Un cabinet d’avocats perd contre un ex-avocat salarié pour le non-paiement des indemnités afférentes au congé annuel et aux jours fériés

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04 juillet 2018

Introduction

Lorsqu’une relation d’emploi prend fin, rien ne donne plus confiance à un avocat qu’un contrat de travail bien rédigé. Toutefois, il arrive parfois même aux avocats (lorsqu’ils agissent comme employeurs) de se tromper. L’affaire RG Bissett Professional Corp v Kusick, 2018 ABQB 406, souligne à quel point il est crucial de tenir des registres d’emploi exacts et à jour tout en s’assurant que les droits et obligations des employés soient clairement énoncés dans leur contrat de travail, faute de quoi les répercussions financières peuvent s’avérer importantes.



Contexte

David Kusick (« Kusick ») était employé à titre d’avocat par la firme Stringam Denecky LLP (« Stringam »). Après avoir démissionné, Kusick a déposé une plainte auprès du Bureau des Normes du travail pour indemnités impayées relativement au congé annuel, soit les vacances, et aux jours fériés. Le litige a fait son chemin jusque devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta après qu’un fonctionnaire du Bureau des Normes du travail et un arbitre de la Cour provinciale aient statué en défaveur du cabinet d’avocats, l’employeur.

Kusick a commencé à travailler chez Stringam le 18 avril 2005. Le 23 novembre 2009, il a signé un contrat de travail révisé qui comportait la disposition suivante au sujet de sa rémunération (« Clause 3 ») :

« Les associés verseront à David un salaire brut correspondant à 40 % des honoraires mensuels perçus par lui, lequel comprend l’indemnité de congé annuel […] ». [Nos soulignés] [Traduction]

Le différend entre les parties provient en grande partie de la formulation de cette clause. Pour les raisons indiquées ci-après, le fonctionnaire du Bureau des Normes du travail a accordé à Kusick la somme de 33 280,14 $ pour indemnité impayée relativement au congé annuel et celle de 19 746,32 $ pour indemnité impayée afférente aux jours fériés, cette dernière pour une période de deux ans précédant la fin de son emploi. Stringam a tenté d’en appeler de cette décision à deux reprises, mais sans succès.

Enjeux

Deux questions se chevauchant constituent la base du montant total dont Stringam a été condamné à payer.

La première problématique était d’avoir combiné l’indemnité de congé annuel et celle afférente aux jours fériés. Stringam soutenait que ces deux indemnités sont des concepts interreliés, et que les jours fériés sont implicitement compris dans l’indemnité de congé annuel. Autrement dit, Stringam a soutenu que l’usage d’un seul terme faisait référence aux deux concepts, et que cela représentait l’intention des parties lors de la conclusion du contrat de travail.

Cet argument a été rejeté en raison de la distinction clairement faite par le Code des normes du travail (le « Code ») entre l’indemnité de congé annuel et celle relative aux jours fériés, cette dernière ayant trait à la rémunération pour les jours fériés obligatoires (tels que la fête du Travail, la fête du Canada, le jour du Souvenir, etc.). L’indemnité de congé annuel, quant à elle, a trait au pourcentage du salaire qu’un employé doit recevoir chaque année en fonction des vacances auxquelles il a droit. Les lois régissant le calcul, l’application et le fonctionnement de ces deux concepts sont nettement distinctes.

Étant donné que le contrat de travail n’abordait pas explicitement la notion d’indemnité pour jours fériés, il a été déterminé que Stringam avait omis de verser les montants correspondants à Kusick durant son emploi. De ce fait, Kusick s’est vu accorder 19 746,32 $ pour les jours fériés impayés, et ce pour les deux années précédentes, soit la période maximale permise par le Code.

La seconde décision à l’encontre de Stringam était fondée sur son omission de tenir des registres d’emploi exacts comme l’exige l’article 14 du Code. Selon cette disposition, l’employeur est tenu de détailler séparément les diverses composantes de la rémunération telles que les heures supplémentaires, l’indemnité de départ, l’indemnité de congé annuel, l’indemnité afférente aux jours fériés, etc. 

En l’espèce, Stringam n’a pas consigné l’indemnité de congé annuel séparément des montants généraux perçus par Kusick, même si celle-ci devait verser une indemnité de congé annuel à Kusick en vertu de la Clause 3. Stringam n’était donc pas en mesure de prouver qu’elle avait versé une indemnité de congé annuel à Kusick durant l’emploi de ce dernier, quoiqu’il soit possible que le cabinet l’ait dûment fait. En regroupant l’indemnité de congé annuel et le salaire de Kusick, Stringam a omis de remplir ses obligations en vertu du Code, soit de tenir des registres indiquant séparément chaque composante du revenu. Selon l’arbitre dans l’affaire R.G. Bissett Professional Corporation v Kusick, 2017 CanLII 15629 (AB ESU) au paragraphe 26 :

« J’estime que la Clause 3 du contrat de travail est incompatible avec les obligations de tenue de registres de Stringam prévues à l’article 14(1)(c) et celles de l’article 14(2) du Code prévoyant l’obligation de fournir à Kusick une déclaration écrite indiquant séparément l’indemnité de congé annuel et l’indemnité afférente aux jours fériés. Ainsi, en vertu de l’article 4 du Code, la Clause 3 équivaut à une entente pour laquelle une disposition du Code ne peut trouver application, allant ainsi à l’encontre de l’intérêt public, et est de ce fait nulle. » [Nos soulignés] [Traduction]

Par conséquent, Kusick s’est vu accorder la somme de 33 280,14 $ à titre d’indemnité de congé annuel impayée.

À retenir

Cette décision confirme que les droits et obligations doivent être clairement détaillés dans les contrats de travail. L’indemnité de congé annuel et l’indemnité afférente aux jours fériés sont des concepts distincts en droit et il est peu probable que le postulat selon lequel l’un inclut l’autre soit retenu, même si l’intention des parties au moment de la conclusion du contrat était à cet effet.

Par ailleurs, les employeurs doivent s’assurer de tenir des registres d’emploi complets et exacts. Le défaut de Stringam de l’avoir fait était irrémédiable, et ce en dépit de son argument selon lequel la Clause 3 prévoyait le versement à Kusick de l’indemnité de congé annuel à laquelle il avait droit. Des registres bien tenus renforcent la capacité de l’employeur à se défendre contre une réclamation, surtout si l’on considère le fait que les tribunaux tranchent pratiquement toujours les ambiguïtés en faveur de l’employé.


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