Le Canada passe aux prochaines étapes de la mise en œuvre de l'instrument multilatéral

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08 août 2018

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Le 28 mai 2018, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C‑82 (« projet de loi »), lequel, si adopté, signifiera l'entrée en vigueur de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (IM). Le projet de loi a été reçu en première lecture à la Chambre des communes le 20 juin dernier.

L'objectif de l'IM est la mise en œuvre de mesures pour contrer l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (base erosion and profit shifting ou « BEPS ») sans que chacune des parties à une convention fiscale bilatérale soit tenue d'entrer dans un processus de négociation bilatérale. Le BEPS fait référence aux stratégies de planification fiscale qui tirent avantage des règles fiscales pour transférer artificiellement les bénéfices d'une entreprise dans des juridictions offrant de faibles taux d'imposition et où l'entreprise n'exerce pas d'activités substantielles. Par le dépôt de ce projet de loi, le Canada a fait un pas de plus vers l'enchâssement de l'IM dans la loi canadienne. Nous vous invitons à lire notre commentaire détaillé sur les étapes menant à la mise en œuvre de l'IM: Adoption de l'Instrument multilatéral : l'échéancier est précisé, mais qu’en est-il des répercussions?

 



L’IM modifiera jusqu’à 75 des conventions fiscales bilatérales du Canada (également appelées « conventions fiscales couvertes » ou « CFC »). Nous vous invitons à lire notre commentaire détaillé sur la participation du Canada à la cérémonie de signature de l’IM afin de voir la liste complète des CFC du Canada qui seront modifiées par l’IM : Hot off the Presses: Canada signs the Multilateral Instrument (en anglais seulement).

Initialement, le Canada avait adopté une approche très conservatrice à l’égard de l’IM. En effet, au moment de le signer le 7 juin 2017, le Canada a choisi d’adopter uniquement les normes minimales en ce qui a trait à l'abus des conventions – soit le nouveau préambule de convention fiscale et la règle technique de fond visant à contrer le chalandage fiscal (laquelle règle est censée servir de critère de l’objet principal [« COP »] par défaut) – et la disposition visant l’arbitrage obligatoire et contraignant. Toutefois, le pays a récemment modifié son approche à l’égard de l’IM. De fait, dans le document d’information du ministère des Finances publié conjointement au dépôt du projet de loi, le Canada a exprimé son intention de retirer certaines de ses réserves à l’égard des dispositions facultatives visant les dividendes (article 8), les gains en capital (article 9), les règles visant la résolution des cas de double résidence (article 4) et l’allègement de la double imposition (article 5). Nous traiterons de ces changements ci-après.

À noter que le Canada n’a pas retiré sa réserve à l’égard du paragraphe 7(4) de l’IM, lequel, dans les circonstances appropriées, autoriserait les autorités compétentes à accorder des avantages prévus au titre de conventions alors que l’octroi de ceux-ci serait normalement refusé en vertu du COP. Aux termes du COP, l’octroi d’avantages prévus au titre de conventions sera refusé lorsque l’un des objets principaux de la structure était d’obtenir un avantage donné dans des circonstances où l’octroi dudit avantage est contraire à l’objet ou à l’intention de la disposition pertinente des CFC. En ce qui concerne le cas de certains fonds de capital-investissement et autres instruments de placement collectif bénéficiant d’un avantage prévu par une convention (par exemple, un taux de retenue de 5 % à l’égard des dividendes), il est possible que l’investisseur ait lui-même bénéficié d’un avantage prévu par une convention (par exemple, un taux de retenue de 15 % à l’égard des dividendes pour un investisseur qui est une personne physique) s’il avait effectué un investissement direct au Canada. Dans un tel cas, il pourrait s’avérer injuste de soumettre le dividende à un taux de retenue interne de 25 %. Cependant, n’ayant pas retiré sa réserve à cet égard, le Canada ne fournit aucun recours aux contribuables face à ce genre de situation.

