Véhicules autonomes et semi-autonomes : cinq prédictions entourant leur impact sur les assureurs automobiles

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23 août 2016

Emma Dalziel, stagiaire, a également contribué à la rédaction de cet article.

En avril 2016, une nouvelle très réjouissante pour les adeptes de véhicules électriques a fait les gros titres : « Près de 400 000 commandes pour la Model 3 de Tesla ». À l’échelle mondiale, s’agissant fort probablement du tout premier véhicule semi-autonome (« VSA ») à entrer sur le marché de masse, on prévoit que la Model 3 sera livrée en 2018. D’ici les prochaines années, on devrait donc compter à ce moment-là au moins un demi-million de VSA de ce constructeur d'automobiles sur les routes, sans compter les VSA des autres constructeurs. D’ailleurs, dans un récent rapport, la publication Business Insider estimait que d’ici 2020, le nombre total de VSA sur les routes se chiffrera à 10 millions.

Non seulement les VSA, et après eux les véhicules entièrement autonomes (« VEA ») – lesquels devraient être disponibles d’ici 20251 – entraîneront-ils des changements considérables dans nos façons de voyager et nos modes de vie, ces véhicules auront également une incidence sur l’industrie de l’assurance et sur la façon dont l’ensemble des réclamations d’assurance automobile sera traité.

Gowling WLG a compilé une liste de 5 prévisions principales quant aux changements qui s’opéreront dans l’industrie de l’assurance, particulièrement en ce qui concerne le traitement de réclamations liées à des accidents d'automobile, suite à l’arrivée de ces véhicules sur nos routes. Les VSA et VEA faisant partie d’une industrie naissante, il va sans dire que ces prévisions donnent lieu à une série de questions importantes sur lesquelles certains intervenants du secteur commencent à peine à se pencher.

1. La réduction du nombre de réclamations en responsabilité délictuelle et au titre de l’assurance individuelle occasionnera une réduction globale des pertes

Actuellement, on considère que 90 % des accidents d'automobiles annuels sont attribuables à une erreur commise par le conducteur2. Plus l’usage de la technologie de conduite automatisée tendra à se généraliser, moins l’erreur humaine associée à la conduite sera citée comme une cause d’accidents3. En effet, les systèmes de conduite automatisée ont un temps de réaction beaucoup plus rapide que celui de l’humain : un dixième de seconde dans le premier cas, comparativement à une seconde dans le second cas4. Pour les compagnies d’assurance, ce sont ces fractions de seconde qui détermineront si le versement d’une indemnité s’impose ou non5. La recherche a d’ailleurs déjà démontré que pour les véhicules munis d’une technologie de sécurité actuelle, comme un système de prévention de collision frontale, la fréquence des réclamations au titre de l’assurance responsabilité pour dommages matériels est de 7 à 15 pour cent inférieure à celle qu’on enregistre pour les véhicules non munis de cette fonction6. Ultimement, une réduction du nombre de réclamations se traduira par une diminution considérable des pertes totales pour les assureurs.

Cela dit, nous savons que les accidents impliquant des VSA continueront tout de même à se produire, surtout à court terme, alors que la technologie est encore en version bêta, et comme nous avons pu le constater récemment, de tels accidents peuvent s’avérer fatals. Le 30 juin 2016, Joshua Brown est devenu la première personne à mourir dans un accident de VSA. Alors qu’il roulait en mode pilote automatique, les capteurs de sa Model S n’ont pas détecté la présence d’un demi-tracteur blanc qui traversait l’autoroute sur un fond de ciel lumineux. En cas d’accidents impliquant des VSA, le traitement des réclamations y afférentes sera probablement plus coûteux. Chaque réclamation donnera alors lieu à un différend en matière de responsabilité impliquant de nombreuses parties. Il reste donc à se demander si les économies que l’industrie réalisera grâce à la réduction des pertes totales seront annulées par les coûts plus élevés que générera le traitement des réclamations présentées.

2. Augmentation du nombre de différends en matière de responsabilité du fait des produits

Plusieurs questions se posent quant aux conséquences de l’arrivée des véhicules automatisés pour l’industrie de l’assurance. Faudra-t-il faire assurer la personne? La voiture? L’entreprise spécialisée en technologie? En ce qui concerne les voitures automatisées, on prévoit que l’accent sera moins placé sur la responsabilité personnelle, et plutôt sur le fait d’attribuer la responsabilité quant à « l’anomalie » à l’origine de l’accident. Ainsi, la responsabilité sera davantage attribuée aux développeurs de logiciels et aux constructeurs de véhicules en ce qui a trait à la technologie à la base du véhicule7. Les compagnies d’assurance disposent-elles de programmes de formation adéquats en vue d’aider leurs experts en sinistres à identifier les questions en matière de responsabilité du fait des produits touchant les VSA (et les VEA lorsque ceux-ci seront mis en marché)?

