Un créancier hypothécaire est en droit de réclamer des frais conservatoires au Québec

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01 septembre 2015

Dans une décision récente de la Cour supérieure1, l’honorable Lucie Fournier a interprété la notion de frais conservatoires qu’un créancier hypothécaire est en droit de réclamer en vertu de l’acte de prêt hypothécaire ainsi que la notion de frais engagés par un représentant pour recouvrir les sommes dues en raison du prêt.

Contexte

La Banque de développement du Canada (« BDC ») réclame de la compagnie 9183-1164 Québec Inc. (« 9183 ») ainsi que la compagnie 9074-9094 Québec Inc. (« 9074 ») le solde d’un prêt de 190 467,26 $ en capital et intérêts ainsi que des dommages liquidés de 9 523,86 $. BDC réclame également la somme de 36 748,93 $ à deux cautions à ce prêt. Il est important de préciser que les défendeurs à l’action soit 9183, 9074 ainsi que les cautions ne contestent pas l’existence du prêt ainsi que les cautionnements. Toutefois, ils allèguent que le solde devrait être moindre car les frais de décontamination ainsi que les frais extrajudiciaires ont été ajoutés sans droit à la réclamation.

Faits

En octobre 1999, la compagnie 9074 a acquis d’une société en commandite un immeuble qui était hypothéqué en faveur de la BDC.

En 2006, 9074 met en vente l’immeuble hypothéqué en faveur de la BDC. Le nouvel acquéreur souhaite financer son acquisition par un prêt auprès de la BDC qui exige toutefois une étude environnementale. La compagnie SCP Environnement Inc. (ci-après « SCP ») fait une évaluation environnementale et conclut à la nécessité d’effectuer des travaux de réhabilitation de l’immeuble. Il est important de préciser que la compagnie 9074 exploitait un commerce d’automobiles usagées. Toutefois, pour diverses raisons, la vente ne se réalise pas.

En raison de ce qui précède, la BDC décide d’acquitter les coûts de réhabilitation encourus par SCP estimant qu’il s’agit de frais conservatoires engagés dans le but de protéger sa garantie.

En juin 2007, 9074 vend l’immeuble en question à la compagnie 9183 au prix de 175 000 $.

En mai 2012, la BDC intente une requête introductive d’instance dans le présent dossier2. À l’encontre de cette requête, 9074 allègue comme moyen de défense qu’une somme de 33 615,25 $ a été ajoutée aux sommes dues à titre de frais de décontamination, que d’autres débours ont été ajoutés sans justification ni autorisation à la dette, qu’ils ne sont pas en défaut de rembourser le prêt et que la BDC a agi de mauvaise foi.

La BDC a également signifié une requête introductive d’instance amendée réclamant une somme de 30 157,98 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires qu’elle soutient avoir droit en vertu des termes de l’acte de prêt.

Analyse

La Cour doit répondre à deux questions soit :

  • Les coûts de décontamination consistent-ils un débours conservatoire selon la définition qu’en donne l’acte de prêt;
  • La BDC a droit aux honoraires extrajudiciaires payés à ses avocats ainsi qu’aux dommages liquidés de 9 523 ,86 $ prévus à l’acte de prêt.

Frais de décontamination

La BDC a acquitté des frais pour l’évaluation environnementale ainsi que pour les travaux de réhabilitation effectués par la compagnie SCP sur l’immeuble de 9074. La BDC allègue que tant la compagnie 9074 que les cautions ont consenti à l’exécution de ces travaux et à ce que la BDC les paie et les ajoute au montant de la dette totale due à cette dernière. Elle soutient au surplus que ces frais sont inclus dans les débours conservatoires qu’elle a droit de réclamer à la compagnie 9074 aux termes de l’acte de prêt en vertu de la clause suivante :

XI GENERAL CONDITIONS           

[…]

« All sums paid by the Lender for maintaining and preserving the security given in respect of the loan, as well as a reasonable remuneration for services rendered by any representative of the Lender, shall be immediately payable to the Lender by the Borrower, shall be added to the Principal Sum, shall bear interest at the rate hereinabove stipulated, computed from the time it is paid out and shall be entitled to benefit from the same security

Le tribunal mentionne qu’étant donné la nature du commerce exploité par la compagnie 9074, soit le commerce d’automobiles usagées, il allait de soi au moment de la vente en 2006 de procéder à une évaluation environnementale et à des travaux de réhabilitation. Toutefois, le tribunal revient sur l’impasse de la vente en 2006 et mentionne qu’à ce moment, en raison des travaux qui étaient déjà commencés par la compagnie SCP, la BDC n’avait d’autre choix que de rassurer SCP que cette dernière serait payée pour les travaux de réhabilitation qu’elle exécutait.

