Les règles de prescription ont pour objet d'introduire une notion d'irrévocabilité dans la loi. Et pour l'autorité fiscale d'un pays, un délai de prescription peut avoir pour objectif supplémentaire de lui permettre d'enfin fermer les livres et d'évaluer son assiette fiscale. Au Canada, le paragraphe 164(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu1 (LIR) impose une limite de trois ans aux remboursements d'excédents de perception aux contribuables à partir de l'année du versement du trop-payé par ces derniers. La réglementation accorde aussi à l'Agence du revenu du Canada (ARC) le pouvoir discrétionnaire de prolonger cette période à 10 ans, sauf pour les contribuables constitués en société. De récentes modifications à la LIR, notamment l'ajout de l'alinéa 164(1.5)(c) de même qu'une récente interprétation technique par l'ARC de l'interaction entre le paragraphe 221.2(1) (traitant de la réaffectation de dettes) et le paragraphe 164(1), ont fait en sorte que les conseillers fiscaux remettent en question la notion du délai de prescription de trois ans. De plus, certaines dispositions contenues dans des conventions fiscales, telles que l'article sur la procédure amiable (PA) de la Convention entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention fiscale Canada-États-Unis)2, interagissent de sorte à rendre inopérable le délai de prescription. Plusieurs fiscalistes se demandent même si le délai de prescription sur les remboursements de trop-payés aux sociétés n'est pas devenu, à toutes fins utiles, un obstacle inutile dans la LIR.

Survol

L'article 164 de la LIR permet au ministre du Revenu national de rembourser à un contribuable un trop-payé au titre de son assujettissement à l'impôt. Il n'est pas possible d'obtenir un remboursement sans remplir une déclaration de revenus dans les trois années à compter de la fin de l'année d'imposition en question.3 En ce qui a trait aux particuliers ou aux fiducies testamentaires, l'ARC a le pouvoir discrétionnaire d'accorder en tout ou en partie un remboursement frappé de prescription de trop-payé. En vertu de l'alinéa 164(1.5)(a), ces contribuables peuvent bénéficier d'un délai de 10 ans (plutôt que du délai habituel de trois ans) dans le cadre duquel ils peuvent remplir une déclaration de revenus afin d'être admissibles à un remboursement. Remarquablement, cet allègement n'est pas offert aux sociétés. De plus, l'ARC n'est pas obligée d'accorder cet allègement en vertu de cette disposition; chaque demande est en effet examinée selon son bien-fondé.4 La politique administrative de l'ARC stipule qu'elle peut choisir d'accorder le remboursement lorsque l'ARC estime qu'un tel remboursement aurait été octroyé si la déclaration de revenus ou la demande de remboursement avait été déposée à temps et sous réserve que l'évaluation nécessaire est fondée en droit et n'a pas déjà été accordée.5

La Convention fiscale Canada-États-Unis 

L'article relatif à la PA de la Convention fiscale Canada-États-Unis (article XXVI) fournit aux contribuables un accès à un processus de résolution de différends selon le droit interne. La PA permet aux autorités compétentes canadiennes et américaines d'interagir pour résoudre des différends fiscaux internationaux qui surviennent souvent dans les cas de double imposition ou s'il y a discordance dans l'interprétation de la Convention.

En vertu du paragraphe 2 de l'article relatif à la PA contenu dans la Convention fiscale Canada-États-Unis, toute entente signée par l'autorité compétente de chaque État contractant « devra être mise en œuvre nonobstant toute prescription relative à un délai ou à une procédure en vertu du droit interne des États contractants » [Traduction libre]. Jusqu'à tout récemment6, la Convention fiscale Canada-États-Unis était l'une des quelques conventions fiscales canadiennes dans le cadre de laquelle l'autorité compétente canadienne est assujettie à une obligation (p. ex., l'obligation de fournir un allègement de la double imposition « nonobstant » les lois nationales canadiennes). Par conséquent, cette clause nonobstant contenue dans la disposition a pour effet de permettre les remboursements ou les réévaluations de cotisations qui seraient autrement frappés de prescription en vertu des paragraphes 152(4) ou 164(1) de la LIR et autres dispositions sur la prescription contenues dans la LIR. Par exemple, malgré le délai de prescription de deux ans contenu dans le paragraphe 227(6) de la LIR pour demander un remboursement d'excédent de perception retenu, la Convention fiscale Canada-États-Unis prévoit qu'en ce qui a trait à la partie XIII sur la retenue de paiement, les autorités compétentes peuvent accorder un allègement, pour autant qu'elles soient avisées dans le délai de prescription de six ans contenu dans l'article afférent à la PA.7 

Modifications récentes

Le budget fédéral déposé le 4 mars 2010, contenait des modifications à la LIR conçues pour remédier à une lacune du régime fiscal canadien causée par le rigidité des règles relatives au remboursement de trop-payé aux contribuables constitués en société. En particulier, l'alinéa 164(1.5)(c) de la LIR a été ajouté pour remédier à une iniquité qui touchait les sociétés non résidentes, où l'ARC a établi des cotisations d'impôt fondées sur le défaut de faire des « retenues d'impôt » à un moment où la société non résidente était déjà frappée d'une prescription l'empêchant de recevoir un remboursement.