3. L’augmentation des dépenses liées aux essais automobiles, et la durée de ces derniers donnent lieu à beaucoup de nouvelles questions qui demeurent sans réponse

Compte tenu de la complexité accrue des véhicules et de la technologie y afférente, les essais effectués afin de garantir la sécurité de ces véhicules sur les routes dureront plus longtemps, ce qui occasionnera des coûts plus élevés. Il faudra procéder au cas par cas en vue de trouver la réponse à toute une série de nouvelles questions, dont les suivantes :

  1. S’il y a collision entre un véhicule non autonome et un véhicule semi-autonome, lequel des deux conducteurs doit assumer la responsabilité? Le constructeur du véhicule endossera-t-il encore une partie de la responsabilité pour son rôle dans la collision? Y a-t-il des cas dans la jurisprudence actuelle du Canada ou des États-Unis qui démontrent l’existence d’un cadre juridique adéquat pour le traitement de telles réclamations?
  2. L’industrie de l’assurance devra-t-elle élaborer des lignes directrices semblables aux règles de détermination de la responsabilité afin de traiter les accidents impliquant des VEA et/ou des VSA?
  3. De quels règlements ou conventions actuels les législateurs et organismes de réglementation peuvent-ils s’inspirer à titre de référence?
  4. Quel est le bon choix lorsqu’un VEA ou VSA se retrouve face à une alternative pouvant occasionner des conséquences négatives? À qui reviendra-t-il de trancher ce genre de question dans le cadre de la rédaction du code?

En ce qui a trait à la question 1 contrairement à leurs homologues des États-Unis, les tribunaux canadiens se sont montrés réticents à imposer une responsabilité stricte aux constructeurs et aux distributeurs d’automobiles, compte tenu de l’absence de législation à cet égard. En revanche, les demandeurs pourraient bien avoir à démontrer que tout dommage ou toute blessure découlant d’une « décision » prise par un VEA ou VSA résulte d’une conception négligente. 

Un fabricant peut être jugé responsable d’une conception négligente lorsqu’il néglige de concevoir un produit de manière plus sécuritaire8. Dans l’affaire Rentway Canada Ltd v. Laidlaw Transport Ltd9, la cour a effectué une analyse du risque et de l’utilité afin de déterminer si la conception d’un circuit électrique de phare de véhicule de transport était négligente. Cette analyse vise à déterminer si l’utilité envisagée de la conception choisie l’emporte sur les risques associés à cette dernière10. Dans le cadre de l’analyse effectuée dans Rentway, le juge Granger a tenu compte de 7 facteurs empruntés à la jurisprudence américaine, soit les suivants :

« (1) l’utilité du produit pour le public dans son ensemble et pour l’utilisateur;

(2) la nature du produit – c'est-à-dire, la probabilité qu’il cause une blessure;

(3) l’existence d’une conception plus sécuritaire;

(4) la possibilité de concevoir et fabriquer le produit de manière à le rendre plus sécuritaire tout en conservant la fonctionnalité et le prix raisonnable de celui-ci;

(5) la capacité qu’avait le demandeur d’éviter toute blessure en utilisant le produit de manière sécuritaire;

(6) le degré de conscience qu’il est raisonnable d'attribuer au demandeur quant au danger potentiel du produit; et

(7) la capacité du fabricant à répartir les coûts associés à l’amélioration du caractère sécuritaire de la conception11. » [traduction]

Lorsque le logiciel d’un VEA ou VSA fait un choix qui se solde par des dommages ou des blessures, le tribunal peut entreprendre une analyse semblable sur le risque et l’utilité en vue de déterminer si le logiciel en question a été conçu de façon négligente. Le résultat d’une telle analyse peut permettre d’établir le degré de responsabilité du fabriquant, si responsabilité il y a. Les tribunaux canadiens recourront-ils à l’analyse du risque et de l’utilité pour déterminer la responsabilité des constructeurs d’automobiles dans le cadre d’accidents impliquant des VSA? Seul le temps nous le dira, mais l’affaire Rentway semble fournir une bonne piste à ce sujet.

Pour bien répondre à la question b), il sert de se pencher brièvement sur l’intention du législateur en ce qui a trait aux règles de détermination de la responsabilité.

Dans State Farm Mutual Automobile Insurance Company v. Aviva Canada Inc., la Cour d’appel a conclu ce qui suit :

« La loi créant le régime de transfert de sinistre est constituée des dispositions pertinentes de la Loi sur les assurances et des règles de détermination de la responsabilité. L’objet du régime de transfert de sinistre est de fournir une méthodeexpéditive et sommaire de répartir entre assureurs les coûts des indemnités d'accident légales, d’une manière approximative et plutôt arbitraire, en favorisant la commodité et l’économie plutôt que l’exactitude absolue12. » [traduction]

Ainsi, lorsqu’on se demande si l’industrie de l’assurance devra élaborer des lignes directrices semblables aux règles de détermination de la responsabilité (p. ex. si un VSA percute un véhicule non autonome, la responsabilité sera-t-elle assumée à parts égales entre les deux conducteurs?), la réponse dépendra du coût associé au traitement de questions concernant la responsabilité d’un VSA ou d’un VEA. Si même les accidents mineurs donnent lieu à des enquêtes très coûteuses, l’industrie pourrait vraisemblablement adopter des règles de détermination de la responsabilité pour traiter les incidents impliquant des VSA ou des VEA.