Les avantages au titre de conventions : taux de retenue d’impôt réduit à l’égard des dividendes

Le Canada a retiré sa réserve à l’égard de l’article 8 de l’IM, soit l’article visant la réduction des taux de retenue d’impôt à l’égard des dividendes. Celui-ci traite le taux de retenue d’impôt interne réduit à l’égard des dividendes, lequel est passé de 25% à 5 % dans la plupart des CFC, lorsque le dividende est payé à une société qui, au moment du paiement, possède, détient ou contrôle directement (et dans le cadre de certains CFC, indirectement) au moins 10 % des votes (ou dans certains cas, possède plus de 10 % des actions) du payeur de dividendes. L’article 8 interdira une telle réduction du taux de retenue, sauf si les conditions de détention applicables sont satisfaites tout au long d’une période de 365 jours incluant le jour du paiement des dividendes. Dans ce contexte, on ne tiendra pas compte des changements de détention résultant d’une réorganisation (p.ex., une fusion) de la société payeuse de dividendes ou détentrice d’actions. Cette période de détention de 365 jours est imposée en vue d’empêcher les sociétés non-résidentes de bénéficier du taux de retenue inférieur fondé sur les conventions et appliqué aux dividendes lorsqu’elles effectuent certaines acquisitions d’actions à court terme.

En pratique, il sera difficile de faire respecter la règle de la période de détention, car il se peut que la période de 365 jours et la date de la transaction se chevauchent. Dans les cas où la période de détention n’est pas encore échue au moment de la transaction, la société payeuse de dividendes aura un choix difficile à faire. Si elle effectue une retenue au taux réduit, elle s’expose au risque que l’actionnaire ne respecte pas le critère de la période de détention, et par conséquent c’est la société payeuse de dividendes qui sera responsable de payer la taxe de retenue additionnelle et les pénalités. Par contre, si cette dernière effectue une retenue au taux interne et que la période de détention a été respectée, ce sera ensuite à l’actionnaire de faire une demande de remboursement pour l’excédent de retenue, ce qui occasionnera des coûts et délais additionnels. Vraisemblablement, les parties qui partagent un lien seront en mesure de s’échanger certains renseignements et pourront ainsi se conformer au critère de la période de détention sans trop de difficulté. En revanche, on peut s’attendre à ce qu’une société payeuse de dividendes, particulièrement si elle ne partage aucun lien avec celle qui reçoit les dividendes, cherche à obtenir certaines garanties quant à la participation continue de son actionnaire ainsi qu’une indemnisation de la part de celui-ci en contrepartie d’une retenue au taux prévu par la convention.

Les avantages au titre de conventions : les gains en capital sont exempts d’impôts du pays source

Le Canada a retiré sa réserve à l’égard du paragraphe 9(1) de l’IM, lequel précise les circonstances dans lesquelles les gains en capital sur des actions, ainsi que les participations dans une société de personnes ou une fiducie, peuvent être imposés dans le pays source.

En vertu de la législation interne du Canada, un gain en capital sur une action (ou sur une participation dans une société de personnes ou une fiducie) est imposable si, à un quelconque moment durant la période de 60 mois prenant fin au moment de l’aliénation, l’action (l’unité ou la participation) tire plus de 50 % de sa valeur (directement ou indirectement) de biens immobiliers au Canada. Cependant, les CFC du Canada restreignent davantage cette règle en imposant l’application d’un critère définissant un moment précis dans le temps, soit le moment de l’aliénation de l’action (l’unité ou la participation). Ainsi, aux termes des règles actuelles, l’actionnaire non-résident d’une société canadienne détentrice d’un bien immobilier excédant le seuil de valeur pourrait éviter l’imposition canadienne de son gain en capital sur la partie de la valeur des actions n’étant pas tirée du bien immobilier. Pour ce faire, il suffirait que l’actionnaire non-résident entraîne la société canadienne à aliéner le bien quelque temps avant la vente des actions par le non-résident. Le cas échéant, la vente du bien immobilier par la société canadienne ferait tout de même l’objet d’une imposition des gains en capital au Canada, mais le gain en soi pourrait potentiellement être réduit ou éliminé en fonction des attributs fiscaux de la société canadienne. Grâce à l’application de l’article 9 de l’IM, l’actionnaire de la société dans cet exemple serait toujours assujetti à la pleine imposition des gains en capital au Canada puisque conformément aux CFC, la période d’essai pour l’exemption des gains en capital a été prolongée et s’étend dorénavant sur les 365 jours précédant l’aliénation des actions.

