COVID-19 : La dynamique des transactions de fusions et acquisitions découlant de la pandémie

18 minutes de lecture
23 avril 2020

Alors que le monde entier est aux prises avec la pandémie, les acheteurs et les vendeurs se trouvent confrontés à un marché radicalement transformé. Les perturbations provoquées par la COVID-19 sont sans précédent et modifieront considérablement la manière dont les parties aborderont les opérations de fusions et acquisitions à l'avenir. Dans cet article, nous partageons certaines de nos perspectives sur la manière dont la dynamique des accords devrait évoluer à mesure que le ralentissement économique se poursuit et que les gouvernements tentent prudemment d'alléger certaines des restrictions imposées à nos économies. 



Le point de vue de Gowling WLG

L'ampleur considérable des perturbations causées par la pandémie de COVID-19 a temporairement gelé de nombreuses transactions. L'incertitude a conduit les acheteurs et les vendeurs à retarder ou à annuler de nombreuses opérations de fusions et acquisitions. Les transactions subordonnées au financement sont particulièrement menacées, car les prêteurs hésitent davantage à financer de nouvelles transactions et priorisent plutôt la gestion quotidienne des portefeuilles de prêts existants et d'autres complications liées à la pandémie. La dynamique des transactions a considérablement changé et continuera d'évoluer à mesure que les effets de la pandémie se manifesteront dans l'ensemble de l'économie.

À quoi pouvons-nous nous attendre?

Activité de fusions et acquisitions réduite

Le ralentissement économique que nous subissons en raison des efforts de distanciation physique sans précédent imposés dans de nombreux pays du monde entier est unique. Il reste à voir comment cela se répercutera sur les activités de fusions et acquisitions, tant au Canada qu'à l'étranger. Si les ralentissements passés constituent un bon indicateur pour l'avenir, nous pouvons anticiper une baisse du volume global des transactions, mais pas une diminution précipitée, et nous pouvons toujours nous attendre à une activité transactionnelle substantielle. Par exemple, selon les données de la dernière récession provoquée par la crise financière de 2008, plus de 170 opérations de fusions et acquisitions ont été signalées au Canada au cours du pire trimestre suivant le début de cette crise.  L'année suivante, le volume de transactions avait sensiblement retrouvé les niveaux d'avant la récession (1 132 en 2008, 927 en 2009 et 1 130 en 2010)[1]

Selon Crosbie & Co, l'activité transactionnelle au Canada a légèrement augmenté au premier trimestre 2020, avec 797 transactions annoncées. Ce chiffre inclut le mois de mars, dont une grande partie s'est déroulée après le début de la crise de la COVID-19. Si l'histoire nous a enseigné quelque chose, nous pouvons prévoir quelques mois difficiles à venir, mais nous pouvons également envisager que les marchés de fusions et acquisitions seront résilients.

Il existe d'autres facteurs uniques qui atténuent l'activité à court terme. Les protocoles de distanciation physique ont remis en cause certaines opérations, limitant la conduite de certaines activités de vérification diligente et ajoutant des contraintes logistiques telles que les approbations des tribunaux, des actionnaires et des autorités réglementaires. Les professionnels du secteur ont déjà trouvé des moyens créatifs pour relever ces défis. Nous anticipons que les acheteurs bien positionnés auront tendance à imposer aux vendeurs une grande part des risques supplémentaires liés à ces défis.

Un marché dans lequel « l'argent est roi »

À court terme, ce sont les acheteurs disposant d'importantes réserves de liquidités qui régneront en maître. Dans ce marché, ces acheteurs pourront tirer parti de leur bonne posture pour obtenir des conditions de transaction plus favorables. Nous nous attendons à ce que les acheteurs riches en liquidités utiliseront cet effet de levier pour imposer aux vendeurs des risques plus importants dans leur transaction.  La manière dont ces risques seront traités dans une transaction particulière sera propre à la transaction et dépendra des faits. Quoi qu'il en soit, nous prévoyons que ces acheteurs useront de leurs forces pour obtenir des mises sous écrou et des retenues plus importantes, des mécanismes de réduction de prix plus agressifs, des représentations et garanties plus étendues, des accords d'indemnisation plus favorables et moins de compléments conditionnels de prix d'acquisition (« earn-outs »).

