Protéger sa marque de commerce à l’ère du suprarecyclage

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08 mars 2023

La pratique qui consiste à recycler un objet de manière à ce que le produit obtenu ait une valeur supérieure à l'article d'origine, aussi appelée « upcycling » en anglais, est de plus en plus populaire, particulièrement à l'ère où l'éco-responsabilité devient un enjeu fort important. Or, lorsque de tels produits sont composés ou mettent en valeur des articles arborant des marques de commerce et mis sur le marché, les propriétaires de ces marques ont-ils leur mot à dire sur la réinjection de leur marque dans le marché par des tiers?



Avant tout, il faut considérer la théorie de l'épuisement des droits d'un propriétaire de marque de commerce dans une telle situation. En effet, bien que l'enregistrement d'une marque de commerce confère des droits exclusifs d'usage en association avec certains biens[1], une fois que ces biens sont légalement achetés par un tiers, les droits du propriétaire de marque sur l'usage qui est fait de ces biens sont dits « épuisés ». Prenons par exemple une personne qui achète une cocotte en fonte émaillée d'une marque bien connue et qui choisit de la revendre telle quelle sur Internet. Le propriétaire de la marque ne pourrait limiter l'usage qui est fait de la cocotte (notamment le fait de la revendre comme un produit de la marque), puisque ses droits d'exclusivité se sont « éteints » au moment de la vente de la cocotte. Ainsi, la théorie de l'épuisement fait en sorte qu'un propriétaire de marque n'a pas, à proprement parler, de contrôle sur la revente de produits qui portent sa marque et qui ont été légalement acquis[2]. Ce principe a été reconnu dans le droit canadien par la jurisprudence, ayant été pour la première fois appliqué par la Cour suprême du Canada en 1984 dans l'arrêt Consumers Distributing Co. c. Seiko[3].

Le phénomène du suprarecyclage soulève toutefois une question d'intérêt : les modifications apportées au produit de marques sont-elles importantes au point de créer une exception au phénomène de l'épuisement? Une récente décision de la Cour fédérale[4] semble suggérer que cela serait possible dans certaines circonstances.

Le litige porte sur la modification et l'incorporation par le défendeur, M. Varzari, de pièces de motocyclette portant des marques détenues par Harley-Davidson (H-D U.S.A. LLC) dans des vélos électriques personnalisés qu'il confectionne et vend lui-même sous le nom « Harley Davidson Willie G Edition ». La Cour a distingué cette situation d'une simple revente et déterminé que le principe de l'épuisement ne trouve pas application en l'espèce. La Cour conclut qu'il y a là usurpation des marques de Harley-Davidson, commercialisation trompeuse et dépréciation probable de l'achalandage. La Cour prononce une injonction permanente qui interdit à M. Varzari de vendre ou de faire la publicité de ses vélos électriques, exige la remise ou destruction de toute reproduction des vélos ou de matériel de marketing et accorde des dommages-intérêts.

Bien que la Cour ait reconnu des droits à un propriétaire de marque dans un contexte de suprarecyclage, il convient d'insérer cette décision dans son contexte :

  • Le produit revendu se situe dans une catégorie voisine aux produits vendus par le propriétaire (motocyclettes au lieu de vélos électriques)
  • Les produits sont vendus d'une façon qui semble suggérer une affiliation avec la marque Harley-Davidson

Par cette décision, la Cour fédérale vient toutefois clarifier les extrémités du spectre de protection accordé aux propriétaires de marque en matière de revente de biens arborant leurs marques. La protection est nulle en cas de simple revente sans altération. La protection est maximale (et permet de maintenir l'exclusivité) dans le cas où le nouveau produit, créé dans une optique de suprarecyclage en incorporant la marque, pourrait créer un risque de confusion quant à sa provenance et donc diluer la marque de commerce. En ce qui a trait aux situations qui se trouvent entre ces deux extrémités, le degré de protection demeure toutefois moins clair et il faudra les évaluer au cas par cas. Ceci dit, en tant que propriétaire de marque, une bonne pratique consiste à garder un œil attentif à l'usage que font des tiers des biens arborant sa marque, et qui font l'objet de suprarecyclage. Afin d'obtenir des conseils personnalisés sur la meilleure façon de protéger votre marque, nous vous invitons à consulter un membre de l'équipe de Marques de Commerce chez Gowling WLG.


[1] Loi sur les marques de commerces, L.R.C. (1985), ch. T-13, art.19.

[2] Jeremy de Beer et Robert Tomkowicz, « Exhaustion of intellectual property rights in Canada », (avril 2009) 25-3 Canadian Intellectual Property Review, p.7.

[3] Consumers Distributing Co. c. Seiko, (1984) 1 RCS 583, p.593.

[4] H-D U.S.A., LLC c. Varzari, 2021 CF 620.


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