Canada (Procureur général) c. Premières Nations de Cold Lake : la Cour fédérale suspend l’audition de la demande du procureur général du Canada

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01 novembre 2015

Le 23 octobre 2015, le juge Barnes de la Cour fédérale du Canada a prononcé sa décision dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Premières Nations de Cold Lake1, et a ainsi suspendu l’audition de la demande du procureur général du Canada (« procureur général ») dont l’objet était de faire exécuter la Loi sur la transparence financière des Premières Nations2 (« LTFPN ») à l’encontre des six Premières Nations concernées3.

Les faits

Sanctionnée en mars 2013, la LTFPN oblige notamment les Premières Nations à divulguer publiquement leurs états financiers consolidés et vérifiés, la rémunération versée à leurs chefs et à leurs conseillers ainsi que le montant des dépenses remboursées à ces derniers.

En février 2013, le chef Roland Twinn de la Première Nation de Sawridge (« Sawridge ») a exprimé son opposition à l’adoption de la LTFPN devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Il avait alors affirmé qu’il était disposé à rendre des comptes publiquement quant au financement public de Sawridge, mais s’était toutefois opposé à la divulgation de renseignements financiers ayant trait aux activités commerciales de la Première Nation.

Suite à la non-conformité de Sawridge et des autres Premières Nations avec les exigences de la LTFPN en matière de divulgation, le procureur général a déposé, en date du 8 décembre 2014, une requête en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux Premières Nations défenderesses de se conformer à la LTFPN. En réponse, Sawridge a intenté une action contre le procureur général à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta afin de contester la constitutionnalité de la LTFPN. Cette action était fondée sur les droits ancestraux et les droits issus de traités de Sawridge, un manquement à des obligations fiduciaires, une violation de son droit à l’autonomie gouvernementale, une violation de l’obligation de consulter et une violation des droits à l’égalité garantis à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

En ce qui concerne la Nation crie d’Onion Lake (« Onion Lake »), un affidavit de son chef affirmait que depuis mai 2015, le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien avait retenu un montant de 1 034 017,52 $ destiné à Onion Lake, lesquels fonds étaient censés être versés relativement à des avantages sociaux. Onion Lake avait ensuite intenté une action contre le gouvernement du Canada, dans le cadre de laquelle la Nation réclamait des dommages-intérêts ainsi qu’un jugement déclaratoire et une injonction en invoquant la discrimination, laquelle est interdite par la Charte, l’omission de consulter, la violation des obligations fiduciaires, et le manquement à des promesses faites par la Couronne dans le Traité no 6.

Requêtes présentées à la Cour fédérale

La Cour fédérale a entendu deux requêtes présentées par Sawridge et Onion Lake, respectivement, lesquelles visaient soit à enjoindre au procureur général de ne pas poursuivre l’instruction de la demande visant à faire exécuter les dispositions de la LTFPN en matière de divulgation financière, ou à suspendre cette demande4 en attendant le règlement de leurs contestations respectives de la constitutionnalité de la LTFPN, devant la Cour du Banc de la reine de l’Alberta et devant la Cour fédérale.

Les autres Premières Nations défenderesses n’ont pas déposé leurs propres requêtes, mais ont cependant tenté de se prévaloir des requêtes déposées par Sawridge et Onion Lake.

En outre, Onion Lake cherchait à obtenir une injonction contre le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien (le « ministre ») afin d’obliger ce dernier à rétablir les fonds qu’il lui a retirés en vertu de la LTFPN et empêchant le ministre de prendre une mesure similaire à l’avenir.

Analyse 

Requête en injonction ou, subsidiairement, en suspension de la demande du procureur général 

D’entrée de jeu, le juge Barnes a refusé de traiter de la requête en injonction, car, a-t-il déclaré, la requête en suspension convient le mieux et est moins perturbatrice qu’une ordonnance provisoire exemptant une Première Nation de l’obligation de se conformer à la LTFPN, même si le résultat est le même, sur le plan pratique.

En ce qui concerne les requêtes déposées par Sawridge et Onion Lake en vue de faire suspendre la demande du procureur général en attendant l’issue de leurs contestations de la constitutionnalité de la LTFPN, le juge Barnes a expliqué qu’il y avait un recoupement important des questions juridiques qui serait déterminant sur l’issue des deux contestations soulevées par les Premières Nations et de la demande du procureur général. De plus, ces actions entraîneraient l’élaboration d’un dossier de preuve important. Le juge Barnes a également mentionné le risque d’aboutir à des conclusions incohérentes en raison des limites en matière de preuve qui sont inhérentes à une demande.

En outre, la Cour fédérale, dans le cadre d’un exercice de pondération des intérêts, a noté que le ministre avait été prévenu que la validité constitutionnelle de la LTFPN serait contestée. Le juge Barnes a également affirmé que la Cour suprême du Canada a conclu, à maintes reprises, que les désaccords soulevés dans des procédures judiciaires devraient faire l’objet de consultation et, lorsque cela est possible, d’accommodation. Au final, le juge Barnes a conclu que l’intérêt public supérieur favorisait les Premières Nations défenderesses et leurs droits de poursuivre leurs actions.

La requête en injonction d’Onion Lake

Le critère relatif à une demande d’injonction interlocutoire exige que le proposant établisse a) une question sérieuse; b) un préjudice irréparable; et c) que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi du redressement.

Même si le procureur général a admis qu’une question sérieuse avait été soulevée, le juge Barnes n’a pu conclure qu’Onion Lake s’était acquittée de son fardeau quant au préjudice irréparable, en l’occurrence, un préjudice économique véritable. En l’absence d’un préjudice irréparable, comme une retenue de fonds entraînant des préjudices non indemnisables, la Cour a noté que l’omission apparente de consulter ne suffit pas, à elle seule, à établir l’existence d’un préjudice irréparable.

Le juge Barnes a précisé que le refus de la requête d’Onion Lake était fondé uniquement sur le manque de preuve de préjudice irréparable et ne devrait pas être interprété comme empêchant une Première Nation de demander un redressement provisoire à l’avenir, au moyen d’un dossier de preuve plus solide.

La décision

Le Juge Barnes de la Cour fédérale a suspendu l’audition de la demande du procureur général visant à faire exécuter la LTFPN.

Quant à la requête en injonction d’Onion Lake, le juge Barnes a rejeté cette dernière, mais sous réserve du droit des Premières Nations de présenter une nouvelle requête fondée sur un dossier de preuve différent.


1 2015 CF 1197

2 LC 2013, ch. 7

3 Les Premières Nations de Cold Lake, la Première Nation de Sawridge, la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, la Nation crie d’Onion Lake, la Première Nation de Thunderchild et la bande indienne d’Ochapowace.

4 Redressement sollicité sur le fondement du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7.


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