Alors que les prêteurs demeurent préoccupés, les acheteurs qui dépendent généralement de financements à effet de levier auront plus de difficultés. Ils devront faire preuve de créativité pour faire concurrence aux acheteurs riches en liquidités. Nous anticipons que les fonds de capital-investissement et les autres groupes dont les stratégies de transaction dépendent généralement de l'endettement seront forcés d'envisager d'autres moyens afin de combler le vide. Ceci pourrait inclure des opérations avec une composante plus importante d'équité dans le but d'un refinancement à une date ultérieure, lorsque les marchés de la dette se seront stabilisés. Ces acheteurs peuvent également chercher à conclure des transactions financées par les vendeurs et sécurisées par voie d'hypothèque.

Du côté des vendeurs, ceux ayant des réserves de trésorerie limitées sont probablement les plus vulnérables. Nous prévoyons que la plupart des vendeurs tenteront de trouver des moyens de gagner du temps. Ils voudront reporter une transaction de vente à une date ultérieure, lorsque les conditions économiques se seront stabilisées et que leur entreprise aura une chance de se redresser. Entre-temps, beaucoup pourraient chercher des co-investisseurs ou d'autres financements par actions ou par emprunt auprès de diverses sources. Des taux d'intérêt historiquement bas peuvent être utiles pour certains vendeurs disposant de garanties suffisantes. Une série de programmes gouvernementaux ont également été annoncés pour aider les entreprises à traverser la tempête économique provoquée par la pandémie. Nous avons regroupé les détails concernant l'aide fédérale et provinciale actuellement disponible ici. (en anglais seulement)  

Pour les vendeurs qui ne disposent pas de possibilités de financement provisoire ni de liquidités suffisantes pour faire face au ralentissement économique, une vente rapide, soit dans le cadre d'une procédure normale, soit dans le cadre de procédures de restructuration, pourrait être la seule option.

Le défi de la valorisation

Pour la plupart des secteurs, nous prévoyons l'émergence d'un cadre nettement plus favorable aux acheteurs dans ce nouvel environnement économique. Dorénavant, la valorisation des transactions devrait être plus modérée dans la plupart des secteurs où les mesures de confinement ont eu un impact important sur les affaires. Un certain nombre de facteurs sont susceptibles d'avoir un impact négatif sur la valorisation des transactions pendant un certain temps.

  • Bien qu'il y ait eu une certaine reprise, nous avons constaté des baisses importantes de la plupart des indices des marchés publics ces dernières semaines. Par conséquent, la valorisation des transactions liées à des mesures associées à des sociétés comparables cotées en bourse sera également affectée.
  • Un autre facteur sera la diminution du nombre d'acheteurs sur le marché. Moins de concurrence signifie moins de pression pour accroître la valorisation des transactions, moins de processus de vente par voie d'enchères et un nombre plus faible de soumissionnaires dans ces processus.  
  • L'impact négatif du confinement et des mesures accessoires sur les principaux indicateurs financiers constituera probablement la plus grande entrave à la valorisation. Que celle-ci soit liée à la croissance des revenus, aux profits, au BAIIA ou à une autre mesure, la pandémie aura des répercussions négatives dans la plupart des cas. Certains vendeurs feront preuve de créativité et proposeront des mesures d'ajustement pour tenir compte de la pandémie. Quoi qu'il en soit, les acheteurs hésiteront à prendre des risques alors qu'on ignore si la pandémie n'aura qu'un impact à court terme sur les entreprises ou si un ajustement plus permanent sera nécessaire. On peut assurément s'attendre à un examen plus minutieux de la situation financière des clients d'une entreprise ciblée.

Pour les vendeurs, l'accent sera mis sur le rétablissement de la valeur pré-pandémie – en particulier pour ceux qui sont touchés de manière disproportionnée par la COVID-19. Les vendeurs pourraient avoir intérêt à retarder les transactions jusqu'à ce qu'ils saisissent bien l'impact de la pandémie et les conséquences du ralentissement économique sur leur entreprise. Les vendeurs qui effectuent des transactions à court terme voudront négocier des périodes plus longues pour les compléments conditionnels de prix d'acquisition. S'ils ont confiance en l'acheteur et en la robustesse de son entreprise, les vendeurs peuvent également envisager d'accepter un prix d'achat partiellement payé sous forme d'actions, afin de pouvoir récupérer une partie de la valeur après la clôture.

