Les Premières Nations peuvent-elles exiger une consultation en ce qui a trait à la privatisation d’Hydro One?

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01 juin 2015

Le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il s’apprêtait à vendre une partie des volets d’Hydro One liés au transport et à la distribution. Un premier appel public à l’épargne de 15 pour cent est prévu d’ici à 2016, ainsi que la vente d’autres actions au fil du temps. L’Ontario prévoit conserver une participation de 40 pour cent.

Cette décision fait suite à la publication du rapport final du Conseil consultatif de la première ministre sur la gestion des biens provinciaux (le Rapport). Le Rapport et la décision ont déclenché des réactions chez diverses parties prenantes, y compris des leaders des Premières Nations dont certains ont dénoncé le manquement à l’obligation de consulter quant à cette vente.

Les Premières Nations peuvent-elles exiger une consultation en ce qui a trait à la privatisation d’Hydro One?

L’obligation de consulter prend naissance lorsque la Couronne a une connaissance concrète ou par imputation de l’existence de droits ancestraux et envisage de prendre une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits. L’arrêt clé en la matière est la décision Rio Tinto1, dans le cadre de laquelle la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question à savoir si l’obligation de consulter prenait naissance relativement à un contrat d’achat d’électricité. En étudiant l’affaire, la Cour a fait une interprétation large de ce qui pourrait constituer une « mesure gouvernementale » :

La notion de mesure gouvernementale ne se limite pas à une décision ou un acte qui a un effet immédiat sur des terres et des ressources. Un simple risque d’effet préjudiciable suffit. Ainsi, l’obligation de consulter naît-elle aussi « d’une décision stratégique prise en haut lieu » susceptible d’avoir un effet sur des revendications autochtones et des droits ancestraux2.

Certains leaders des Premières Nations estiment que la décision d’Hydro One est justement « une décision stratégique prise en haut lieu » parce qu’elle « peut ouvrir la voie à d’autres décisions ayant un effet préjudiciable direct sur les terres et les ressources ». Étant donné la nature des activités d’Hydro One dans la gestion de nouveaux projets et de projets de legs de transport et de distribution, et l’effet que peuvent avoir de tels projets sur des terres et des ressources, il ressort que la décision de privatiser la société peut effectivement s’inscrire dans ce cadre.

La jurisprudence a également traité spécifiquement de la question à savoir si le fait d’autoriser un changement de contrôle sur des ressources déclenche l’obligation de consulter. Dans un autre dossier de ce type, une communauté a contesté avec succès une approbation du gouvernement de la Colombie-Britannique quant au transfert de contrôle d’une entreprise détenant une concession de ferme forestière et un permis d’aménagement forestier appartenant à une société d’État à une entité privée. La Cour a conclu que cette décision déclenchait l’obligation de consulter parce qu’elle changeait l’identité de la tête dirigeante gérant la ressource ainsi que ses principes directeurs3.

Dans un autre dossier4, la Colombie-Britannique avait octroyé le droit de développer un plan d’aménagement de station de ski à un nouveau groupe de promoteurs sans consulter ni respecter les exigences procédurales préalablement convenues. Encore une fois, la Cour a tranché que l’obligation de consulter avait été déclenchée5.

La vente d’Hydro One s’apparente à ces dossiers à certains égards. Il est possible d’affirmer en effet que puisque le contrôle d’ Hydro One par la Couronne sera réduit en faveur de parties privées, il se peut que les principes directeurs et l’approche de la nouvelle entité changent également.

Comment le gouvernement ontarien peut-il réagir à l’affirmation selon laquelle l’obligation de consulter est déclenchée ?

Il existe également des arguments clairs quant à l’affirmation contraire. Par exemple, la décision de privatiser n’aura pas nécessairement d’effet préjudiciable sur les droits ancestraux ou les revendications autochtones maintenant ou plus tard. La Couronne a récemment fait valoir un argument similaire avec succès devant la Cour d’appel fédérale6. Dans cette affaire, la décision du fédéral de signer un accord commercial avec la République populaire de Chine traitant de la protection des investisseurs avait été contestée au motif que pour optimiser sa position dans le cadre de l’accord, la Couronne aurait peut-être à compromettre son devoir de protection des droits ancestraux.

La Cour a cependant rejeté cet argument en raison de sa nature spéculative.7

Si l’obligation de consulter existe, les propositions actuelles du gouvernement peuvent-elles suffire?

