Projet de loi 96 et réforme de la Charte de la langue française : Ce que les employeurs du Québec doivent retenir

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08 juin 2022

Le projet de loi 96 intitulé Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (ci-après, le
« PL-96 »), qui prévoit une importante réforme de la Charte de la langue française[1] (ci-après, la « Charte »), a été adopté le 24 mai 2022 par l'Assemblée nationale du Québec et sanctionné le 1er juin 2022, entraînant ainsi l'entrée en vigueur d'un grand nombre de ses dispositions. Les effets de ce projet de loi seront importants dans les milieux de travail au Québec.



Dans ce contexte, voici les impacts les plus importants du PL-96 pour les employeurs du Québec :

  • Communications adressées au personnel – La Charte prévoyait déjà qu'un employeur devait rédiger les communications adressées à son personnel en français et il en va de même pour la publication des offres d'emploi ou de promotion[2]. Le PL-96 a élargi ces obligations à compter du 1er juin 2022 en imposant ce qui suit aux employeurs[3] :
    • voir à ce que toute offre d'emploi, de mutation ou de promotion soit en français;
    • veiller à ce que tout contrat individuel de travail écrit soit rédigé en français;
    • utiliser le français dans les communications écrites, même celles suivant la fin du lien d'emploi, qu'elles soient adressées au personnel, à une partie de celui-ci, à un travailleur en particulier ou à une association de travailleurs représentant le personnel ou une partie de celui-ci. Il y a exception à cette règle lorsqu'un travailleur demande à ce que son employeur communique avec lui dans une autre langue que le français;
    • faire en sorte que les documents visés ci-dessous soient rédigés en français et, s'ils sont rendus disponibles dans une autre langue, à ce que leur version française soit accessible dans des conditions au moins aussi favorables :
      • les formulaires de demande d'emploi;
      • les documents ayant trait aux conditions de travail;
      • les documents de formation produits à l'intention du personnel.

Par ailleurs, le PL-96 prévoit que les parties à un contrat individuel de travail qui est un contrat d'adhésion peuvent être liées par sa version dans une autre langue que le français seulement si telle est leur volonté expresse, et ce, après avoir pris connaissance de la version française du contrat. Dans les autres cas, un contrat individuel de travail peut être rédigé exclusivement dans une autre langue que le français lorsque telle est la volonté expresse des parties. Ces nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er juin 2022.

Il est important de noter que les travailleurs dont le contrat individuel de travail a été conclu avant la date d'entrée en vigueur du PL-96 et est rédigé dans une langue autre que le français disposent d'un délai d'un (1) an à compter du 1er juin 2022 pour demander une traduction en français de leur contrat[4]. Par ailleurs, les employeurs disposent d'un délai d'un (1) an à compter du 1er juin 2022 afin de rendre disponibles en français leurs formulaires de demande d'emploi, leurs documents ayant trait aux conditions de travail et leurs documents de formation[5].

  • Connaissance d'une autre langue que le français – Le PL-96 vient encadrer plus strictement la possibilité pour un employeur d'exiger de ses employés la connaissance d'une langue autre que le français[6]. Depuis le 1er juin 2022, il est désormais interdit à un employeur d'exiger d'une personne, pour qu'elle puisse rester en poste ou accéder à un poste (notamment par recrutement, embauche, mutation ou promotion), la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que le français, sauf si :
    • l'exécution de la tâche nécessite une telle connaissance; et
    • l'employeur a pris au préalable tous les moyens raisonnables pour éviter d'imposer la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que le français.

Un employeur qui exige la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que le français pour accéder à un poste doit présenter les motifs justifiant une telle exigence lors de la diffusion d'une offre visant à le pourvoir.

Le PL-96 précise en outre les circonstances dans lesquelles un employeur est réputé ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d'exiger la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que le français[7]. C'est le cas lorsque l'employeur n'a pas accompli l'un ou l'autre des trois éléments suivants :

  • avoir évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à exécuter;
  • s'être assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l'exécution de ces tâches;
  • avoir restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l'exécution nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que le français.

Il est à noter toutefois que le PL-96 prévoit spécifiquement que ces nouvelles exigences ne doivent pas être interprétées de manière à imposer à un employeur une réorganisation déraisonnable de son entreprise.

  • Pratiques interdites – Le PL-96 vient détailler les pratiques interdites en matière de langue française. Depuis le 1er juin 2022, il est désormais interdit à un employeur de congédier, de mettre à pied, de rétrograder ou de déplacer un membre de son personnel, d'exercer à son endroit des représailles ou de lui imposer toute autre sanction pour la seule raison que ce dernier ne parle que le français ou qu'il ne connaît pas suffisamment une langue donnée autre que le français[8]. Il est également interdit pour un employeur d'exercer de telles mesures à l'égard d'un membre de son personnel notamment pour les motifs suivants :
    • il a exigé le respect d'un droit en matière de langue du travail;
    • pour le dissuader d'exercer un tel droit;
    • parce qu'il n'a pas la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que le français alors que l'exécution de la tâche ne le nécessite pas;
    • parce qu'il a participé aux réunions d'un comité de francisation ou d'un sous-comité créé par celui-ci ou parce qu'il a effectué des tâches pour eux;
    • parce qu'il a de bonne foi communiqué à l'Office québécois de la langue française (ci‑après, l'« Office ») un renseignement ou collaboré à une enquête menée en raison d'une telle communication.

