La COVID-19 peut-elle vous dégager de l'obligation de remettre un préavis de fin d'emploi?

13 minutes de lecture
19 août 2020

Plusieurs mois se sont écoulés depuis la déclaration par le gouvernement du Québec de l'état d'urgence sanitaire imputable à la COVID-19. Aujourd'hui, de nombreux employeurs sont aux prises avec d'importantes difficultés financières et certains d'entre eux songeront peut-être à se prévaloir de l'exception prévue à la Loi sur les normes du travail (la « L.n.t. ») en invoquant la force majeure ou l'événement imprévu afin de se dégager de leur obligation de remettre un préavis de fin d'emploi (ou une indemnité en tenant lieu), notamment en contexte de mise à pied de plus de six mois ou de licenciement collectif.



Bien qu'une telle exception puisse s'appliquer à votre situation, nous recommandons toutefois d'agir avec prudence, car la preuve requise pour démontrer l'existence d'une force majeure ou d'un événement imprévu est exigeante.

Quelles sont les obligations de l'employeur en matière de préavis de fin d'emploi?

En matière de fin d'emploi, l'employeur est tenu, sauf exception, de donner au salarié un préavis de fin d'emploi, ou une indemnité y tenant lieu, conformément aux dispositions applicables prévues à la L.n.t.

Plus spécifiquement, dans le cadre d'une fin d'emploi ou d'une mise à pied individuelle de six mois ou plus, le préavis minimal de fin d'emploi varie entre une et huit semaines, selon la durée du service continu du salarié. Parallèlement, dans un contexte de licenciement collectif, c'est-à-dire lorsque l'employeur met fin à l'emploi d'au moins dix salariés d'un même établissement à l'intérieur d'une période de deux mois consécutifs, en plus du préavis individuel de fin d'emploi, l'employeur est également tenu de donner un avis de licenciement collectif au ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, lequel varie entre huit et seize semaines. Les salariés mis à pied pour plus de six mois doivent également être considérés comme étant des salariés visés par le licenciement collectif.

À la lumière de ce qui précède, la L.n.t offre toutefois la possibilité aux employeurs de se dégager de leurs obligations en matière de préavis de fin d'emploi. En matière de préavis individuel, aux termes de l'article 82.1 de la L.n.t., l'employeur qui parvient à démontrer que la fin d'emploi résulte d'une force majeure n'a pas l'obligation de remettre à son employé le préavis minimal de fin d'emploi. En ce qui a trait au licenciement collectif, l'article 82.0.5 de la L.n.t. précise que dans le cas où l'employeur n'est pas en mesure de respecter les délais minimaux en matière de préavis, et ce, non seulement en raison d'une force majeure, mais également d'un événement imprévu, l'employeur pourra simplement donner un avis de licenciement collectif au ministre aussitôt qu'il sera en mesure de le faire.

Qu'est-ce que la force majeure et comment se distingue-t-elle de l'événement imprévu?

Bien que les éléments constitutifs de la force majeure soient bien établis en droit civil, une analyse des circonstances de chaque affaire est nécessaire pour déterminer si l'employeur peut légitimement invoquer l'existence d'une force majeure. Ces éléments peuvent être résumés ainsi :

  1. L'événement doit être imprévisible, c'est-à-dire que toute personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances n'aurait pas été en mesure de le prévoir; 
  2. L'événement doit être irrésistible, ce qui implique une impossibilité absolue de pouvoir exécuter l'obligation en question; et
  3. L'événement doit être extérieur, c'est-à-dire qu'il résulte d'une cause indépendante de la volonté ou de la faute de la personne qui l'invoque. 

Contrairement à la force majeure, l'événement imprévu est une notion qui se retrouve exclusivement dans la L.n.t. Bien que l'événement imprévu exige une preuve moins exigeante que la force majeure du fait qu'elle ne tient pas compte du critère d'irrésistibilité, elle doit néanmoins être évaluée avec rigueur[1].

En dépit du fait que la notion d'événement imprévu ne soit pas définie dans la L.n.t., le Guide d'interprétation de la Loi sur les normes du travail de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») la décrit comme un événement dont l'employeur ne pouvait prévoir les conséquences possibles et qui entraîne une impossibilité d'exécution :

« En ce qui concerne la notion d'événement imprévu, on peut parler d'un événement dont l'employeur n'était pas en mesure de prévoir les conséquences possibles et qui, en outre, ne possède pas le caractère d'irrésistibilité de la force majeure. L'événement imprévu est donc un événement étranger à l'employeur, non causé par sa faute, qui entraîne une impossibilité d'exécution pour une situation donnée. Dans ce cas, l'employeur non fautif ne peut prévoir, dans un cadre raisonnable, l'impact et les conséquences d'un tel événement. »[2]

Les enseignements de la jurisprudence

Les tribunaux ont reconnu que des motifs d'ordre économique peuvent constituer une force majeure ou un événement imprévu dans certaines circonstances.

À titre d'exemple, dans l'arrêt Hawker Siddeley Canada inc.[3], alors que l'employeur connaît une diminution de ses activités en raison du ralentissement des commandes provenant de clients importants, la Cour d'appel retient qu'il était raisonnable pour l'employeur de croire que la récession économique affecterait ses activités de façon provisoire seulement étant donné les représentations faites par ces clients.