Résolution des cas de double-résidence

Le Canada a retiré sa réserve à l’égard de l’article 4 de l’IM. Cet article fournit aux contribuables autres que des personnes physiques (p.ex., des sociétés) un mécanisme permettant de résoudre les cas de double-résidence. Conformément à cette disposition, les autorités compétentes du Canada et les autres juridictions contractantes à une CFC doivent déterminer d’un commun accord de quelle juridiction une personne ayant la double résidence est réputée être une résidente aux fins de la CFC. L’article 4 de l’IM stipule que pour en parvenir à une décision en ce sens, les autorités compétentes doivent tenir compte des facteurs suivants : le lieu où se situe le siège de direction effective de la personne, le lieu où elle a été constituée en société ou en toute autre forme juridique, et tout autre facteur pertinent. En l’absence d’un accord, l’article prévoit que la personne ne pourra prétendre à aucun des allègements ou exonérations de l’impôt prévus par la CFC, sauf si les autorités compétentes en conviennent autrement.

Puisqu’elle n’impose aucune règle de démarcation très nette pour le départage, mais qu’elle propose plutôt une série de facteurs dont les autorités compétentes doivent tenir compte dans leur prise de décision, la disposition de l’IM visant la double-résidence se distingue des règles de départage que l’on retrouve dans certaines conventions du Canada. À ce propos, la convention entre le Canada et les États-Unis prévoit à l’alinéa IV(3)(a) une règle de démarcation très nette pour les situations de double-résidence. Dans le contexte de cette disposition, une entité ayant, par exemple, été constituée en société dans une certaine juridiction, mais dont le centre de gestion et de contrôle se situe dans une autre juridiction sera réputée être résidente uniquement de la juridiction dans laquelle elle a été créée. Même si l’article 4 de l’IM stipule lui aussi que l’un des critères fondamentaux permettant de déterminer le pays de résidence d’un contribuable est le lieu où cette personne a été constituée en société ou en toute autre forme juridique, il est loisible aux autorités compétentes de donner la prépondérance à d’autres facteurs (comme le siège de direction effective), particulièrement lorsqu’elles ont cerné d’autres critères pertinents à cet égard.

Élimination de la double imposition

Le Canada a en outre retiré sa réserve à l’égard de l’article 5 de l’IM, lequel traite des méthodes d’élimination de la double imposition au moyen d’un régime soit d’exemptions ou de crédits. Aux termes de l’article 5, les signataires peuvent choisir une des trois options d’élimination de la double imposition, comme elles peuvent également choisir de n'en appliquer aucune. Le Canada n’a pas précisé laquelle des trois options il adoptera. Dans les cas où le Canada choisit une option qui diffère de celle choisie par un partenaire de CFC, l’option choisie par chacun des pays s’appliquera uniquement aux résidents respectifs des pays concernés.

Voici un résumé des trois options énoncées à l’article 5 :

A - Aucune exemption dans le pays A lorsque le pays B applique la convention bilatérale en vue d’exempter des revenus d’impôts ou d’appliquer un taux d’imposition réduit; le pays A offrira un crédit pour impôt étranger relativement à l’impôt payé au pays B. Le but est de traiter les situations de double non-imposition du revenu.

B - Aucune exemption dans le pays A pour les dividendes déductibles par le payeur dans le pays B. Le pays A offrira plutôt un crédit pour impôt étranger.

Cette option vise à combattre les instruments hybrides. Par exemple, un instrument qui est réputé être une créance dans le pays B, de sorte que le payeur a droit à une déduction pour le paiement d’intérêts, alors que le pays A traite l’instrument comme des capitaux propres de sorte que le bénéficiaire est traité comme s’il recevait un dividende exempté.

C – Si le revenu est imposé en vertu de la convention dans le pays B, le pays A offrira un crédit pour impôt étranger en fonction du revenu net. Si le revenu est exempt d’impôts dans le pays A, ce dernier peut quand même offrir un crédit pour impôt étranger relativement aux impôts payés dans le pays B.

Gowling WLG vous tiendra au courant des prochains développements concernant l’IM.


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