Revue de l'année : 5 points à retenir de la jurisprudence canadienne sur les marques de commerce en 2019

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11 février 2020

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L'année 2019 a été mémorable pour le droit canadien des marques de commerce, principalement car après une attente de cinq ans, le Canada a finalement mis en œuvre les modifications à la Loi sur les marques de commerce présentées en 2014. Aux termes de ces modifications, le Canada a adopté le Protocole de Madrid et la Classification de Nice. Au même moment, le pays éliminait l'exigence en matière d'emploi pour enregistrer une marque de commerce. Les modifications apportées à la Loi étaient importantes et de grande envergure, et elles ont fait couler beaucoup d'encre. Disons simplement que tout le monde essaie encore de s'adapter aux changements.



Si les modifications à la Loi sur les marques de commerce étaient à l'avant-plan l’année dernière, il ne faut surtout pas oublier la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale, qui n'ont pas chômé. D'ailleurs, certaines des décisions rendues en 2019 étaient d'une importance particulière pour les titulaires de marques. Les tribunaux ont émis des lignes directrices quant à divers enjeux clés, notamment en ce qui concerne la radiation pour non-emploi. Les cinq décisions suivantes sont particulièrement révélatrices pour les titulaires de marque au Canada : 

1. L'emploi au Canada : parfois nécessaire, parfois non Sadhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd.

La Cour d'appel fédérale a rendu deux décisions relativement à la marque de commerce AJIT DAILY : l'une concernant une demande d'enregistrement de la marque et l'autre une allégation de commercialisation trompeuse. Dans le cadre de cette dernière, la Cour d'appel du Canada a jugé que l'achalandage requis pour justifier une action de commercialisation trompeuse peut exister au Canada par la réputation du demandeur, même si celui-ci n'y emploie pas la marque. Toutefois, dans l'appel de l'opposition, la Cour nous a rappelé que le caractère distinctif requis pour justifier l'enregistrement doit être acquis par l'emploi de la marque au Canada. Donc, Sadhu Singh a en partie eu gain de cause dans l'action de commercialisation frauduleuse, mais n'a pas réussi à enregistrer sa marque. Voilà une distinction intéressante à garder à l'esprit.

2. La radiation d'un enregistrement n'annule pas nécessairement tous les droits à une marque – Alliance Laundry Systems LLC c. Whirlpool Canada LP

Au cours des dernières années, nous avons été témoins d'une procédure de radiation pour non-emploi concernant la marque SPEED QUEEN qui a abouti dans les mains de la Cour suprême du Canada. Dès que l'enregistrement de Whirlpool a été radié, Alliance est entrée sur le marché canadien avec son propre produit de marque SPEED QUEEN. Cependant, la radiation de l'enregistrement ne signifiait pas nécessairement que Whirlpool ne détenait plus de droits de common law sur la marque. Whirlpool détenait bel et bien ces droits, et a pu les faire valoir avec succès contre Alliance. Cette affaire nous rappelle qu'une procédure de radiation ne constitue qu'un élément du tableau.

3. Pour qu'une marque soit réputée employée, nul besoin d'avoir généré un profit – Cosmetic Warriors Limited c. Riches, McKenzie & Herbert LLP

Dans le cadre d'une autre procédure de radiation pour non-emploi, la Cour fédérale a ordonné la radiation d'un enregistrement : en raison d'« une absence de profit, la nature promotionnelle et de minimis de la vente aux employés, et le fait que la défenderesse n'est pas habituellement une entreprise de vente de vêtements », la marque n'était pas employée dans le cours normal des affaires. Toutefois, la Cour d’appel fédérale n'était pas d'accord. L'emploi d'une marque de commerce n'est pas synonyme du succès commercial des marchandises qui y sont liées : il n'y a aucune exigence de démontrer que la vente a généré un profit. Une autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été rejetée.

4. Pas d'installations physiques au Canada? Pas de problème, tant qu'il y a un avantage – Live! Holdings LLC c. Oyen Wiggs Green & Mutala LLP

Toujours sur le même sujet, la Cour fédérale a abordé la question de ce qui constitue un emploi au Canada malgré l'absence d'installations physiques. La Cour a révisé la jurisprudence relative aux services et a déterminé que l'existence d'un avantage concret et important doit être démontrée pour constituer un emploi au Canada. Par conséquent, un service en ligne permettant aux Canadiens de faire une réservation à un hôtel aux États-Unis n'offre pas un avantage concret et important au Canada : « le simple fait d'avoir une réservation dans un hôtel situé aux États‑Unis n'est pas un avantage concret et important dont profitent les personnes au Canada, bien que cela puisse garantir qu'une chambre sera disponible à l'arrivée. L'avantage concret n'est accordé qu'une fois que la personne quitte le Canada, se rend aux États‑Unis et complète la réservation. » Ce dossier a été porté en appel; nous attendons donc impatiemment la décision de la Cour d'appel fédérale.

5. Il coûte moins cher de maintenir votre enregistrement à jour que de devoir en prouver l'emploi  Reusable Bag Industries Pty Ltd. c. Gaisin

La Cour fédérale nous a rappelé à quel point il est important de tenir à jour le titre de l'enregistrement d'une marque. Une procédure de radiation pour non-emploi a été lancée, mais le titulaire de l'enregistrement n'en a été informé qu'une fois la décision rendue, car le titre de l'enregistrement n'avait pas été tenu à jour. Le titulaire de l'enregistrement a été contraint de faire appel de la décision dans le cadre duquel il a dû déposer de nouvelles preuves. Il a été démontré que la marque était bel et bien employée et l'enregistrement a été maintenu, à la suite de quoi le titulaire a demandé le remboursement des frais d'appel (qui est généralement accordé à la partie qui a eu gain de cause). La Cour a refusé : « Le demandeur a sollicité les dépens du présent appel, mais je ne suis pas disposé à les lui accorder. Le présent appel n'aurait pas été nécessaire si RBI avait tenu ses enregistrements canadiens à jour. L'entreprise ne devrait pas maintenant tirer parti d'un problème qu'elle a elle‑même créé. » Voilà donc un rappel utile qu'il est beaucoup moins coûteux de maintenir son enregistrement à jour que de payer les frais judiciaires plus tard.

Conclusion

Les modifications apportées à la Loi sur les marques de commerce du Canada ont peut-être volé la vedette en 2019, mais nous ne devrions pas ignorer ce que disent les tribunaux – et ils auront sans doute beaucoup à dire lorsque les parties se tourneront vers eux, justement pour obtenir des conseils concernant les modifications apportées à la Loi.


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