La diligence raisonnable et le droit de refus : des alliés pour se protéger

27 septembre 2017

En milieu de travail, les employeurs se doivent de faire preuve de diligence raisonnable à l’égard de leurs employés. À cet effet, ils doivent notamment effectuer une série d’actions préventives et agir en amont afin d’éliminer les risques d’accident du travail à la source.

Faire preuve de diligence raisonnable revêt une importance prépondérante non seulement à l’égard de la santé et sécurité des salariés, mais également en considération des sanctions pouvant être encourues par les employeurs n’en faisant pas preuve. En effet, les administrateurs d’une entreprise et leurs représentants, notamment les gestionnaires de tous niveaux, peuvent désormais être tenus personnellement responsables en cas de manquement à l’obligation de diligence raisonnable lorsque par ailleurs de graves événements surviennent.

La décision ontarienne R. c. Vadim Kazenelson[1] illustre bien la gravité des répercussions que peut entraîner un tel manquement. Cette décision a été rendue à la suite du décès de quatre travailleurs et aux blessures graves encourues par un  cinquième travailleur d’une entreprise effectuant des travaux sur des immeubles en hauteur. La Cour détermine que ces graves conséquences résultent directement du bris de la plate-forme élévatrice que les employés devaient utiliser pour travailler en hauteur alors qu’ils ne disposaient pas de l’équipement de sécurité nécessaire, qu’ils se trouvaient en surnombre par rapport à la capacité de la plate-forme, et que leurs facultés étaient altérées par la marijuana. En plus d’importants manquements aux règles de sécurité et de diligence qui ont été commis de la part d’autres acteurs, le tout s’est notamment déroulé avec l’aval du gestionnaire responsable de ce projet et du superviseur qui faisait partie des cinq individus impliqués, et tous deux avaient connaissance des faits.

Ne pouvant sanctionner le superviseur décédé, la Cour déclare toutefois le gestionnaire de projet  coupable, en vertu du Code criminel, de quatre chefs d’accusation de négligence criminelle causant la mort, ainsi que d’un chef de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles, pour lesquelles une peine d’emprisonnement de trois ans est imposée. L’entreprise, à travers les actes et omissions de son gestionnaire, est également trouvée coupable de négligence criminelle ayant causé la mort et des blessures corporelles et se voit imposer une peine financière de 750 000 $, alors que la responsabilité personnelle du président de l’entreprise est retenue et qu’une amende de 90 000 $ lui est imposée.

Au Québec, dans la récente affaire Fournier c. R.[2], un travailleur est décédé à la suite de l’effondrement des parois d’un trou dans lequel il se trouvait alors qu’il travaillait. Toujours en vertu du Code criminel, le propriétaire de l’entreprise est non seulement accusé de négligence criminelle, mais également d’homicide involontaire coupable. L’affaire n’ayant pas encore été tranchée au fond, la Cour supérieure confirme toutefois préliminairement qu’une violation à l’article 237 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après « LSST ») peut donner ouverture à une accusation d’homicide involontaire coupable.

Malgré l’obligation de diligence raisonnable reconnue et de plus en plus renforcée en milieu de travail, plusieurs accidents de travail surviennent encore alors qu’ils pourraient être évités par la mise en place des mesures de prévention appropriées. Un employeur devrait donc, en sus de son obligation de diligence raisonnable, s’informer du comportement de ses travailleurs et être à leur écoute afin d’être en mesure de cibler les dangers potentiels signalés à la source par ceux-ci. Par ailleurs, la reconnaissance de l’exercice du droit de refus des employés est un moyen de prévenir les accidents de travail.

L’article 12 LSST prévoit en effet qu’un travailleur a le droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité, ou expose une autre personne à un danger semblable. Ce droit de refus demeure toutefois sujet à plusieurs conditions pour le travailleur, qui doit :

  1. être considéré comme un travailleur au sens de la LSST;
  2. exécuter un travail à la demande de l’employeur;
  3. appréhender un danger pour lui-même, ou pour autrui;
  4. fonder cette appréhension sur des motifs raisonnables;
  5. exécuter son travail dans des conditions anormales;
  6. ne pas mettre directement en péril la sécurité d’autrui[3]; et
  7. rapporter son refus à l’employeur dans les plus brefs délais[4].

