Les baux commerciaux au Québec (partie 1 de 2)

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01 octobre 2012

Bien qu’il existe de nombreuses similitudes entre le Québec et les juridictions de common law, en ce qui a trait aux règles de droit applicables aux baux commerciaux, il y a aussi un certain nombre de distinctions, dont nous soulignerons les principales ci-après.

Le Code civil du Québec (le « CCQ ») protège davantage, à prime abord, les droits des locataires, mais la plupart de ses dispositions sont supplétives et sont fréquemment mises de côté par les parties au contrat.

Distinction entre un droit réel et un droit personnel

Le système de droit civil du Québec, tout comme le système de la common law, fait la distinction entre un droit réel (c’est-à-dire un droit dans la chose elle-même ou in rem) et un droit personnel (c’est-à-dire un droit exerçable à l’encontre d’une ou de plusieurs personnes).

Définition du louage

Le CCQ, en vigueur depuis le 1er janvier 1994, définit le louage comme étant le contrat par lequel une personne, le locateur, s’engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d’un bien, meuble ou immeuble, pour un certain temps (Art. 1851 CCQ).

Ainsi, au Québec, contrairement à ce qui se produit dans les juridictions de common law, le bail commercial ne confère au locataire aucun droit dans l’immeuble, à proprement parler.  Il ne confère que des droits personnels en faveur des parties, soit le droit d’exiger de l’autre partie l’exécution de certaines prestations.

Le CCQ s’applique d’une façon supplétive

L’approche codifiée adoptée au Québec, en matière de baux commerciaux, a comme conséquence que les dispositions du CCQ s’appliquent d’une façon supplétive.

Ainsi, si une situation prévue au CCQ ne fait pas l’objet d’une convention expresse à l’effet contraire, la disposition pertinente du CCQ est présumée faire partie du contrat.

Sous réserve des règles d’ordre public (et il n’y en a pas beaucoup en matière de baux commerciaux), il est donc possible de déroger aux dispositions du CCQ applicables en matière de baux.

Conditions de forme

Au Québec, aucune condition de forme particulière n’est requise, en ce qui a trait à un bail commercial.  Celui-ci sera valide, entre les parties, dans la mesure où il comporte tous les éléments essentiels, soit l’identité du locateur, l’identité du locataire, une description suffisamment précise de l’immeuble loué et le loyer.

Ce bail commercial peut même être oral, sous réserve des difficultés d’en faire la preuve. 

Opposabilité du bail à l’égard des tiers

Si, toutefois, le locataire désire faire en sorte que son bail soit opposable à un éventuel acquéreur de l’immeuble loué ou au créancier hypothécaire, ce bail devra être écrit et le locataire devra procéder à sa publication au registre foncier.

Publication du bail

Pour pouvoir être publié au Québec, un bail commercial doit comporter une désignation cadastrale appropriée de l’immeuble affecté par ce bail (Art. 2981 CCQ).

Le bail peut être publié au long, par voie de sommaire ou par simple avis (Art. 2982 CCQ). 

S’il est publié au long, il doit être signé devant un notaire du Québec (lequel atteste, par sa seule signature, qu’il a vérifié l’identité, la qualité et la capacité des parties, et que le document traduit la volonté exprimée par elles) ou encore, le bail commercial peut être signé sous seing privé, devant deux témoins, dont l’un est assermenté (Art. 2995 CCQ). Si le bail a été reçu sous la forme notariée, le notaire instrumentant pourra en produire un extrait, en omettant volontairement certaines informations qui pourraient être plus « sensibles » (par exemple le loyer), que les parties ne désirent pas nécessairement rendre publiques.  Si le bail est sous seing privé, il ne peut en être produit un extrait et, par conséquent, le bail doit être publié au long, y compris ces informations plus « sensibles » que nous avons évoquées précédemment.

Le bail peut aussi être publié au moyen d’un sommaire qui résume le document (Art. 2982 CCQ).  Il y a un inconvénient à cette méthode : la personne qui requiert une inscription sur le registre foncier est tenue de présenter, à des fins de conservation et de consultation, avec le sommaire, l’acte qui en fait l’objet (Art. 2985 CCQ), donc le bail dans notre cas; cela pose encore une fois les mêmes difficultés quant aux informations plus « sensibles », que les parties ne désirent pas nécessairement rendre publiques.

C’est donc au moyen d’un avis (soit la troisième des méthodes ci-dessus évoquées) que la plupart des baux commerciaux sont publiés au Québec (Art. 2999.1 CCQ).  L’avis fait référence au bail auquel il se rapporte, identifie les locateur et locataire et contient la désignation de l’immeuble où sont situés les lieux loués; il indique aussi la date du début et, le cas échéant, de la fin du bail ou les éléments nécessaires à leur détermination, ainsi que les droits de renouvellement ou de reconduction du bail, s’il en est; l’exactitude du contenu de l’avis doit, dans tous les cas, être attestée par un notaire ou un avocat.