La BDC plaide qu’à de multiples reprises la compagnie et les cautions ont été informées du paiement de ces frais et que ce n’est qu’une fois que la transaction de vente a échoué que les cautions ont remis en question les sommes payées par la BDC à SCP.

Le tribunal mentionne que sur la preuve qui lui a été soumise, il est d’avis que tant la compagnie 9074 que les cautions ont consenti à ce que les frais engagés par SCP pour l’étude environnementale et la

réhabilitation soient payés par la BDC. Le tribunal mentionne que non seulement la compagnie 9074 a consenti au paiement des frais de décontamination, mais elle précise que l’acte de prêt prévoit que ces frais peuvent être ajoutés à la dette compte tenu qu’il s’agissait de frais encourus afin de protéger la créance de la BDC compte tenu notamment de la nature des activités exercées par la compagnie 9074 à l’immeuble3.

Honoraires extrajudiciaires et dommages liquidés

La BDC réclame la somme de 30 157,98 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires qu’elle a engagés et prétend avoir droit à ces frais en raison d’une clause dans l’acte de prêt :

XI GENERAL CONDITIONS           

[…]

« All sums paid by the Lender for maintaining and preserving the security given in respect of the loan, as well as a reasonable remuneration for services rendered by any representative of the Lender, shall be immediately payable to the Lender by the Borrower, shall be added to the Principal Sum, shall bear interest at the rate hereinabove stipulated, computed from the time it is paid out and shall be entitled to benefit from the same security. »

La BDC prétend également avoir droit à une somme de 9 523,86 $ à titre de dommages liquidés aux termes de la présente clause :

XVIII INDEMNITY

« In addition to the amount due and payable under the section « PREPAYMENT », and in all the cases referred to under the section « EVENTS OF DEFAULT » where the Lender receives payment of the Borrower’s debt before the end of the stipulated term, and if such payment is made following any judicial sale, bankruptcy, liquidation or any other judicial proceedings, the Lender shall be entitled to receive, in addition to the aggregate amount then owing here-under in principal, interest, costs, and accessories, an indemnity equal to five per centum ( 5% ) of said amount due as liquidated damages. »

Après avoir revu les principes de la décision Groupe Van Houtte4, la juge Fournier vient à la conclusion que les deux clauses font doubles emplois et, qu’ainsi, il y a lieu d’analyser le caractère

raisonnable des honoraires qui sont réclamés dans le contexte du présent litige afin de vérifier s’il y a lieu de les réduire.

Ainsi, la Cour revoit à la baisse les sommes dues à titre d’honoraires extrajudiciaires en revoyant les comptes d’honoraires des procureurs de la BDC. Suivant cet exercice de la discrétion judiciaire, le Tribunal conclut que les montants réclamés à titre d’honoraires extrajudiciaires (30 157,98 $) ainsi que l’indemnité pour les dommages liquidés (9 523,86 $) doivent être réduits à un montant total de 15 000,00 $.

 

1 Banque de développement du Canada c. 9183-1164 Québec Inc., 2005 CC S 3484

2 La BDC avait émis un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire, mais a finalement décidé de ne pas entreprendre de recours hypothécaire.

3 Également, dans une décision rendue par la Cour d’appel en novembre 2002, la Cour est venue préciser que les frais conservatoires comprennent notamment « toutes les dépenses nécessaires à l’entretien et à la préservation de l’immeuble qui permet de maintenir la valeur économique et marchande (les frais de réparation, de supervision et d’administration, par exemple). Marinacci c. Marinacci et al., AZ-50151205

4 Groupe Van Houtte Inc. (A.L. Van Houtte Limitée) c. Développement industriel et commerciaux de Montréal Inc., 2010 CCA 1970


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