Lorsque l’employeur est avisé de l’exercice d’un droit de refus, il pourra, convoquer le représentant à la prévention ou le représentant de l’association accréditée, ou à défaut, un autre travailleur désigné par celui qui refuse d’exécuter un travail[5]. L’employeur et le représentant devront statuer sur l’existence du danger allégué, sans quoi l’employeur ne pourra faire exécuter le travail par un autre individu. Trois scénarios deviennent alors possibles :

  1. L’employeur et le représentant peuvent être d’avis que le refus est raisonnable et justifié par l’existence d’un danger. Le travailleur pourra alors réintégrer ses fonctions une fois les correctifs apportés et la source de danger éliminée.
  2. L’employeur et le représentant peuvent plutôt être d’avis qu’il n’existe pas de danger justifiant le refus de l’employé. Dans ce cas, si ce dernier persiste dans son refus, l’employeur peut faire exécuter le travail par un autre employé. Ce dernier devra toutefois avoir été préalablement informé de l’exercice du droit de refus et des motifs l’ayant justifié[6]. L’intervention d’un inspecteur pourra alors être requise par l’employé[7].
  3. L’employeur et le représentant peuvent aussi être en désaccord quant au caractère raisonnable du refus et quant à l’existence d’un danger. L’intervention d’un inspecteur sera alors requise soit par le représentant à la prévention qui croit que le refus est raisonnable[8] ou soit par l’employeur qui estime que l’exécution du travail n’expose pas l’employé à un danger[9]. Dans cette éventualité, l’employeur ne pourra pas faire exécuter le travail par un autre individu.

Dans les cinq dernières années, plusieurs décisions ont été rendues dans lesquelles le droit de refus exercé par un employé a été abordé. Ont notamment été jugés valides les refus de travail exercés par des employés dans les situations suivantes : remplir des bonbonnes de propanes sans la certification requise[10]; utiliser un chariot élévateur non conforme et dangereux[11]; se rendre sur des lieux de travail où régnait un climat d’intimidation mettant en péril la sécurité du travailleur[12]; nettoyer les égouts en utilisant une méthode de travail non sécuritaire[13]; conduire à l’extérieur des heures normales de travail en état de grande fatigue[14]; et soulever de lourdes boîtes pendant une longue période de temps par crainte d’une blessure au dos alors qu’il s’agissait d’une tâche non habituelle[15].

L’ensemble de ces situations démontre l’existence potentielle d’un danger, sans que ce dernier ne soit par ailleurs certain. Sans l’exercice par les travailleurs de leur droit de refus, il aurait toutefois été possible que ce danger se matérialise et entraîne alors de regrettables conséquences non seulement pour l’employé, mais également pour l’employeur et ses représentants.

Les travailleurs ont ainsi un rôle clé à jouer et peuvent être les premiers acteurs dans l’identification des sources de danger, notamment par l’exercice du droit de refus. La manifestation de ce dernier peut cependant revêtir différentes formes et se manifester de plusieurs manières. L’expression de ce droit peut même être indirecte ou mal énoncée, et ce, principalement lorsque les travailleurs ne détiennent pas le support nécessaire à cet égard.

En plus de faire preuve de diligence raisonnable de manière proactive, un employeur devrait donc demeurer vigilant et être en mesure de reconnaître, dès sa première manifestation, l’exercice d’un droit de refus par un travailleur, lequel peut dénoncer un environnement de travail où la santé et la sécurité des employés sont mises en péril. Par ailleurs, une considération sincère et véritable des enjeux vécus et soulevés par l’employé demeure un élément phare dans la mise en application du principe de diligence raisonnable et constitue un allié prépondérant pour tout employeur souhaitant s’y conformer.

Article rédigé par :

Elisabeth Gauthier, avocate

Pierre Pilote, associé

*Remerciements à Renaud Charest, étudiant en droit.


[1]               2016 ONSC 25.

[2]               2016 QCCS 5456.

[3]               Préc., note 4, art. 13.

[4]               Id., art. 15.

[5]               Id., art. 16.

[6]               Id., art. 17.

[7]               Id., art. 18(1).

[8]               Préc., note 4, art. 18(2).

[9]               Id., art. 18(3).

[10]             Bazinet et Location d'outils Matte Inc., 2015 QCCSST 158.

[11]             Id.

[12]             A et Sûreté du Québec, 2014 QCCSST 271.

[13]             Breault-Parisé et Everest East Services inc., 2014 QCCSST 37.

[14]             Centre jeunesse de Montréal et Guilbault, 2013 QCCLP 6815.

[15]             Salain-Kurppa et Agence de personnel Yott, 2013 QCCLP 6351.


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