Dans un même ordre d'idée, il fut jugé dans la décision Industries Troie inc.[4] que la perte de contrats pouvait être considérée comme une « possibilité » étant donné le type d'entreprise exploitée. Ceci dit, il était imprévisible que l'employeur subisse une perte aussi importante dans une courte période de temps et donc la Cour a accepté d'appliquer l'exception relative à la force majeure.  

Dans la décision Industrie Cover inc.[5], un arbitre de grief a libéré un employeur de son obligation de verser une indemnité aux salariés visés par un licenciement collectif étant donné la perte d'un client important, lequel représentait entre 20 et 25 % du chiffre d'affaires de l'employeur. L'arbitre a retenu qu'une personne raisonnablement diligente, placée dans les mêmes circonstances que l'employeur et exploitant le même type d'entreprise, n'aurait pas été en mesure de prévoir la perte d'un tel client.

Toutefois, il convient de mentionner qu'une baisse d'activité économique est loin de constituer automatiquement une force majeure ou un événement imprévu.

Dans l'affaire Wait[6], il fut décidé que la faillite faisant suite à une longue dégénérescence de l'entreprise, laquelle était connue des administrateurs (baisse graduelle du chiffre d'affaires, accumulation de dettes, etc.), ne permettait pas de conclure à un cas de force majeure.

Enfin, dans l'affaire Flat Glass North America Ltd, il a été mentionné que le simple fait qu'une société mère américaine ait pris la décision de fermer une usine située au Québec sans l'annoncer d'avance à l'employeur québécois ne pouvait constituer un événement imprévu au sens de la L.n.t.[7]

Qu'en est-il de la COVID-19?

Considérant le caractère exceptionnel de la situation, il est légitime de se demander si la pandémie qui sévit actuellement pourrait constituer un cas de force majeure pour certains employeurs au Québec. À ce sujet, il est fort intéressant de constater que la CNESST mentionne ce qui suit dans la section « des réponses à vos questions » de son site Web :

« L'état d'urgence sanitaire que vit le Québec actuellement pourrait être considéré comme un cas de force majeure, notamment dans le cas où des entreprises ont dû suspendre leurs activités en raison du décret du 13 mars et procéder à des mises à pied sans préavis.

Par ailleurs, dans le cas où une personne salariée était déjà en mise à pied avant le 13 mars et que sa mise à pied est prolongée au-delà de 6 mois en raison de mesures décrétées par le gouvernement l'empêchant de retourner au travail, l'employeur ne serait pas tenu de verser l'indemnité compensatoire. La notion de force majeure s'appliquerait.»[8]

Ceci dit, nous rappelons que chaque cas demeure un cas d'espèce qui doit être analysé en fonction des critères mentionnés précédemment. Notamment, la suspension par le gouvernement du Québec de toutes les activités jugées non prioritaires le 23 mars dernier constituait fort probablement un événement imprévisible et irrésistible étranger aux employeurs touchés. Cependant, étant donné que cette suspension a duré moins de six mois, un employeur qui souhaite invoquer l'existence d'une force majeure devra à notre avis démontrer que les conséquences de cette suspension ont été telles qu'elles ne permettaient pas une reprise de ses activités et le rappel au travail de ses salariés à l'intérieur d'une période de six mois.

Nous surveillerons attentivement les décisions à venir des tribunaux qui seront appelés à se prononcer sur la question.

Pour plus d'informations, nous vous invitons à contacter un membre de l'équipe droit du travail, de l'emploi et des droits de la personne de Gowling WLG.


[1] Commission des normes du travail c. Industries Troie inc., 2008 QCCQ 12002 (CanLII); Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs du Canada (TCA Canada) et AFG Industries ltée (grief syndical), 2010 CanLII 102268 (QC SAT).

[2] Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, Guide interprétation et jurisprudence, Québec, Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, en ligne : <https://www.cnt.gouv.qc.ca/guide-interpretation-et-jurisprudence/partie-i/la-loi-sur-les-normes-du-travail/les-normes-du-travail-art-391-a-97/lavis-de-licenciement-collectif-art-8401-a-84015/8405/index.html > (consulté le 28 juillet 2020).

[3] Commission des normes du travail c. Hawker Siddeley Canada inc., 1989 QCCA 924.

[4] Commission des normes du travail c. Industries Troie inc., 2008 QCCQ 12002.

[5] Syndicat des salariés de Structure de bois de la Mauricie c. Industrie Cover inc, 2014 CanLII 7740.

[6] Andrews c. Wait, 1991 CanLII 11531 (QC CQ) (requête pour permission d'appeler accueilli, règlement hors cours).

[7] Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs du Canada c. AGC Flat Glass North America Ltd, 2010 CanLII 67992 (Requête en révision judiciaire rejetée (2011 QCCS 5447); Requête pour permission d'appeler accueillie (2011 QCCA 2094 (appel rejeté, 2013 QCCA 381)); Requête pour suspendre l'exécution du jugement accueillie (2013 QCCA 1007); Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2013-09-05) 35340.

[8] Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, « Questions et réponses – Covid-19 », En ligne, adresse URL : https://www.cnesst.gouv.qc.ca/salle-de-presse/covid-19/Pages/coronavirus.aspx, (page consultée le 28 juillet 2020).


CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.