Les règles du jeu (partie 1) : protection du droit d’auteur lié aux jeux vidéo au Canada

10 minutes de lecture
20 août 2018

L’industrie des jeux vidéo est hautement compétitive. Alors que les conditions d’entrée sur le marché ont été assouplies pour les développeurs, le nombre de produits en concurrence a littéralement explosé. Par conséquent, il est plus que jamais crucial pour les acteurs de ce secteur de savoir comment protéger et exploiter leurs créations.



Bien que les poursuites très médiatisées touchant des jeux vidéo soient certainement plus courantes aux États-Unis, il reste qu’elles commencent à survenir aussi dans d’autres foyers importants du développement de jeux vidéo, y compris chez des géants de l’industrie en Corée du Sud et au Canada. Preuve qu’au fur et à mesure que l’industrie des jeux vidéo continue de prendre de l’expansion à l’échelle mondiale, la protection de la propriété intellectuelle relativement aux jeux vidéo devient également une préoccupation mondiale. Vu la croissance de cette industrie au Canada (qui a ajouté à elle seule la somme estimée de 3,7 milliards au BIP du Canada en 2017 selon l’Association canadienne du logiciel de divertissement [1]), ce n’est qu’une question de temps avant que le nombre d’affaires très médiatisées n’augmente. Que vous soyez un développeur en solo, un studio de jeux indépendant en démarrage ou un éditeur ayant des titres cotés AAA et supervisant des équipes de centaines de personnes, il est essentiel de savoir comment protéger vos créations aux termes du régime de propriété intellectuelle du Canada.

Le présent article, le premier d’une série explorant la propriété intellectuelle et les jeux vidéo, explique comment la Loi sur le droit d’auteur du Canada s’applique aux jeux vidéo.

Les jeux vidéo sont-ils protégés en vertu de la Loi sur le droit d’auteur canadienne?

Au Canada, le droit d’auteur subsiste dans toute œuvre originale littéraire, dramatique, musicale et artistique, dans la prestation d’un artiste ainsi que dans les enregistrements sonores[2].Alors que la Loi sur le droit d’auteur canadienne ne mentionne pas les jeux vidéo comme étant un type d’œuvre en particulier, et que les tribunaux n’ont pas non plus énoncé dans quelle catégorie d’œuvres ils se classent, ces derniers ont néanmoins reconnu que les jeux vidéo étaient protégés par le droit d’auteur.

Non seulement le jeu vidéo dans son ensemble est protégé, mais des éléments particuliers d’un jeu peuvent aussi être considérés comme des œuvres ayant droit à une protection de droit d’auteur distincte, p. ex. le code source, le scénario/dialogue, les œuvres musicales et les enregistrements sonores, les doublages faits par des acteurs, les dessins de personnages et la conception de niveaux.

Qui est le titulaire du droit d’auteur visant un jeu vidéo?

La Loi sur le droit d’auteur stipule que « l’auteur » de l’œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur[3], mais le terme « auteur » n’y fait pas l’objet d’une définition. Ainsi, déterminer qui est l’auteur dépendra des faits particuliers de chaque dossier. En général, cependant, l’auteur est une personne qui exerce du talent et du jugement dans le cadre de la création de l’œuvre.

Mais être l’auteur d’un jeu vidéo ne garantit pas qu’une personne sera considérée comme l’auteur des éléments protégés par le droit d’auteur incorporés dans le jeu. En effet, tout membre d’une équipe de développement ayant contribué à un jeu vidéo pourrait potentiellement être considéré comme l’auteur d’une œuvre protégée par un droit d’auteur incorporée dans le jeu vidéo, pourvu que la création de l’œuvre soit le produit de l’exercice du talent et du jugement du membre en question. 