Pour combler les écarts de valorisation entre les acheteurs et les vendeurs, les négociations pourraient porter sur un certain nombre d'options. En supposant que le vendeur demeure impliqué dans l'entreprise après la fermeture, un acheteur pourrait être prêt à accepter un complément conditionnel de prix d'acquisition à plus long terme pour donner au vendeur la possibilité de participer à la croissance future de l'entreprise au fur et à mesure qu'elle se remette de la pandémie. Un acheteur pourrait aussi être prêt à offrir une forme de droits de participation au vendeur afin de lui donner la possibilité de profiter d'un avantage supplémentaire.

Considérations transfrontalières

La grande majorité des opérations de fusions et acquisitions canadiennes ont une composante transfrontalière. Il peut s'agir d'un vendeur ou d'un acheteur étranger, d'un groupe d'investisseurs non canadiens ou d'un syndicat de prêteurs basé à l'extérieur du Canada. La plupart des opérations transfrontalières au Canada concernent les États-Unis. À la mi-avril, le taux de change du dollar canadien est à son plus bas depuis plus de trois ans par rapport au dollar américain. Lors d'expériences passées impliquant une correction importante du taux de change, nous avons constaté un afflux important d'acheteurs américains et étrangers à la recherche d'entreprises cibles canadiennes à un prix réduit. Nous pouvons nous attendre à une expérience similaire à court terme, alors que le dollar canadien reste faible par rapport au dollar américain. 

Les acheteurs étrangers doivent être conscients des questions réglementaires. Le gouvernement canadien a récemment annoncé qu'il fera un examen approfondi des investissements étrangers directs dans certaines entreprises, et de tous les investissements étrangers effectués par des sociétés d'État. L'examen approfondi peut impliquer que le personnel de la Division de l'examen des investissements « demande un complément d'information ou une prolongation du délai prévu pour l'examen » en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Cette approche s'appliquera jusqu'à ce que « l'économie se remette des effets de la pandémie de la COVID-19 ». Pour plus de détails, voir notre article à ce sujet ici.   

Transactions dans un contexte de restructuration ou de détresse

Les vendeurs pourraient ne pas être en mesure de contrôler leur propre destin dans l'environnement actuel. Nous nous attendons à ce que la pandémie fasse un certain nombre de « blessés ambulants ».  Certains créanciers pourraient faire preuve de patience à l'égard des emprunteurs défaillants, mais pas d'autres. Si les créanciers impatients ne voient pas de mesures rapides sous la forme d'une fusion ou de la vente de l'entreprise cible ou autre, nous croyons que les créanciers seront prompts à envisager leurs propres options pour forcer une combinaison de vente ou de remboursement. Ce resserrement anticipé auprès des vendeurs constituera un défi supplémentaire dans le processus de vente, car les acheteurs auront également des options par le biais de transactions dans un contexte de restructuration ou de détresse.

Les vendeurs peuvent profiter de la « pause » économique actuelle pour se préparer à une éventuelle opération de fusion ou d'acquisition. Consultez notre article ici (en anglais seulement) pour connaître les nombreuses mesures qui peuvent être prises dès maintenant pour préparer une entreprise à une vente future. Être préparé à cette transaction donne au vendeur la meilleure chance de maximiser la transaction tant pour le vendeur que pour les autres parties prenantes (en particulier les créanciers) de l'entreprise. Ne pas être préparé peut faire courir le risque de perdre le contrôle du processus lorsqu'un créancier ou une autre partie prenante fait pression.

Le recours à des procédures formelles d'insolvabilité et de restructuration, telles qu'une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, une procédure en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des entreprises ou une mise sous séquestre, offre des possibilités et des défis supplémentaires aux acheteurs et aux vendeurs. En effet, les acheteurs disposent rarement de représentations et de garanties étendues dans le cadre de ces procédures, et le temps qu'ils ont pour effectuer une vérification diligente est souvent limité. Il peut également y avoir moins de certitude quant à la transaction. D'autre part, les tribunaux peuvent rendre des ordonnances d'attribution afin de donner aux acheteurs l'assurance que les actifs achetés sont libres et exempts de toute réclamation.

