Mesures d'urgence - La législation régissant les situations d'urgence au Canada

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18 mars 2020

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Le 17 mars, le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, a déclaré l'état d'urgence dans la province pour lutter contre la propagation rapide de la maladie à coronavirus (COVID-19). À l'heure actuelle, le ministère de la Santé de l'Ontario a confirmé 185 cas de COVID-19 dans la province, ainsi que le premier décès dû au virus dans la province. [1]



La déclaration de l'état d’urgence est une mesure extraordinaire que tout niveau de gouvernement peut prendre. Une fois déclarée, elle donne au gouvernement la possibilité d'imposer des mesures qui peuvent avoir un impact sur presque tous les aspects de notre vie quotidienne. Voici un aperçu de la manière dont un gouvernement peut déclarer l'état d'urgence et des pouvoirs qui lui sont conférés par une telle déclaration.

Au Canada, l'état d'urgence peut être déclenché en cas de perturbations graves, telles que des manifestations violentes, une guerre et/ou un conflit armé, le terrorisme national ou international ou des catastrophes naturelles. Selon l'ampleur, la portée et la nature de la perturbation, l'état d'urgence peut être déclaré par un ou plusieurs niveaux de gouvernement (c'est-à-dire fédéral, provincial/territorial, municipal).

Niveaux provincial/territorial et municipal

Il est plus fréquent que la déclaration d'un état d'urgence se fasse aux niveaux provincial/territorial ou municipal.

Aux niveaux provincial/territorial et municipal, la déclaration de l'état d'urgence est généralement régie par la législation provinciale ou territoriale qui définit la portée générale des pouvoirs d'urgence pour les deux niveaux de gouvernement. Toutefois, la plupart des grandes municipalités canadiennes ont également mis en place des règlements qui décrivent leurs plans d'urgence municipaux et qui permettent également de déclarer l'état d'urgence. En général, ces plans établissent des protocoles d'intervention en cas d'urgence ainsi que les rôles et responsabilités des institutions.

En Ontario, les déclarations de situations d'urgence sont régies par la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d'urgence[2] [« LPCGSU »] (anciennement la Loi sur les mesures d'urgence). La LPCGSU exige que chaque municipalité, ministère, agence, conseil, commission et autre branche du gouvernement désigné par les législatures provinciales développe, mette en œuvre et maintienne un programme de gestion des urgences[3]. Ces programmes de gestion des situations d'urgence sont mis en œuvre dès la déclaration d'une situation d'urgence en vertu de la LPCGSU.

La LPCGSU définit une « urgence » comme incluant largement toute « situation ou situation émergente dangereuse à un point tel qu'elle risquerait de causer un grave préjudice à des personnes ou d'importants dommages à des biens… », et pouvant être causée par « une maladie ou autre risque à la santé »[4].

Lorsqu'une urgence est reconnue, la situation d'urgence ne peut être déclarée qu'aux termes de la LPCGSU par l'une des personnes ou institutions ci-dessous :

  • Le président du conseil municipal. Dans de telles circonstances, le président du conseil municipal peut déclarer la situation d'urgence pour l'ensemble ou une partie de la municipalité. Il peut prendre toute mesure et donner tout ordre, non contraires à la loi et qu'il juge nécessaires, pour mettre en œuvre le plan de mesures d'urgence de la municipalité et pour protéger les biens, la santé, la sécurité et le bien-être des habitants de la zone de crise.
  • La législature de l'Ontario.
  • Le premier ministre de l'Ontario (mais seulement si celui-ci est d'avis que l'urgence de la situation exige une intervention immédiate). Il est important de noter que si la déclaration est faite par le premier ministre, cette dernière prendra fin au bout de 72 heures si elle n'est pas confirmée par la législature de l'Ontario[5].

La législature de l'Ontario ou le premier ministre de l'Ontario peut déclarer une situation d'urgence seulement si les 4 critères (4) suivants sont satisfaits :

  1. Il existe une situation d'urgence qui « exige une intervention immédiate afin d'empêcher l'émergence d'une situation dangereuse à un point tel qu'elle risquerait de causer un grave préjudice à des personnes ou d'importants dommages à des biens, ou afin d'en diminuer ou d'en atténuer les effets ».
  2. Il est impossible de se fier, sans courir le risque d'un retard important, aux ressources dont dispose normalement le gouvernement provincial, y compris la législation actuelle.
  3. L'efficacité des ressources dont dispose normalement le gouvernement provincial peut s'avérer insuffisante pour faire face à la situation d'urgence.
  4. Il est impossible de déterminer, sans courir le risque d'un retard important, si les ressources dont dispose normalement le gouvernement provincial sont fiables[6].

Une fois la situation d'urgence déclarée en vertu de la LPCGSU, une très vaste gamme de décrets d'urgence peuvent être mis en œuvre, y compris les suivants :

  • Réglementer ou interdire les déplacements;
  • Mettre sur pied des installations permettant de s'occuper de particuliers et de veiller à leur bien-être, à leur sécurité et à leur hébergement, notamment des abris et des hôpitaux d'urgence;
  • Fermer des lieux publics ou privés (p. ex. : des entreprises, bureaux, écoles, hôpitaux);
  • Fixer le prix à payer pour les denrées, services et ressources nécessaires et interdire de demander à leur égard un prix exorbitant[7].

