Wendy J. Wagner
Associée
Cochef, groupe national Cybersécurité et protection des données; chef, Commerce international et douanes
Article
Le président Donald Trump a mis sur pause son intention d’imposer des tarifs douaniers pouvant atteindre 25 % sur les importations canadiennes pour au moins 30 jours, mais sa menace, et l’éventuel riposte du Canada, planent toujours sur les entreprises de part et d’autre de la frontière. À l’heure actuelle, il est impératif que les organisations canadiennes et américaines qui font du commerce transfrontalier profitent de ce moment de répit pour évaluer les éventuelles conséquences des tarifs, protéger leurs intérêts, et revoir la continuité de leurs activités et leurs stratégies.
Ce guide explique les principaux risques que posent les tarifs douaniers proposés et suggère des stratégies pratiques et des mesures concrètes pour y faire face.
Les tarifs douaniers, un outil de politique commerciale bien connu des gouvernements, sont au cœur de l’actualité depuis quelques mois. Avant son investiture, le président Trump a clairement signifié son intention d’imposer rapidement des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits canadiens importés aux États-Unis, arguant d’enjeux de sécurité frontalière.
Malgré les mesures prises par le Canada pour éviter l’imposition de ces tarifs, le président Trump a réitéré ses menaces depuis son investiture.
Dès sa première journée de présidence, il a demandé la tenue d’une grande enquête sur le commerce américain dans le but de mettre en place une politique commerciale qui prône « l’Amérique d’abord ». Cette enquête portera sur les mesures actuelles et de possibles nouvelles mesures visant à combler les déficits commerciaux et à stopper les prétendues importations de fentanyl en provenance du Canada, ainsi que sur les répercussions de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Toutes ces questions ont été évoquées par le président Trump pour justifier l’imposition de tarifs de 25 % sur les produits canadiens.
Le gouvernement canadien a promis de mettre en place des mesures de représailles de grande ampleur si le président Trump met ses menaces à exécution, parmi lesquelles l’imposition de contre-tarifs sur de multiples produits américains. Ce ne serait pas une première pour le Canada et, comme les fois précédentes, les produits visés sont choisis avec soin et les tarifs seront mis en œuvre progressivement afin que la mesure soit ciblée et efficace, et qu’elle ne nuise pas aux importations essentielles pour la population canadienne.
Cette tension commerciale continue suscite à juste titre beaucoup d’inquiétude chez les Canadiennes et les Canadiens, au sein du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et parmi les économistes compte tenu des effets néfastes qu’auront assurément ces mesures sur les chaînes d’approvisionnement intégrées, sur l’économie canadienne et sur les entreprises de part et d’autre de la frontière. Depuis des dizaines d’années, les entreprises canadiennes et américaines entretiennent d’étroites relations commerciales favorisées notamment par l’ALENA, puis par l’ACEUM. Toutefois, cette forte dépendance expose les entreprises à d’importants risques lorsque les politiques commerciales ou la dynamique politique changent. Cette guerre commerciale pourrait en être un douloureux rappel.
Malgré la pause en cours, la menace d’imposition de tarifs douaniers est bien réelle. Les organisations doivent agir dès maintenant pour comprendre et minimiser les conséquences potentielles des tarifs sur leurs activités et chiffre d’affaires. Nous présentons ci-dessous les stratégies clés et les mesures concrètes que peuvent adopter les organisations pour se préparer aux nouveaux tarifs imposés par les États-Unis et aux mesures de représailles prises par le Canada.
Au Canada, la Loi sur le tarif des douanes donne au conseil des ministres le pouvoir juridique d’imposer des tarifs douaniers (aussi appelés surtaxes) en vue de réagir aux actes, politiques ou pratiques de gouvernements étrangers qui soit nuisent au commerce des marchandises ou services du Canada, soit provoquent directement ou indirectement des effets nocifs à cet égard.
En plus de pouvoir imposer des tarifs douaniers, ce conseil peut suspendre ou retirer les droits ou privilèges accordés aux États-Unis en vertu d’un accord commercial, comme une interdiction de restrictions à l’exportation.