Une personne qui croit avoir fait l'objet d'une pratique interdite peut déposer une plainte à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la « CNESST ») dans les quarante-cinq (45) jours de la pratique dont elle se plaint[9]. Ces plaintes peuvent subséquemment être déférées au Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT ») à défaut d'un règlement entre les parties[10]. À cet égard, le mécanisme de plainte prévu par le PL-96 est très similaire aux autres mécanismes de plaintes à l'encontre de pratiques interdites prévues par la législation du travail au Québec, notamment la Loi sur les normes du travail[11].

  • Discrimination et harcèlement – Le PL-96 a introduit à la Charte à compter du 1er juin 2022 une disposition voulant que tout salarié ait droit à un milieu de travail qui soit exempt de discrimination ou de harcèlement parce qu'il ne maîtrise pas ou peu une langue autre que le français, parce qu'il revendique la possibilité de s'exprimer en français ou parce qu'il a exigé le respect d'un droit en matière de langue du travail[12]. Un employeur a d'ailleurs l'obligation de prendre les moyens raisonnables pour prévenir ce type de discrimination ou de harcèlement et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Un salarié qui croit avoir fait l'objet de ce type de discrimination ou de harcèlement a la possibilité de porter plainte auprès de la CNESST dans les deux (2) ans suivant la dernière manifestation de la conduite dénoncée[13]. La plainte peut ensuite être déférée au TAT si aucun règlement n'intervient entre les parties.
  • Francisation – Le PL-96 fera passer de cinquante (50) à vingt-cinq (25)[14] le nombre minimum d'employés, au cours d'une période de six (6) mois, à partir duquel une entreprise doit s'inscrire auprès de l'Office. Ces entreprises seront donc désormais assujetties aux exigences de la Charte en matière de francisation des entreprises, notamment celle de produire une analyse de leur situation linguistique, et elles pourront se voir ordonner par l'Office de constituer un comité de francisation et d'adopter un programme de francisation. Ces nouvelles exigences entreront toutefois en vigueur après un délai de trois (3) ans suivant la date de sanction du PL-96, soit le 1er juin 2025.
  • Entreprises de compétence fédérale – Le PL-96 a introduit, à compter du 1er juin 2022, une nouvelle disposition à la Charte visant à assujettir les entreprises de compétence fédérale (telles les entreprises œuvrant dans le domaine du transport interprovincial et les banques) à celle-ci. Le gouvernement du Québec avait déjà exprimé son intention d'assujettir ces entreprises aux exigences linguistiques de la Charte. Cette nouvelle disposition se lira comme suit :

« 89.1. Aucune disposition de [la Charte] ne peut être interprétée de façon à en empêcher l'application à toute entreprise ou à tout employeur qui exerce ses activités au Québec. »

Par ailleurs, il convient de noter qu'une réforme des règles en matière de langue pourrait également être adoptée au niveau fédéral. En effet, le projet de loi C-13 intitulé Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l'usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d'autres lois en est actuellement au stade de l'examen en comité à la Chambre des communes. Ce projet de loi, dans sa version actuelle, vise notamment à protéger le droit des employés d'entreprises de compétence fédérale travaillant au Québec à travailler en français.

Compte tenu de ce qui précède, les entreprises qui ont des employés travaillant au Québec, tant de compétence fédérale que provinciale, peuvent s'attendre à voir un renforcement des règles leur étant applicables en matière de langue française au travail.   

En conclusion, le PL-96 aura un impact considérable sur les milieux de travail au Québec puisque son entrée en vigueur a créé un grand nombre de nouvelles obligations en matière de langue française.

Pour plus d'information concernant les répercussions du PL-96 sur votre entreprise, nous vous invitons à communiquer avec un membre de l'équipe Travail, emploi et droits de la personne de Gowling WLG.

 

[1] RLRQ, c. C-11.

[2] Article 41 de la Charte.

[3] Article 41 de la Charte, tel que modifié par le PL-96.

[4] Article 170 du PL-96.

[5] Article 171 du PL-96.

[6] Article 46 de la Charte, tel que modifié par le PL-96.

[7] Nouvel article 46.1 de la Charte, introduit par le PL-96.

[8] Article 45 de la Charte, tel que modifié par le PL-96.

[9] Article 47 de la Charte, tel que modifié par le PL-96.

[10] Article 47.2 de la Charte, tel que modifié par le PL-96.

[11] RLRQ, c. N-1.1.

[12] Nouvel article 45.1 de la Charte, introduit par le PL-96

[13] Nouvel article 47.4 de la Charte, introduit par le PL-96

[14] Article 139 de la Charte, tel que modifié par le PL-96.


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