Fait à noter, une fois la situation d'urgence déclarée, elle peut être maintenue pour une période de temps indéterminée aux termes de la LPCGSU. Dans le cas d'une situation d'urgence déclarée au palier municipal, la LPCGSU ne comporte pas de restriction en matière de durée. Cependant, à l'échelle provinciale/territoriale la LPCGSU prévoit une durée de quatorze (14) jours, mais la législature de l'Ontario peut prolonger la situation d'urgence[8].

Conformément aux exigences législatives, la législature de l'Ontario prévoit apparemment se réunir le jeudi 19 mars 2020 dans le but d'adopter des mesures d'urgence liées à la COVID-19 (p. ex. : de nouvelles lois visant les emplois touchés par la quarantaine et les exigences d'auto-isolement)[9].

Législation fédérale

En plus des déclarations d'urgence provinciales/territoriales et municipales, une situation d'urgence nationale peut être déclarée par le Parlement du Canada en vertu de la Loi fédérale sur les situations d'urgence[10] (anciennement la Loi sur les mesures de guerre). En vertu de cette Loi, une urgence nationale est définie comme une « situation urgente ou critique de nature temporaire » qui répond à l'un des critères suivants, ou aux deux :

  • met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d'intervention des provinces; ou
  • menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l'intégrité territoriale du pays[11].

La Loi fédérale sur les situations d'urgence permet au gouvernement fédéral de mettre en œuvre « à titre temporaire des mesures extraordinaires de sécurité en situation de crise nationale et à modifier d'autres lois en conséquence »[12]. Cette Loi identifie quatre (4) types d'urgences qui répondent à ces critères :

  1. Sinistres (voir art. 5) – fait généralement référence à une situation « comportant le risque de pertes humaines et matérielles, de bouleversements sociaux ou d'une interruption de l'acheminement des denrées, ressources et services essentiels » causés par des désastres/phénomènes naturels, maladies affectant les humains, les animaux ou les végétaux, ou des accidents ou la pollution.
  2. États d'urgence (voir art. 16) – situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d'une gravité telle qu'elle constitue une situation de crise nationale (p. ex: l'espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ou qui visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence au Canada ou dans un État étranger).
  3. États de crise internationale (voir art. 27) – fait généralement référence à des circonstances de « situation de crise à laquelle sont mêlés le Canada et un ou plusieurs autres pays à la suite d'actes d'intimidation ou de coercition ou de l'usage, effectif ou imminent, de force ou de violence grave ».
  4. États de guerre (voir art. 37) – fait généralement référence à des circonstances de « guerre ou autre conflit armé, effectif ou imminent, où est partie le Canada ou un de ses alliés ».

Historiquement, la législation fédérale sur l'état d'urgence a été invoquée dans des circonstances de guerre ou de conflit armé interne. Par exemple, l'ancienne Loi sur les mesures de guerre a été invoquée pendant la Crise d'octobre de 1970 et pendant les Première et Deuxième Guerres mondiales. Cependant, il semble que le gouvernement fédéral s'apprête à suivre les traces de l'Ontario et à invoquer la Loi fédérale sur les situations d'urgence relativement à la COVID-19 – en fait, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé le 17 mars 2020 que le Parlement serait rappelé pour discuter du rôle du gouvernement fédéral dans l'introduction de mesures d'urgence pour les Canadiens et les entreprises touchés par la COVID-19[13].

Par conséquent, si le Parlement invoque la Loi fédérale sur les situations d'urgence dans ces circonstances, sa décision sera probablement fondée sur la classification de la COVID-19 à titre de sinistre. Dans les cas de sinistres, le gouvernement fédéral peut introduire des décrets encore plus larges que ceux que des provinces/territoires et municipalités relativement aux zones affectées, p. ex. :

  • Réglementer la distribution et la mise à disposition des denrées, des ressources et des services essentiels;
  • Autoriser et verser des paiements d’urgence;
  • Imposer des peines par procédure sommaire (c.-à.-d. une amende maximale de 500 $ et ou un emprisonnement maximal de 6 mois);
  • Imposer des mises en accusation (c.-à.-d. une amende maximale de 5000 $ et ou un emprisonnement maximal de 5 ans[14]).

Toutefois, les déclarations de sinistres, et les ordonnances connexes, en vertu de la Loi fédérale sur les situations d'urgence, ne sont pas destinées à interférer avec la portée des questions et des enjeux relevant des forces de police provinciales/territoriales et municipales[15].

Outre la Loi fédérale sur les situations d'urgence, le gouvernement fédéral peut invoquer la Loi sur la gestion des urgences[16], laquelle requiert du ministre fédéral de la Sécurité publique et de la Protection civile qu'il élabore, mette en œuvre et maintienne des plans de gestion des urgences dans le cas d'une situation d'urgence déclarée.


[2] L.R.O. 1990, c. E. 9.

[3] Voir p. ex. ibid, para. 2.1, 3, 5.1, 6.

[4] Ibid, art. 1.

[10] R.C.S. 1985, chap. 22 (4e supp.).

[11] Ibid, art. 3.

[12] Ibid, titre au long.

[14] Ibid, para. 8 (1).

[15] Ibid, para. 9 (1).


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