Quant à la question c), concernant les références, les tribunaux canadiens auront une multitude de lois auxquelles se reporter. De nombreux États américains ont déjà adopté des lois visant les véhicules autonomes, soit Washington D.C., le Nevada, la Californie, la Floride, le Michigan, le Dakota du Nord, et le Tennessee13. À titre d’exemple, mentionnons la loi 2012 DC B 19-0931 adoptée à Washington, D.C., au sens de laquelle :

Par « véhicule autonome », on entend un « véhicule capable de circuler sur les chaussées du District et d’interpréter la signalisation sans qu’un conducteur ait à activer les systèmes de commande du véhicule. » La loi exige la présence d’un conducteur humain « prêt à prendre le contrôle du véhicule autonome à tout moment. » La loi autorise uniquement la conversion des véhicules récents, et traite de la responsabilité du constructeur initial d’un véhicule converti14. [traduction]

Date d’adoption et d’entrée en vigueur : le 23 avril 2013

Finalement, la question d), d’une importance considérable, dépasse la portée du présent article. La résolution de cette question nécessitera la tenue de longs débats entre les parties intéressées.

4. Prédominance de l’assurance commerciale par rapport à l’assurance individuelle

On s’attend à observer une diminution dans l’utilisation des véhicules personnels sur le marché en faveur de systèmes de partage de véhicules15, ce qui pourrait bel et bien mener à la création d’une société de « mobilité sur demande »16. On constate déjà que cette tendance est de plus en plus populaire chez les jeunes en contexte urbain, alors que ces derniers choisissent de ne pas devenir propriétaires d’un véhicule. On constatera par conséquent une augmentation du nombre de souscriptions à l’assurance auto commerciale pour couvrir ces flottes de véhicules urbains17. Il en résultera en contrepartie une diminution du nombre de souscriptions à l’assurance auto individuelle, car de moins en moins de gens seront personnellement propriétaires d’un véhicule. Quels changements les assureurs doivent-ils prévoir en vue de préparer leurs employés à cette nouvelle réalité?

5. Nouveaux joueurs

Compte tenu des changements fondamentaux qui s’opéreront dans l’industrie de l’assurance relativement à cette nouvelle réalité, on constatera inévitablement l’apparition de nouveaux intervenants dans le domaine. Google par exemple, a déjà fait son entrée dans l’industrie, avec le comparateur d’assurance automobile Google Compare Auto Insurance. Mentionnons toutefois que cet outil ne faisait qu’aider les utilisateurs à comparer des assurances auto afin de choisir le produit qui leur convenait le mieux, et que Google a retiré ce service du marché le 23 mars 2016. Quels nouveaux modèles d’entreprise apparaîtront dans cette industrie en pleine évolution?

À mesure que des questions visant les VSA (et plus tard les VEA) seront traitées et tranchées par le truchement du système judiciaire, nul doute que l’industrie de l’assurance surveillera la situation de près afin d’adapter ses produits en conséquence (en fournissant de nouvelles garanties et en révisant les garanties actuelles).

Les VSA sont déjà accessibles aux consommateurs, et les VEA ne tarderont pas à arriver sur le marché à leur tour. D’ici la fin de la décennie actuelle, la présence des VSA sur les routes sera probablement devenue chose commune. En outre, on constatera certainement d’importants changements dans l’industrie de l’assurance, plus particulièrement en ce qui a trait au rôle des experts en sinistres et à la façon de traiter les cas d’accidents d’automobile. À mesure que nous entrons dans cette nouvelle ère, nul doute que les assureurs qui s’en sortiront le mieux seront ceux qui auront fait le nécessaire afin de se préparer adéquatement à l’arrivée de tous ces changements.


1 KPMG, « Marketplace of change: Automobile insurance in the era of autonomous vehicles » (octobre 2015), p. 26, en ligne : <https://home.kpmg.com/content/dam/kpmg/pdf/2016/05/marketplace-change.pdf>.

2Ibid., p. 25.

3Ibid.

4Ibid.

5Ibid.

6Ibid., p. 26.

7Ibid., p. 28.

8O’Brien v. Bard Canada Inc, 2015 ONSC 2470, 2015 CarswellOnt 5377, par. 14.

9 [1989] OJ No 786, 1989 CarswellOnt 23 [Rentway].

10Andersen v. St. Jude Medical Inc, 2012 ONSC 3660, 2012 CarswellOnt 896, par. 61.

11Supra, note 9, par. 55.

12State Farm Mutual Automobile Insurance Company v. Aviva Canada, 2015 ONCA 920, par. 56.

13 « Autonomous | Self-Driving Vehicles Legislation » (6 juin 2016), en ligne : National Conference of State Legislatures <http://www.ncsl.org/research/transportation/autonomous-vehicles-legislation.aspx>.

14Ibid.

15Supra, note 1, p. 28.

16Ibid., p. 28.

17Ibid.


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