Les tarifs douaniers sont régis par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Les droits de douane sont normalement imposés sur les produits en fonction de leur classement tarifaire et de leur traitement tarifaire (déterminé selon l’origine du produit), et ils doivent être payés par l’importateur officiel. La surtaxe, le cas échéant, s’ajoute aux droits de douane applicables au produit. Pour obtenir le montant total des droits et de la surtaxe, il faut appliquer le taux de droit et le taux de surtaxe au montant de la valeur en douane déclarée. La TPS (et toute taxe provinciale) est ensuite calculée sur le total de la valeur en douane, des droits applicables (y compris la surtaxe) et des taxes d’accise.
Ainsi, si un produit commercial d’une valeur en douane de 100 $ fait l’objet d’une surtaxe de 25 %, les droits et la TPS s’élèveront à 31,25 $ (près du tiers de la valeur déclarée du produit). Si l’importateur officiel est inscrit au registre de la TPS du Canada, il pourra récupérer la TPS payée dans la plupart des cas, mais pas dans tous, d’où l’importance qu’il tienne compte à la fois des droits, des taxes de vente applicables et de toute exemption à laquelle il pourrait avoir droit.
Les tarifs douaniers imposés par les États-Unis sur les produits canadiens doivent habituellement être payés par l’importateur officiel aux États-Unis. Toutefois, l’importateur officiel n’est pas nécessairement une entreprise américaine, tout comme les entreprises qui importent au Canada ne sont pas nécessairement canadiennes, et certaines entreprises canadiennes qui exportent vers les États-Unis tout en étant l’importateur officiel doivent donc payer les droits.
La législation américaine prévoit plusieurs mécanismes pour l’adoption de tarifs douaniers. Dans certains cas, cette adoption dépend de procédures bien établies, qui peuvent inclure des enquêtes et des décisions d’instances gouvernementales; dans d’autres, elle émane directement d’une décision unilatérale du président.
Les raisons de sécurité nationale citées par le président Trump, notamment la crise du fentanyl et la sécurité des frontières, laissent présager que ces mesures seront prises aux termes de l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA). Ce n’est pas anodin puisque, contrairement aux autres lois commerciales qu’ont invoquées les États-Unis pour imposer des tarifs douaniers au Canada dans le passé, l’IEEPA permet l’imposition de tarifs sans procédure si le président déclare une « urgence nationale » causée par une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère ou l’économie des États-Unis, provenant en totalité ou en grande partie de l’extérieur des États-Unis, le terme « urgence nationale » n’étant pas défini dans la loi en question.
Les tarifs que le président Trump a récemment imposés sur les produits colombiens pourraient bien être un aperçu de ce qui attend le Canada. Le dimanche 26 janvier 2025, le président Trump a ordonné que des tarifs de 25 % soient imposés immédiatement sur tous les produits colombiens, puis soient portés à 50 % la semaine suivante, après que la Colombie a refoulé des avions militaires américains qui transportaient des immigrants expulsés, exigeant des États-Unis qu’ils garantissent que ces immigrants soient traités avec dignité.
La Maison-Blanche a confirmé que les mesures auraient été imposées aux termes de l’IEEPA. L’« urgence nationale » invoquée est que le refoulement des vols a compromis la sécurité nationale et la sécurité publique des États-Unis. Une interdiction de voyager, des révocations de visas et des sanctions contre les représentants du gouvernement colombien comptaient parmi les autres mesures ordonnées. Le président colombien Gustavo Petro a riposté en demandant à son gouvernement d’augmenter les tarifs douaniers sur les produits américains de 25 %.
Quant au refoulement des vols, les deux pays sont finalement parvenus à un accord avant la mise en œuvre des mesures, et les tarifs et sanctions ont été « mis de côté ». Toutefois, les autres pays menacés de tarifs douaniers par les États‑Unis, dont le Canada, peuvent tirer d’importantes leçons de cette situation. Plus particulièrement, on constate que l’administration actuelle a une définition bien large du terme « urgence nationale » au sens de l’IEEPA. De plus, la Colombie, comme le Canada, est signataire d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. On constate que, dans l’immédiat, de tels accords ne semblent plus offrir la protection escomptée aux partenaires commerciaux des États-Unis.
Les tarifs douaniers feront augmenter le prix des produits des deux côtés de la frontière. Les répercussions financières pour votre organisation peuvent dépendre des modalités contractuelles et des clauses de protection prévues dans vos contrats. Vos contrats vous protègent-ils de ces risques financiers?