La Cour supérieure du Québec s’est penchée sur la notion de paternité d’un jeu vidéo en 2015. La Cour a jugé que le demandeur, un artiste qui avait contribué du contenu visuel utilisé dans le jeu vidéo, n’était pas l’auteur du jeu vidéo proprement dit. Elle a cependant conclu qu’il détenait un droit d’auteur sur ses propres œuvres artistiques, lesquelles étaient incorporées dans le jeu vidéo. Le développeur du jeu vidéo s’est vu ordonner de verser 10 000 $ en dommages au demandeur pour l’utilisation de son œuvre.[4]

Cela ne signifie pas pour autant que les développeurs doivent dorénavant retracer la moindre personne qui a contribué à leur jeu vidéo. En vertu de la Loi sur le droit d’auteur, si l’auteur d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est à l’emploi d’une autre personne selon un contrat de service et que l’œuvre a été réalisée dans le cadre de cet emploi, c’est l’employeur qui sera le premier titulaire du droit d’auteur en l’absence d’une entente à l’effet contraire[5]. Cette disposition ne s’applique pas à des œuvres réalisées par des contractants indépendants.

Tout cela démontre que les créateurs de jeux vidéo doivent prendre le soin d’inclure des dispositions de cession ou de licences quant au droit d’auteur dans leurs ententes les liant avec des contractants pour assurer qu’ils détiennent bel et bien tous les droits d’auteur nécessaires. Demander des conseils juridiques à un stade précoce peut également assurer que la propriété des droits d’auteurs est attribuée à l’entité appropriée et permettre aux créateurs de jeux d’exploiter et de protéger leurs œuvres efficacement.

Qu’est-ce qui est protégé par le droit d’auteur dans un jeu vidéo?

Le titulaire d’un droit d’auteur sur une œuvre possède le droit exclusif de reproduire la totalité ou une « partie importante » de l’œuvre, de présenter ou d’exécuter la totalité de l’œuvre ou une partie importante de celle-ci en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, le droit d'auteur inclut le droit de publier l'œuvre ou d'en publier une partie importante[6]. Cela signifie que quiconque reproduit votre jeu dans sa totalité (p.ex. par le téléchargement d’une copie via torrent), ou prend des actifs protégés par des droits d’auteur de votre jeu (p. ex. le code source ou l’art) s’expose à une poursuite pour violation de droit d’auteur. De plus, toute présentation ou exécution non autorisée de l’œuvre, par exemple par la jouabilité en ligne en continu, pourrait constituer une violation du droit de communiquer l’œuvre par télécommunication.

La Loi sur le droit d’auteur interdit également à quiconque de contourner les mesures de protection technologiques (p. ex. la gestion des droits numériques, aussi connus sous le nom de « GDN ») qui contrôlent l’accès à un jeu vidéo ou qui restreignent toute activité dont le titulaire détient le droit exclusif aux termes de la Loi sur le droit d’auteur. C’est là un outil puissant pour lutter contre la reproduction non autorisée de jeux vidéo. En effet, la Cour fédérale a récemment conclu que les mesures de protection technologiques pour les systèmes et jeux vidéo Nintendo D2, 3DS et Wii avaient été contournées, et Nintendo of America Inc. s’est vu octroyer 20 000 $ en dommages-intérêts préétablis pour chacun des 585 jeux vidéo rendus accessibles par le contournement[7].

La Loi sur le droit d’auteur canadienne et l’application de cette dernière au secteur des jeux vidéo par les tribunaux fournit une solide protection aux titulaires de droits d’auteur. Cependant, le régime de droit d’auteur canadien est souvent perçu comme visant à établir un équilibre entre les droits des titulaires de droits d’auteur et les droits des utilisateurs. Demeurez à l’affût d’un article prochain dans la foulée de cette série où nous nous pencherons sur la manière dont la Loi sur le droit d’auteur canadienne permet aux joueurs d’utiliser les jeux vidéo et comment un titulaire de droit d’auteur sur un jeu vidéo peut réagir lorsqu’il s’inquiète des agissements de ces derniers.


[1] L’Association canadienne du logiciel de divertissement, « Faits essentiels 2017 », http://theesa.ca/fr/resources/faits-essentiels/.

[2] Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, chap. C-42, para. 5(1), 15(1), 18(1).

[3] Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, chap. C-42, para. 13(1).

[4] Seggie c. Roofdog Games, 2015 QCCS 6462.

[5] Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, chap. C-42, para.  13(3).

[6] Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, chap. C-42, para.  3(1).

[7] Nintendo of America c. King, 2017 CF 246.


CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.

Sujet(s) similaire(s)   Droit du divertissement et du sport

Articles et ressources similaires

Articles
21 mars 2018 Copyright year in review - 2017