Si l’obligation de consulter est déclenchée, tout pourrait dépendre de si la Couronne maintient une participation et une surveillance continue dans la nouvelle structure. Par exemple, on peut démontrer que la nouvelle structure comportera des plateformes et des mécanismes de surveillance raisonnables qui permettront la consultation future et faire valoir également que ces derniers suffiront à maintenir et à respecter l’obligation de consulter et l’honneur de la Couronne.

À ce titre, le Rapport met de l’avant des recommandations quant à divers moyens de surveillance et de protection, y compris :

  • Renforcer le mandat et les pouvoirs de la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO)
  • Veiller à ce que le gouvernement ontarien dispose d’un certain nombre d’administrateurs équivalant à sa quote-part des actions avec droit de vote en circulation, sous réserve d’un maximum de 40 %
  • Exiger de la nouvelle entité qu’elle confirme annuellement les nominations du président et du chef de la direction par les deux tiers du conseil
  • Conserver le siège social, le centre de conduite du réseau des opérations, les fonctions de gestion et de prise de décisions stratégiques de la nouvelle entité en Ontario
  • Nommer un ombudsman pour la nouvelle entité Hydro One.

Cependant, aucune de ces mesures ne semble avoir été élaborée dans le but précis de traiter des préoccupations des autochtones. Par conséquent, il se peut que les Premières Nations s’adressent au gouvernement ontarien pour mettre en place des mesures de protection plus substantielles et définies. Dans la décision Wii'litswx8, par exemple, les mesures de protection non directives futures visant à protéger les intérêts des autochtones à des stades d’exploitation ultérieurs se sont avérées insuffisantes.

Il est difficile de dire si un accroissement du rôle de la CEO serait pertinent, suffisant ou approprié. En effet, les tribunaux ont clairement énoncé qu’en général il est inapproprié que des obligations de consultation ou de fiduciaire soient imposées à des tribunaux indépendants9.

Il se peut aussi que la nomination d’un nouvel ombudsman et l’élaboration de lois et règlements ne suffisent pas si aucune disposition n’est prise quant à la question de la consultation; en effet, les tribunaux se sont récemment montrés implacables envers les régimes réglementaires qui ne le font pas. Dans l’affaire Ross River Dena Council10, par exemple, la cour d’appel du Yukon a conclu qu’un régime de jalonnement minier était insuffisant. Aux termes de ce régime, il était possible pour un particulier d’acquérir des droits miniers en fournissant simplement au registraire minier ces trois choses : un plan de l’endroit, le paiement des frais et une demande sous serment. Le prospecteur recevait ensuite un enregistrement du claim minier. La Cour a critiqué ce régime d’accès libre, lequel permettait de se livrer à des activités d’exploration sur des terres susceptibles de faire l’objet de revendications relatives au titre ancestral sans mécanisme de consultation appropriée :

« Les régimes législatifs qui ne contiennent pas de dispositions de consultation et qui ne fournissent pas d’autres moyens efficaces de reconnaissance et d’accommodation des revendications autochtones sont imparfaits et ne doivent pas subsister11. » [TRADUCTION]

Les changements que subit Hydro One ont attiré l’attention d’une variété de parties prenantes; il n’est pas surprenant que les Premières Nations de l’Ontario figurent parmi ces dernières.


1 Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43.

2 Ibid., par. 44.

3 Gitxsan Houses v British Columbia (Minister of Forests) 2002 BCSC 170 au para 82. Le principe a été confirmé dans deux decisions subséquentes mettant en cause deux parties liées. Gitanyow First Nation v British Columbia (Minister of Forests), 2004 BCSC 1734 (CanLII) et Wii'litswx v British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139 (CanLII).

4 Squamish Nation et al v The Minister of Sustainable Resource Management et al, 2004 BCSC 1320 (CanLII).

5 Ibid., par. 99.

6 Hupacasath First Nation v Canada (Attorney General) 2015 CAF 4 (CanLII).

7 Ibid., par. 97.

8 Wii'litswx v. British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139 (CanLII).

9 Voir Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie) [1994] 1 RCS 159 et Première nation dakota de Standing Buffalo c. Enbridge Pipelines Inc., 2009 CAF 308. L’indépendance des tribunaux administratifs a été confirmée dans l’arrêt Carrier Sekani, lequel stipulait cependant que les corps législatifs pouvaient déléguer l’obligation de consulter aux tribunaux, mais devaient le faire d’une manière expresse.

10 Ross River Dena Council v Government of Yukon, 2012 YKCA 14 (CanLII).

11 Ibid., par. 37.


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