En matière du publication du bail commercial, il est important de rappeler l’article 2936 du CCQ, lequel prévoit que toute renonciation ou restriction au droit de publier un droit soumis ou admis à la publicité, ainsi que toute clause pénale qui s’y rapporte, sont sans effet.  De semblables dispositions n’existent pas dans la majorité des juridictions de common law, de telle sorte que le bail commercial, dans ces juridictions, peut encadrer ce droit du locataire de procéder à la publication (on utilise le terme « enregistrement » dans les juridictions de common law) de son bail.

Recherches au bureau de la publicité des droits

Des difficultés peuvent être rencontrées en ce qui a trait à l’identité du propriétaire véritable, des créanciers hypothécaires ou des servitudes réelles susceptibles d’affecter l’immeuble.

Présomption de bail

Le bail portant sur un bien immeuble est présumé, lorsqu’une personne occupe celui-ci avec la tolérance du propriétaire; un tel bail présumé est à durée indéterminée; il prend effet dès l’occupation et comporte un loyer correspondant à la valeur locative (Art. 1853 CCQ).

Obligations du locateur

Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail (Art. 1854 CCQ).

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail (Art. 1854 CCQ).

Il est à noter que ces dispositions sont supplétives, de telle sorte que les parties peuvent toujours stipuler autrement.

Ainsi, à moins de stipulation à l’effet contraire, le locateur garantit au locataire que la règlementation municipale relative au zonage permet l’usage envisagé par le locataire aux termes du bail commercial.

Obligations du locataire

Le locataire est tenu, quant à lui, de payer le loyer convenu et d’user du bien avec prudence et diligence (Art. 1855 CCQ).

Destination de l’immeuble

Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination de l’immeuble (Art. 1856 CCQ).

Droit du locateur de faire des travaux

Le locateur a le droit de vérifier l’état des lieux loués, d’y effectuer des travaux et de les faire visiter à un locataire ou à un acquéreur éventuel; il doit toutefois user de ce droit de façon raisonnable (Art. 1857 CCQ).

Troubles de droit et troubles de fait

Le locateur est tenu de garantir le locataire des troubles de droit apportés à la jouissance des lieux loués (Art. 1858 CCQ).

Le locateur est aussi tenu de réparer le préjudice qui résulte du trouble de fait qu’un autre locataire apporte à la jouissance des lieux loués (Art. 1858 CCQ).

Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires, lorsqu’il s’agit d’un immeuble multi-locatif; si le locataire viole cette obligation, le locateur peut demander la résiliation du bail.

Le locataire troublé par un autre locataire peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, pour autant qu’il ait dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.  Dans les mêmes circonstances, le locataire peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu’il a agi avec prudence et diligence (Art. 1861 CCQ).

Dommage ou destruction de l’immeuble

En ce qui a trait aux pertes survenues à l’immeuble, le locataire est tenu de réparer le préjudice subi par le locateur, à moins que le locataire ne prouve que ces pertes ne sont pas dues à sa faute ou à celles des personnes à qui il permet l’usage ou l’accès à l’immeuble (Art. 1862 CCQ).  Cependant, lorsqu’il s’agit d’un incendie, le fardeau de la preuve est renversé, et c’est le locateur qui doit prouver que cet incendie est dû à la faute du locataire ou à celle des personnes à qui il a permis l’accès à l’immeuble (Art. 1862 CCQ).

Inexécution des obligations

L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail (Art. 1863 CCQ).

L'inexécution confère au locataire, en outre, le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir (Art. 1863 CCQ). 

Dans les juridictions de common law, le locateur bénéficie d’un droit de saisie (appelé en anglais « right to distrain »), exerçable à l’encontre des biens du locataire, si celui-ci ne paie pas son loyer. Le locateur ne bénéficie pas d’un droit similaire au Québec.

Réparations

Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure (Art. 1864 CCQ).

Le locataire doit subir les réparations urgentes et nécessaires pour assurer la conservation ou la jouissance du bien loué (Art. 1865 CCQ).

Le locateur qui procède à ces réparations peut exiger l'évacuation ou la dépossession temporaire du locataire, mais il doit, s'il ne s'agit pas de réparations urgentes, obtenir l'autorisation préalable du tribunal, lequel fixe alors les conditions requises pour la protection des droits du locataire (Art. 1865 CCQ).

Le locataire conserve néanmoins, suivant les circonstances, le droit d'obtenir une diminution de loyer, celui de demander la résiliation du bail ou, en cas d'évacuation ou de dépossession temporaire, celui d'exiger une indemnité (Art. 1865 CCQ).

Le locataire qui a connaissance d'une défectuosité ou d'une détérioration substantielles de l’immeuble loué, est tenu d'en aviser le locateur dans un délai raisonnable (Art. 1866 CCQ).

