Une période de probation ne peut justifier la réduction du délai-congé raisonnable

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28 août 2020

Dernièrement, la Cour supérieure a rendu la décision Blanchette c. Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal [1] dans laquelle le tribunal a jugé qu'une période de probation ne pouvait justifier l'octroi d'un délai-congé insuffisant [2] lors de la résiliation d'un contrat de travail à durée indéterminée.



Les faits

Mme Blanchette occupait le poste de directrice de l'exploitation du Musée Pointe-à-Callière lorsqu'elle est approchée par une firme spécialisée de recrutement qui lui propose de soumettre sa candidature au poste de présidente-directrice générale de la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal (ci-après « la Fabrique »).

À la suite du processus de recrutement, la Fabrique décide de retenir les services de Mme Blanchette. Celle-ci accepte alors une offre d'emploi conditionnelle qui ne précise que certains aspects de sa rémunération. On lui indique alors qu'un contrat d'emploi lui sera remis ultérieurement.

Peu après avoir démissionné de son emploi auprès de son ancien employeur, Mme Blanchette reçoit le contrat d'emploi de la Fabrique. Elle se dit alors surprise de constater que le contrat prévoit une période de probation de 12 mois, ce qui n'avait jamais été discuté avec elle au préalable.

Mme Blanchette débute tout de même son emploi auprès de la Fabrique. Moins de cinq mois plus tard, le conseil d'administration décide de mettre fin à son emploi en raison du non-respect des règles de gouvernance et de la gestion des commandites. Le devis d'entrevue de congédiement fait notamment référence à un conflit d'intérêts avec les commanditaires contactés par Mme Blanchette.

L'analyse

Concluant que le contrat de travail est à durée indéterminée et qu'il n'existait pas de motif sérieux justifiant le congédiement de Mme Blanchette, le tribunal procède à l'analyse du délai-congé raisonnable qui doit être accordé à celle-ci.

La Fabrique prétend que ce délai-congé doit se limiter au salaire que Mme Blanchette aurait reçu jusqu'à la fin de sa période de probation de douze mois, c'est-à-dire l'équivalent de sept mois de salaire.

Le tribunal ne retient pas cet argument qu'il estime contraire aux dispositions d'ordre public de protection du Code civil du Québec. Ce faisant, le tribunal énonce que la période de probation ne peut servir de fondement afin de justifier l'octroi d'un délai-congé insuffisant dans le contexte d'un contrat à durée indéterminée :

[452]     S'il fallait que la période de probation imposée par l'employeur fasse échec à des dispositions d'ordre public de protection, comme c'est le cas en l'espèce, le Tribunal voit facilement les incongruités qui pourraient résulter du raisonnement suggéré par la Fabrique.

[453]     Ainsi, l'on pourrait dorénavant, inciter un cadre supérieur à quitter un emploi rémunérateur, l'assujettir à une période de probation donnée, variant par exemple entre 3 et 12 mois, et mettre fin à son emploi après quelques semaines en ne lui versant que le salaire qu'il aurait gagné jusqu'à la fin de la période de probation.

[454]     Donc, par le truchement d'une période de probation, il deviendrait possible de faire échec au 2e alinéa de l'article 2091 C.c.Q. et à l'article 2092 du même Code. L'employé serait ainsi à la merci de l'employeur et d'une fin d'emploi abrupte.

[455]     L'argument est non seulement contraire à la loi, mais également à son esprit. 

Ainsi, faisant appel aux critères législatifs et jurisprudentiels applicables, le Tribunal conclut que le délai-congé raisonnable est de douze mois dans les circonstances [3]. Ceci dit, le jugement laisse sous-entendre que la période de probation pourrait également être un des facteurs soupesés lors de l'analyse du préavis raisonnable. En l'espèce, cet élément est peu considéré étant donné que la période de probation a été imposée à l'employée, de surcroit après que celle-ci eut démissionné de son emploi précédent.

Il faut retenir de cette décision que si vous souhaitez prévoir une période de probation au contrat d'emploi de l'un de vos employés, il vaut mieux lui en faire part dès l'embauche afin que celui-ci se joigne à votre entreprise en toute connaissance de cause. Sachez par ailleurs que le simple fait de prévoir une période de probation ne vous libère pas de votre obligation de remettre à l'employé un délai-congé raisonnable en cas de fin d'emploi sans motif sérieux, bien qu'un tribunal pourra en tenir compte au moment de l'évaluation du préavis raisonnable auquel a droit l'employé.

Pour plus d'informations concernant les répercussions éventuelles de cette décision sur vos activités, nous vous invitons à contacter un membre de l'équipe droit du travail, de l'emploi et des droits de la personne de Gowling WLG.

 

[1] Blanchette c. Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 2020 QCCS 1752

[2] L'article 2091 du Code civil du Québec permet à un employeur de résilier unilatéralement un contrat de travail à durée indéterminée en accordant au salarié un délai-congé raisonnable ou une indemnité en tenant lieu. De nombreux facteurs sont considérés par les tribunaux afin d'évaluer si la durée de ce préavis est raisonnable, par exemple, la durée de l'emploi, l'âge du salarié, la nature de l'emploi et la difficulté de trouver un nouvel emploi comparable.

[3] Le tribunal retient notamment les facteurs suivants : la sollicitation de Mme Blanchette alors qu'elle occupait un emploi rémunérateur stable, la volonté initiale des parties de se lier pour plusieurs années, l'âge de Mme Blanchette au moment du congédiement, la nature du poste occupé, l'importance du poste occupé et la difficulté de se trouver un emploi comparable.


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