Un manquement aux règles de santé et de sécurité mène à une condamnation pour homicide involontaire

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23 mars 2018

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Le 1er mars 2018, l’honorable Pierre Dupras, j.c.q., a rendu un jugement important dans l’affaire R. c. Fournier[1], qui rappelle aux employeurs les conséquences importantes que peut entraîner un manquement aux obligations qui leur sont imposées par la loi de prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger la sécurité de leurs travailleurs.

L’entrepreneur Sylvain Fournier, propriétaire et président de l’entreprise d’excavation S. Fournier Excavation inc. est celui visé par cette première condamnation d’homicide involontaire dans un contexte de manquement aux règles de santé et de sécurité au travail.

Le 3 avril 2012, l’entreprise de M. Fournier, qui emploie à ce moment, M. Gilles Lévesque, réalise des travaux de remplacement d’une conduite d’égout devant une résidence de Lachine. Au cours de ces travaux, M. Fournier et son employé M. Lévesque se seraient retrouvés au fond du trou sans que les parois ne soient sécurisées par un étançonnement, comme l’exige l’article 3.15.3 du Code de sécurité pour les travaux de construction. Deux éboulements consécutifs auraient complètement enseveli M. Lévesque, qui a été retrouvé sans vie lorsque les secours ont finalement été en mesure de le dégager.

Le décès de M. Lévesque dans ces circonstances tragiques a mené la Couronne à porter deux chefs d’accusation contre M. Fournier. Le premier reproche à M. Fournier d’avoir causé le décès de M. Lévesque par négligence criminelle, en ne prenant pas les mesures nécessaires, alors qu’il dirigeait l’accomplissement d’un travail par celui-ci, afin d’éviter qu’il n’en résulte des blessures[2]. Le deuxième chef d’accusation reproche à M. Fournier d’avoir causé le décès de M. Lévesque en commettant un homicide involontaire coupable[3].

À l’issue d’un procès de plusieurs semaines, le juge Dupras a reconnu M. Fournier coupable d’homicide involontaire, une première dans des circonstances similaires, jugeant que son comportement lors de l’exécution des travaux de remplacement de la conduite qui s’est avérée fatale pour M. Lévesque, constituait un acte illégal objectivement dangereux, que cet acte était responsable du décès de M. Lévesque, et que le comportement de M. Fournier différait grandement de celui qu’aurait adopté une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances :

« [114] Reprenant maintenant les facteurs isolés au paragraphe précédent, le Tribunal conclut de la preuve qui a été administrée, que la conduite de l’accusée constitue un acte illégal, une contravention claire aux obligations édictées à l’article 3.15.3 du Code de sécurité pour les travaux de construction, en ce que l’accusé, employeur de M. Lévesque, ne s’est pas assuré que les parois de la tranchée en cause, soient étançonnées solidement avec les matériaux requis suivant les exigences cristallisées au premier paragraphe du texte »[4].

S’attardant ensuite au chef d’accusation de négligence criminelle, et s’appuyant sur l’obligation de la personne qui supervise un travail (obligation détaillée à l’article 217.1 du Code criminel) et sur les dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et du Code de sécurité pour les travaux de construction, le Tribunal conclut que M. Fournier a manqué à son devoir légal de protection de la santé et de la sécurité de son salarié et démontré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de sa sécurité. « Le comportement en cause se distingue nettement par l’indifférence, le détachement, le désintéressement et révèle une absence totale de considération envers ses conséquences prévisibles », écrit le juge Dupras au paragraphe 128 de son jugement.

En somme, le Tribunal conclut que :

« [132] Le Tribunal a retenu qu’aucune des mesures imposées par la réglementation ou par la loi n’a été mise en place pour assurer la sécurité de M. Lévesque. De surcroît, il retient que l’accusé n’a accordé aucune attention à ce risque grave et évident pour la sécurité de M. Lévesque qu’il a lui-même créé.

[133] L’omission de respecter ses obligations alors qu’il était tenu de prendre les mesures voulues pour éviter des blessures corporelles et, bien sûr, la mort de M. Lévesque établit cet écart marqué et important dont la preuve a été faite hors de tout doute raisonnable »[5].

Cette décision vient rappeler aux employeurs l’importance que revêt le respect des règles en matière de santé et de sécurité au travail. Il faut se rappeler que c’est à la suite d’une explosion gigantesque causée par du gaz méthane et ayant causé la mort de 26 mineurs le 9 mai 1992, à Plymouth en Nouvelle-Écosse, que le Gouvernement fédéral avait adopté en 2002 le projet de loi C-45 : Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations).

Les objectifs du projet de loi C-45 étaient d’établir une infraction de négligence criminelle liée à la santé et à la sécurité des travailleurs, d’imposer à l'employeur des obligations additionnelles à celles déjà imposées en vertu des lois provinciales et d’établir un large éventail de personnes pouvant être tenues responsables, dont l'entreprise.

Ainsi, la loi C-21, entrée en vigueur le 31 mars 2004, a eu pour effet de modifier le Code criminel afin de faciliter les poursuites contre des organisations pour négligence criminelle lorsqu'elles font preuve de négligence en matière de santé et de sécurité. Depuis, le Code criminel associe directement la négligence marquée de l'employeur au chapitre de la sécurité au travail à de la négligence criminelle (art. 217.1 C. cr.)  et établit les bases d'une présomption de participation criminelle envers l'organisation (art. 22.1 C. cr.).

Par ailleurs, la décision rendue par le juge Dupras dans l’affaire Fournier constitue une première condamnation pour un homicide involontaire dans un contexte de manquement aux obligations d’un employeur de protéger et d’assurer la santé et la sécurité de ses travailleurs. 


[1] 2018 QCCQ 1071.

[2] Code criminel, articles 217.1 et 219.

[3] Code criminel, article 222 (5) a) et b).

[4] R. c. Fournier, précité, par. 114.

[5] R. c. Fournier, précité, par. 132 et 133.


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