Les modifications apportées au code de procédure civile du Québec par le projet de Loi 8

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22 mars 2023

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Le 15 mars 2023, l'Assemblée Nationale du Québec a adopté le projet de Loi 8, soit la « Loi visant à améliorer l'efficacité et l'accessibilité de la justice, notamment en favorisant la médiation et l'arbitrage et en simplifiant la procédure civile à la Cour du Québec » (ci-après la « Loi »)[1].



Cette Loi a pour objectif de désengorger les tribunaux de première instance et de simplifier la procédure civile applicable à la Cour du Québec, tant en chambre civile qu'à la division des petites créances. Pour ce faire, le Législateur continue sur sa lancée entamée en 2016 avec la réforme du Code de procédure civile du Québec (Ch. C-25.01) et met l'emphase sur l'utilisation des modes privés de prévention et de règlement des différends.

Dans les faits, la Loi apporte des changements substantiels et concrets au Code de procédure civile (ci-après le « C.p.c. »). Ces modifications à la procédure civile, qui, pour la plupart, entrent en vigueur le 30 juin 2023, risquent d'avoir un impact significatif sur la façon dont les litiges seront traités et gérés dans le futur.

Il doit être mentionné que le présent article ne se veut pas une analyse exhaustive de toutes les modifications apportées par cette Loi, mais simplement un résumé de certains des changements apportés au Code de procédure civile du Québec.  

La médiation et l'instruction prioritaire des dossiers

Les articles 4 et 7 du Code de procédure civile ayant traits aux modes privés de règlement des différends prévoient maintenant que les dossiers qui, avant l'institution des procédures judiciaires, ont fait l'objet d'une médiation ou dans lesquels les parties avaient convenu d'un protocole préjudiciaire, seront instruits en priorité par les tribunaux.

Ce changement semble s'appliquer tant aux procédures civiles en Cour du Québec qu'en Cour supérieure. Ainsi, en théorie, la partie demanderesse qui souhaite une résolution rapide de son dossier aura tout avantage à avoir recours à un processus de médiation avant d'instituer des procédures judiciaires, puisque même si la médiation échoue et qu'aucun règlement n'intervient, le dossier devrait bénéficier d'un traitement prioritaire lorsque viendra le temps de fixer des dates de procès. Il n'est toutefois pas clair comment cette promesse de traitement prioritaire se traduira dans les faits.

La compétence de la Cour du Québec

La Loi apporte par ailleurs certaines modifications au seuil de compétence exclusif et concurrent de la Cour du Québec. En effet, la Cour du Québec sera maintenant exclusivement compétente pour entendre les demandes dans lesquelles la somme réclamée ou la valeur de l'objet en litige est inférieure à 75 000 $, contrairement au seuil de 85 000 $ en vigueur en date du présent article.

La Loi prévoit également que la Cour du Québec a une compétence concurrente, et non exclusive, avec celle de la Cour supérieure lorsque la somme ou la valeur de l'objet en litige atteint ou excède 75 000 $ tout en étant inférieure à 100 000 $. Cette décision appartiendra à la partie demanderesse lorsque viendra le temps d'intenter des procédures judiciaires. Ces montants seraient indexés annuellement.

Il doit d'ailleurs être mentionné que les demandes inférieures à ce seuil de 85 000 $ ayant été introduites avant le 30 juin 2023 se poursuivent devant la Cour du Québec et demeurent régies par les dispositions du Code de procédure civile, telles qu'elles se lisaient avant cette date.            

Ces changements à l'article 35 C.p.c. et à la Compétence de la Cour du Québec découlent directement de l'arrêt de la Cour Suprême Renvoi relatif au Code de procédure civile (Qc), art. 35[2], dans lequel la plus haute instance judiciaire au pays avait déclaré que ce plafond de 85 000 $ était inconstitutionnel puisque trop élevé et incompatible avec l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

L'interrogatoire au préalable dans les dossiers de moins de 50 000 $

La Loi modifie également l'article 229 C.p.c. en ce qu'il sera maintenant interdit de procéder à un interrogatoire au préalable dans les affaires où la valeur en litige est inférieure à 50 000 $, contrairement à la limite de 30 000 $ qui est présentement en vigueur. Cette disposition semble s'appliquer tant aux interrogatoires écrits qu'aux interrogatoires oraux.

Il convient de mentionner que le Barreau du Québec s'était d'ailleurs opposé[3] à cette modification puisqu'il estime que le seuil de 30 000 $ présentement applicable est suffisant et devrait être maintenu. Il sera donc intéressant de suivre ce dossier pour voir s'il y aura contestation judiciaire à cet égard.

