Le 24 mars 2021, le ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie du Canada a publié une mise à jour des Lignes directrices sur l'examen relatif à la sécurité nationale des investissements présentées en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Ces lignes directrices expliquent l'approche du gouvernement quant à l'évaluation des risques pour la sécurité nationale que représentent les investissements étrangers et encouragent fortement les investisseurs à aviser le gouvernement au moins 45 jours avant la clôture d'une opération dans certaines circonstances.

Le point de vue de Gowling WLG

Avec la mise à jour des lignes directrices, les investisseurs susceptibles d'être perçus comme une menace pour la sécurité nationale (surtout les entreprises d'État) seront davantage forcés de se rendre compte qu'ils doivent signifier leur intention d'effectuer un investissement. En outre, les lignes directrices multiplient les circonstances dans lesquelles beaucoup d'investisseurs (habituellement non perçus comme une menace pour la sécurité nationale) sont maintenant fortement encouragés à signifier également leur intention de conclure une opération, clôture qu'ils devront possiblement reporter pour ce faire. Toutefois, ces lignes directrices mises à jour ne reconnaissent pas directement ce qui constitue le plus important facteur de risque potentiel pour la sécurité nationale depuis longtemps : un lien entre un investisseur et un pays perçu comme étant non démocratique.

Consultez les lignes directrices mises à jour ici, et l'annonce du ministre, ici.

Principaux changements

Voici ce que les lignes directrices mises à jour mettent de l'avant :

  • Elles affirment que « certains investissements au Canada par des entreprises d'État peuvent être motivés par des impératifs non commerciaux qui pourraient nuire à la sécurité nationale du Canada. Le gouvernement examinera de plus près […] tous les investissements étrangers effectués par des investisseurs d'État ou des investisseurs privés considérés comme étant étroitement liés à des gouvernements étrangers ou soumis à leurs directives, quelle que soit la valeur de l'investissement. »
    • Notons que, depuis avril 2020, le gouvernement canadien soumet des investisseurs d'État et des investisseurs perçus comme étant liés à un État ou sous son influence à un examen approfondi, entre autres, en vertu d'une politique temporaire mise en œuvre au commencement de la pandémie de COVID-19.
  • Elles expliquent plus en détail ce qu'on entend par « technologies sensibles », en dressant une liste non exhaustive de domaines technologiques et en précisant que cette liste pourrait être mise à jour périodiquement, selon l'évolution des technologies. Le transfert potentiel de technologies ou de savoir-faire sensibles à l'extérieur du Canada constitue une circonstance dans laquelle un avis d'investissement doit être déposé avant la clôture d'une opération. Consultez la liste des domaines technologiques sensibles ici.
    • Soulignons que le gouvernement peut interpréter librement les catégories de domaines technologiques. Par exemple, les quatre premières catégories désignent diverses formes de technologies « avancées »; or, le gouvernement peut considérer la technologie de la société canadienne plus avancée que ne l'estime l'investisseur.
  • Elles déterminent que l'« incidence possible de l'investissement sur les minéraux critiques et les chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques » constitue une nouvelle circonstance où un avis doit être déposé avant la clôture d'une opération. Le gouvernement du Canada dresse ici la Liste des minéraux critiques.
  • Elles déterminent que « la mesure dans laquelle l'investissement pourrait permettre d'accéder à des données personnelles sensibles qui seraient susceptibles d'être utilisées pour nuire à la sécurité nationale du Canada par leur exploitation » constitue une nouvelle circonstance où un avis doit être déposé avant la clôture d'une opération. Par données personnelles sensibles on entend notamment :
    • Les renseignements de santé ou de génétique qui permettent d'identifier une personne (p. ex., maladies ou résultats de tests génétiques);
    • Les données biométriques (p. ex., empreintes digitales);
    • Les données financières (p. ex., renseignements confidentiels sur les comptes, comme les dépenses et les dettes);
    • Les communications (p. ex., communications privées);
    • La géolocalisation;
    • Les données personnelles concernant des représentants gouvernementaux, y compris des membres de l'armée ou des services de renseignement.
  • Elles ajoutent à cela cette nouvelle catégorie fourre-tout : « Les investissements qui ne possèdent aucune des caractéristiques énumérées ci-dessus peuvent néanmoins présenter des problèmes liés à la sécurité nationale lorsque l'investissement porterait atteinte à la sécurité nationale du Canada. »
  • Elles « encouragent fortement » les investisseurs à déposer un avis au moins 45 jours avant la clôture d'une opération s'il s'agit d'investisseurs d'État ou influencés par l'État, ainsi que dans les cas où sont présents les autres facteurs de risques énoncés. Notons que « fortement » n'accompagnait pas le verbe « encourager » dans les lignes directrices originales, qui n'établissaient pas non plus de différence entre les investisseurs d'État et les autres investisseurs.

