribunal conservera sa compétence par rapport aux ordonnances susmentionnées dans le but de s’assurer qu’elles sont mises en œuvre de façon efficace et valable[9].


[1] Chambre des communes du Canada, motion 296, 12 décembre 2007.

[2] Supra, note 1, paragraphe 2.

[3] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, Le Principe de Jordan : Un bref historique, (Page consultée le 10 juillet 2017).

[4] 2016 TCDP 2; 2016 TCDP 10; 2016 TCDP 16; 2017 TCDP 14.

[5] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et Assemblée des Premières Nations

[6] Chiefs of Ontario; Amnistie internationale; Nation nishnawbe-aski.

[7] Supra, note 1, paragraphe 112.

[8] Id., p. 60.

[9] À l’issue de la décision rendue par le Tribunal le 26 mai 2017 concernant le principe de Jordan, le Canada a demandé un contrôle judiciaire de la Cour fédérale afin d’obtenir des précisions sur deux aspects précis des ordonnances relatives aux demandes de services qui 1) doivent être traitées dans un délai de 12 à 48 heures; et 2) doivent être traitées sans conférence sur les cas.


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