Que les fusions et acquisitions d'entreprises en difficulté commencent en raison de processus de restructuration formels ou par voie de négociation, les acheteurs disposant de liquidités auront probablement la possibilité de réaliser des transactions à des conditions favorables et dans un environnement qui comportera probablement une concurrence plus limitée. Toutefois, les acheteurs riches en liquidités doivent savoir que celles-ci ne seront pas forcément suffisantes pour leur permettre d'être le soumissionnaire retenu d'un processus de fusion ou d'acquisition dans un contexte de détresse, que ce processus soit lancé de manière consensuelle par le vendeur ou imposé au vendeur par d'autres parties prenantes de l'entreprise cible.

Les efforts déployés pour trouver des transactions potentielles et élaborer une approche stratégique relativement à l'entreprise cible peuvent faire la différence entre l'échec et la réussite. Connaître les acteurs concernés (dans le secteur d'activité de la cible, la direction de la cible, les actionnaires de la cible et parmi la communauté des restructurations) et envisager des stratégies telles que la possibilité pour un acheteur d'être ou non un soumissionnaire d'amorce peut donner à un acheteur un avantage distinct. Chaque stratégie doit se faire « sur mesure » en fonction de la situation du vendeur et de l'urgence de la vente. L'évaluation de ces circonstances avec l'aide de professionnels de la restructuration qui connaissent bien le processus unique de fusions et acquisitions en difficulté est une première étape essentielle pour faire avancer une offre gagnante.

Tendances et développements actuels

Nous surveillons attentivement toute la documentation sur les fusions et acquisitions au Canada qui est accessible au public, afin de déceler les tendances et les caractéristiques uniques des opérations découlant de la pandémie de la COVID-19. Voici quelques-uns des développements que nous avons constatés :

  • La révision des définitions d'« effet défavorable important » et de « changement défavorable important » qui contiennent des exclusions expresses pour les pandémies ou les épidémies (y compris, sans limitation, la COVID-19 et ses impacts).
  • La prolongation des dates limites pour la clôture des transactions afin de tenir compte des retards dus à la COVID-19.  
  • Dans le cas des transactions de sociétés publiques, la modification du calendrier des exigences relatives aux « ordonnances provisoires » ou aux « ordonnances définitives », particulièrement lorsqu'il est difficile ou impossible d'obtenir ces ordonnances en raison de la suspension des activités normales des tribunaux.
  • Les engagements pour la période intérimaire des sociétés cibles concernant diverses actions ont été modifiés par rapport aux dispositions habituelles (par exemple, le dépôt en temps opportun des documents requis par la loi et la demande d'approbation par un tiers ou un tribunal) pour tenir compte des prolongations des délais et des autres aménagements découlant de l'effet de la pandémie.

Ces développements fournissent un aperçu de la manière dont les acheteurs et les vendeurs négocient pendant la présente crise, et nous éclairent sur la manière dont les négociations sont susceptibles d'évoluer dans le temps. À mesure que les effets à long terme de la pandémie se feront sentir, d'autres changements surviendront. Il est probable que les acheteurs et les vendeurs négocient et élaborent des représentations, des garanties et des engagements relatifs aux impacts spécifiques découlant de la crise, tels que ceux liés à la trésorerie, à la couverture d'assurance et aux changements législatifs. D'autres domaines d'intérêt pourraient être l'évaluation des moyens de minimiser les risques liés aux chaînes d'approvisionnement et l'élaboration de plans de continuité et de succession.

Conclusion

La dynamique des transactions continuera d'évoluer dans un contexte où la pandémie pose des défis sans précédent. Il est irréaliste d'envisager que l'on retrouvera le marché pré-pandémie du jour au lendemain; il est davantage probable qu'une phase de transition se poursuivra pendant un certain temps. Les acheteurs et les vendeurs feraient bien de se préparer pour s'attaquer à ce marché de manière efficace et efficiente, afin d'être dans la meilleur posture possible pour saisir les opportunités qui se présenteront à l'avenir.


[1] Source : Crosbie & Co.


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