Lorsque le locateur n'effectue pas les réparations ou améliorations auxquelles il est tenu, en vertu du bail ou de la loi, le locataire peut s'adresser au tribunal afin d'être autorisé à les exécuter (Art. 1867 CCQ).

Le tribunal, s'il autorise les travaux, en détermine le montant et fixe les conditions pour les effectuer. Le locataire peut alors retenir sur son loyer les dépenses faites pour l'exécution des travaux autorisés, jusqu'à concurrence du montant ainsi fixé (Art. 1867 CCQ).

Inutile de préciser, concernant les réparations, que toutes les dispositions du CCQ sont d’ordre supplétif, et que, par conséquent, les baux commerciaux comportent très fréquemment des clauses ayant pour objet de les rendre inopérantes.

Cession de bail

La cession d’un bail commercial décharge l'ancien locataire (c’est-à-dire le cédant) de ses obligations, à moins que les parties n'aient convenu autrement (Art. 1873 CCQ).  Par conséquent, du point du vue du locateur, il devient important de prévoir, dans le cadre du bail, une clause selon laquelle le locataire demeurera solidairement responsable des obligations lui incombant aux termes du bail, et ce, subséquemment à toute cession.

La règle générale, au Québec, veut que le consentement du locateur soit requis pour toute cession du bail ou pour toute sous-location des lieux loués (Art. 1870 CCQ).

Cependant, le consentement du locateur ne peut pas être retenu ou refusé sans un motif sérieux (Art. 1871 CCQ).

Le refus du locateur de consentir à la cession ou à la sous-location doit être communiqué au locataire dans un délai de 15 jours à compter du moment où il a reçu l’avis de cession ou de sous-location, sinon il est présumé y avoir consenti (Art. 1871 CCQ).

Terminaison du bail

Le bail à durée fixe cesse de plein droit à l'arrivée du terme. Le bail à durée indéterminée cesse lorsqu'il est résilié par l'une ou l'autre des parties (Art. 1877 CCQ).

Le bail commercial à durée fixe peut être reconduit. Cette reconduction peut être tacite (Art. 1878 CCQ). Le bail commercial est reconduit tacitement lorsque le locataire continue, sans opposition de la part du locateur, d'occuper les lieux plus de 10 jours après l'expiration du bail. Dans ce cas, le bail est reconduit pour un an ou pour la durée du bail initial, si celle-ci était inférieure à un an, aux mêmes conditions. Le bail reconduit est lui-même sujet à reconduction (Art. 1879 CCQ).

La durée du bail commercial ne peut excéder 100 ans. Si elle excède 100 ans, elle est réduite à cette durée (Art. 1880 CCQ).

La sûreté consentie par un tiers pour garantir l'exécution des obligations du locataire ne s'étend pas au bail reconduit (Art. 1881 CCQ).

La partie qui entend résilier un bail à durée indéterminée doit donner à l'autre partie un avis à cet effet (Art. 1882 CCQ).

L'avis est donné dans le même délai que le terme fixé pour le paiement du loyer ou, si le terme excède trois mois, dans un délai de trois mois (Art. 1882 CCQ).

Résiliation du bail pour non-paiement du loyer

Le locataire poursuivi en résiliation du bail commercial pour défaut de paiement du loyer peut éviter la résiliation en payant, avant jugement, outre le loyer dû et les frais, les intérêts au taux fixé en application de l'article 28 de la Loi sur l'administration fiscale (chapitre A-6.002) ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé (Art. 1883 CCQ).

Aliénation de l’immeuble par le locateur

L'aliénation volontaire ou forcée de l’immeuble loué, de même que l'extinction du titre du locateur pour toute autre cause, ne met pas fin de plein droit au bail commercial (Art. 1886 CCQ).

L'acquéreur ou celui qui bénéficie de l'extinction du titre peut résilier le bail à durée indéterminée en suivant les règles ordinaires de résiliation ci-dessus mentionnées (Art. 1887 CCQ).

S'il reste à courir plus de 12 mois à compter de l'aliénation ou de l'extinction du titre, l’acquéreur peut le résilier à l'expiration de ces 12 mois en donnant par écrit un préavis de six mois au locataire (Art. 1887 CCQ). Si le bail a été inscrit au bureau de la publicité des droits avant que l'ait été l'acte d'aliénation ou l'acte à l'origine de l'extinction du titre, il ne peut résilier le bail (Art. 1887 CCQ).

 Généralement parlant, dans les juridictions de common law, la protection du locataire, si son bail n’est pas publié, varie selon que l’immeuble se trouve dans ce qu’il est convenu d’appeler le « Registry System » ou dans le « Land Titles System ». 

 

Suite à venir

Dans notre prochain bulletin, nous traiterons de cas plus particuliers, tels les conséquences d’une expropriation des lieux loués, la remise des lieux loués à la fin du bail, certaines considérations particulières concernant les prêteurs, les taxes sur le capital, les droits sur les mutations immobilières, les clauses d’exclusivité et les options d’achat.


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