Ce qui n'a pas changé : le principal facteur de risque n'est toujours pas reconnu directement

Les lignes directrices originales, publiées en décembre 2016, portaient presque exclusivement sur les caractéristiques de l'entreprise canadienne cible, et non pas sur celles de l'investisseur. Par conséquent, plusieurs catégories d'investisseurs (des sociétés ouvertes et des fonds de capital d'investissement américains et européens) se demandaient s'ils devaient aborder les lignes directrices de la même manière que d'autres catégories d'investisseurs (comme les entreprises d'État détenues par des pays perçus comme étant non démocratiques), particulièrement dans les nombreuses situations où l'entreprise canadienne cible s'inscrit de justesse et avec réserve dans une catégorie pour laquelle un avis doit être déposé 45 jours avant la clôture d'une opération, ce qui signifie souvent le report de la clôture.

D'après nos observations et notre expérience, pour déterminer si un investissement donné est susceptible d'être considéré comme un risque potentiel pour la sécurité nationale, le plus important facteur, et de loin, est un lien entre l'investisseur et un pays perçu comme étant non démocratique. Fait à noter, des examens relatifs à la sécurité nationale qui ont été menés entre le moment où la Loi sur Investissement Canada a commencé à conférer ce pouvoir et le 31 mars 2019 (période la plus récente pour laquelle des données sont disponibles) ont porté, dans une majorité importante (17 sur 22), sur des investisseurs ultimement contrôlés dans des pays perçus comme étant non démocratiques. Pour plus de renseignements à ce sujet, consultez le plus récent rapport annuel de la Division de l'examen des investissements. Même si toute l'information n'est pas publiée, nous savons que parmi les cinq examens portant sur des investisseurs qui sont, en théorie, des investisseurs d'États démocratiques (Royaume-Uni, Suisse, Chypre, Singapour), certains ont déjà été liés ou sont soupçonnés d'avoir été liés à un pays perçu comme étant non démocratique, p. ex., par l'intermédiaire d'un actionnaire minoritaire important ou d'un actionnaire dont la citoyenneté pourrait avoir changé, et il est concevable qu'ils aient tous eu un tel lien.

Les lignes directrices mises à jour tendent à remédier à cet état de fait en ajoutant les dispositions mentionnées précédemment visant les investisseurs d'État, liés à un État ou influencé par l'État. Toutefois, elles ne précisent pas les pays perçus comme étant non démocratiques. Par exemple, rien n'indique, dans les lignes directrices mises à jour, qu'un fonds souverain appartenant à un pays membre de l'UE serait probablement considéré comme présentant un profil de risque différent de celui d'une entreprise d'État détenue par la Chine. Rien n'indique non plus, dans les lignes directrices mises à jour, que des investisseurs du secteur privé uniquement, n'ayant aucun lien avec un pays perçu comme étant non démocratique, seront généralement considérés comme ne présentant qu'un risque faible ou nul pour la sécurité nationale. Cela peut s'expliquer par des raisons diplomatiques et une volonté du gouvernement de préserver sa liberté d'action pour des situations vraisemblablement rares et imprévisibles où un investisseur du secteur privé n'ayant aucun lien avec un pays perçu comme étant non démocratique constituerait un risque pour la sécurité nationale. Cependant, avec cette approche, s'ils souhaitent respecter les lignes directrices, un grand nombre d'investisseurs non susceptibles d'être considérés comme un risque pour la sécurité nationale devront eux aussi déposer un avis 45 jours avant d'effectuer un investissement, ce dernier devant être possiblement reporté, par le fait même.

Information supplémentaire

Pour en savoir davantage, jetez un coup d'œil à notre article sur les effets de l'examen relatif à la sécurité nationale en vertu de la Loi sur Investissement Canada (en anglais).

Si vous souhaitez obtenir de l'aide ou des conseils relatifs à la Loi sur Investissement Canada, aux lois canadiennes sur la concurrence et antitrust ou sur les examens en lien avec les investissements étrangers, veuillez joindre les auteurs, Ian Macdonald ou Elad Gafni.