Certains secteurs, comme les grandes infrastructures et la construction automobile, ont déjà fait face à des menaces semblables et ont mis en place des mécanismes contractuels qui permettent de répartir les risques connus, comme des limites de responsabilité et des ententes de partage des coûts, et de renégocier les contrats en cas de nouveaux tarifs douaniers, taxes ou droits ou de changements législatifs. On peut s’attendre à ce que ce genre de mécanisme devienne monnaie courante dans tous les secteurs. Avec le temps, la partie qui prend le risque sera également mieux définie dans les contrats.
Certaines organisations devront revoir leur stratégie de chaîne d’approvisionnement lorsque le coût des produits américains grimpera en raison des mesures de représailles du Canada. Si le prix de vos intrants critiques en provenance des États-Unis augmente de 25 %, avez-vous d’autres options? Pouvez-vous vous en procurer auprès d’autres fournisseurs qui ne sont pas touchés par les tarifs?
Vous pouvez limiter les effets des tarifs en passant en revue vos chaînes d’approvisionnement à risque élevé, en gérant vos stocks et en réorganisant vos chaînes d’approvisionnement de façon stratégique avant l’imposition des tarifs.
Procédez à un examen de la conformité commerciale générale de votre organisation pour trouver des occasions de réduire le contrecoup financier des tarifs.
Pour une importation donnée, les tarifs douaniers, et le montant total des droits à payer qui en résulte, sont appliqués en fonction de l’origine et de la valeur des produits importés, qui doivent être déclarées au moment de l’importation. Lorsque les tarifs augmentent pour les produits d’un pays en particulier, il est d’autant plus important de vous assurer que la déclaration est exacte pour éviter de payer des droits excédentaires et pour limiter les effets des tarifs sur votre organisation.
Les tarifs douaniers payés sur les produits importés peuvent être déductibles dans certains cas. Dans le cadre de votre stratégie, vous devez à tout prix profiter des déductions fiscales qui vous sont offertes.
Les politiques commerciales américaines et canadiennes étant en pleine évolution, les organisations des deux côtés de la frontière ont l’occasion de donner leur avis et d’influencer les décisions politiques.
Plus particulièrement, le gouvernement canadien dresse la liste des produits américains qui feront l’objet de contre-tarifs. Il procède avec soin et de façon progressive pour que la mesure soit ciblée et efficace et qu’elle ne nuise pas aux importations essentielles pour la population canadienne. Les représentants du gouvernement consultent actuellement les organisations canadiennes au sujet de la liste des contre-tarifs et souhaitent obtenir des exemples de difficultés éventuelles pour les chaînes d’approvisionnement à la suite de l’imposition des tarifs américains et canadiens, tant pour l’exportation vers les États-Unis que pour l’importation vers le Canada. Les consultations donnent l’occasion aux organisations de participer à la préparation de la riposte du gouvernement canadien, mais elles doivent agir de manière proactive. Les spécialistes de Gowling WLG sont prêts à aborder ces questions avec vous.
Bien que le président Trump ait menacé d’imposer des tarifs douaniers globaux, les gouvernements peuvent autoriser des exclusions et exemptions, ou encore accorder des remises. Avez-vous vérifié si vos produits ou intrants pourraient d’emblée être exemptés des tarifs? Dans la négative, pouvez‑vous obtenir des remises ou des remboursements de douane? Vous devez faire ces vérifications maintenant. Si vous attendez, votre organisation pourrait manquer des occasions d’être exemptée des tarifs ou subir des pertes financières évitables.
Les entreprises nord-américaines de tous les secteurs et l’ensemble de l’économie canadienne subiront sans conteste les contrecoups des tarifs américains et des mesures de représailles du Canada. Votre organisation peut agir dès maintenant pour se préparer aux mesures à venir et participer à leur élaboration. Une réaction rapide et proactive aidera votre organisation à relever les défis qui l’attendent.
Pour savoir comment entreprendre cette démarche au sein de votre organisation, n’hésitez pas à communiquer avec les personnes qui ont rédigé cet article. Les équipes Commerce international et douanes et Affaires gouvernementales de Gowling WLG suivent la situation de près et restent à votre disposition pour vous aider à composer avec ces changements.
Pour en savoir plus sur les tarifs douaniers et les relations commerciales entre les États-Unis et le Canada, lisez les articles suivants (en anglais seulement) :
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