La procédure particulière applicable aux demandes en matière civile introduites à la Cour du Québec

La Loi introduit également une voie de procédure particulière applicable aux demandes en matière civile introduite à la Cour du Québec ayant pour objet la simplification du déroulement des instances. À cette fin[4], la Loi prévoit notamment que :

1° il n'est plus requis de convenir d'un protocole de l'instance puisque le Code de procédure civile fixe des délais pour accomplir certaines étapes procédurales, dont la date limite pour le dépôt d'un exposé sommaire des moyens de défense et pour la communication des pièces de part et d'autre;

2° la demande introductive d'instance ne peut comporter plus de 5 pages, et ce n'est qu'exceptionnellement que le tribunal pourra autoriser l'ajout de pages supplémentaires. Au même effet, l'exposé sommaire en contestation de cette procédure ne pourra dépasser plus de 2 pages, ou 7 pages si elle contient une demande reconventionnelle;

3° dans les dossiers dont le montant en litige est inférieur à 50 000 $, l'expertise (si nécessaire) est obligatoirement commune. Une partie devra demander l'autorisation du tribunal si elle veut déroger à cette règle;

4° une partie peut, pour tenir lieu du témoignage de l'un de ses témoins sur les faits du litige, produire une déclaration écrite de ce dernier de 5 pages maximum, pourvu qu'elle ait été préalablement notifiée aux autres parties;

5° une conférence de règlement à l'amiable est tenue après le dépôt du dossier complet de la défense, et ce, entre 120 et 150 jours après la signification de l'avis de l'assignation au défendeur. Les parties pourront notamment en être dispensées par le tribunal si le tribunal estime qu'il doit en être ainsi compte tenu des circonstances ou si les parties ont déjà procédé à une médiation dans ce dossier, avant ou pendant les procédures judiciaires;

6° si aucun règlement n'intervient lors de cette conférence de règlement à l'amiable, celle-ci sera convertie en conférence préparatoire à l'instruction.

Les changements au fonctionnement de la division des petites créances

La Loi prévoit notamment que dans certains cas, les dossiers introduits à la Cour du Québec, division des petites créances et dont l'objet du litige est nécessairement sous le seuil de 15 000 $, sont automatiquement et de façon obligatoire référés à la médiation. Dans l'éventualité où cette avenue ne se conclut pas par un règlement du dossier, le médiateur peut les référer à un arbitre, sans frais additionnels.

De plus, à tout moment d'une instance portant sur le recouvrement d'une créance d'au plus de 3000 $, le tribunal peut, du consentement des parties, rendre jugement sur le vu du dossier.

Ces modifications et bien d'autres ont pour objectif de réduire les délais d'attente à la Cour du Québec, division des petites créances à un délai de 6 à 9 mois, contrairement au délai de 22 mois qui serait d'usage actuellement dans la province du Québec.

Conclusion

En résumé, cette Loi risque de créer une onde de choc tant pour les avocats de litige au Québec que pour les justiciables. En effet, les changements apportés au Code de procédure civile par la Loi sont substantifs et concrets.

Il sera très intéressant de suivre l'évolution de cette Loi et des changements qu'elle prévoit dans la gestion quotidienne des dossiers. Il est par exemple fort possible que la Loi entraîne une forte augmentation de la demande pour les services de médiateurs en ce que, même en l'absence de règlement, avoir recours à ce mode privé de règlement de différends permettra l'accélération du traitement judiciaire d'un dossier, ce qui peut avoir des avantages stratégiques pour une partie. De même, pour des raisons stratégiques, une partie pourra décider d'intenter en Cour du Québec des procédures judiciaires dont l'enjeu en litige est supérieur au seuil de 75 000 $.

En terminant, soulignons que la Loi prévoit également que les juges des tribunaux judiciaires peuvent maintenant être choisis parmi les notaires ayant exercé leur profession pendant au moins 10 ans, ce qui n'était pas permis avant la sanction du 15 mars 2023, puisque ce rôle était réservé aux membres du Barreau du Québec.

Pour plus d'informations sur cette Loi ou pour toutes questions d'ordre juridique afférentes à la gestion ou à la résolution de différends civils ou commerciaux, n'hésitez pas à contacter l'équipe de litige de Gowling WLG qui saura vous assister.


[1] https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-8-43-1.html

[2] 2021 CSC 27

[3]https://www.barreau.qc.ca/fr/actualites/memoires-enonces-positions/projet-loi-8-meilleure-efficacite-accessibilite-justice/

[4] Voir l'article 7 du Projet de Loi 8 à cet égard et les nouveaux articles 535.1 à 535.15 C.p.c.


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