Cette situation relative aux évaluations de l'ARC survenait le plus souvent dans le cas de contribuables qui omettaient de retenir les 15 pour cent requis en vertu de la Règle 105 de la LIR relative à des paiement versés à des non-résidents pour services rendus au Canada. Comme cette somme est retenue compte tenu de l'assujettissement du non-résident à l'impôt potentiel selon la Partie 1 au Canada, toute somme perçue en excédent de l'assujettissement réel à l'impôt du non-résident doit normalement lui être remboursée. Ainsi, dans les circonstances où le revenu du non-résident est exonéré de l'impôt canadien en raison d'une convention fiscale, par exemple, la somme en entier de la retenue doit être remboursée. Puisque avant les modifications de 2010, il n'y avait pas de délai de prescription pour l'ARC prévu dans la LIR et visant à imposer un contribuable pour défaut de retenue, un non-résident pouvait se retrouver dans une situation où il ne pouvait obtenir un remboursement sur le montant imposé à un payeur canadien (en raison d'un empêchement prévu par la loi), malgré le fait que le non-résident n'était pas réellement assujetti à l'impôt.

Les modifications de 2010 permettent dorénavant à l'ARC de rembourser des excédents de perception imposés à un contribuable, dans la mesure où l'excédent de perception est lié à l'imposition d'un autre contribuable (p. ex., le payeur qui devait effectuer une retenue).8 Cependant, les modifications exigent que la déclaration d'impôt du contribuable soit remplie dans les deux ans suivant l'imposition de l'autre contribuable. Cette règle des deux ans semble conforme à la politique de remboursement de la partie XIII du paragraphe 227(6). De plus, l'imposition de l'autre contribuable doit être liée au versement d'un paiement à un non-résident pour des services rendus au Canada ou à une somme imposée à un acheteur pour défaut de retenue relativement à la vente d'un bien canadien imposable. Les modifications de 2010 seront applicables à des remboursements effectués après le 4 mars 2010.

Réaffectation des excédents de perception frappés d'une prescription 

Un récente interprétation technique par l'ARC a confirmé que les excédents de perception autrement frappés d'une prescription peuvent être réaffectés pour donner lieu à l'équivalent d'un remboursement selon l'article 221.2 de la LIR. Bien que cette interprétation énonce clairement qu'une « réaffectation en vertu de l'article 221.2 ne primerait pas sur le délai prescrit au paragraphe 164(1) », le résultat est pratiquement le même.9

Les dispositions de l'article 221.2 sont facultatives. Cet article prévoit qu'une réaffectation peut être effectuée dans une année où un montant est ou peut devenir payable. L'ARC a fourni deux orientations possibles quant à la signification de cette phrase. Premièrement, les mots « peut devenir payable » suggèrent « une anticipation raisonnable d'endettement dans l'année subséquente ». Deuxièmement, la réaffectation doit « être proportionnée à l'endettement anticipé ».10 Cela signifie qu'un trop-payé d'impôt frappé d'une prescription au montant de 100 000 $ ne peut être réaffecté à une dette fiscale anticipée de 1 000 $. Malgré ces contraintes mineures, un contribuable est libre d'appliquer ces trop-payés d'impôts qui lui seraient autrement inaccessibles en les réaffectant aux fins de réduction de ses impôts dus ou anticipés.

Politique fiscale

Du point du vue du gouvernement, il est raisonnable de viser la certitude au moment de la détermination de l'assiette fiscale du pays. À ce titre, le délai prescrit dans la LIR relativement au remboursement d'excédents de perception aide la gouvernement à enfin fermer les livres relativement à l'impôt sur les sociétés, et il est évident que le ministère des Finances souhaite y procéder le plus tôt possible.

On trouve également une preuve de la notion « d'irrévocabilité de l'impôt » dans l'approche de l'ARC d'effectuer des remboursements au titre de dividendes lorsque les sociétés n'arrivent pas à produire une déclaration de revenus en temps opportun (p. ex., au-delà de trois ans) et se sont vu refuser un remboursement en vertu du paragraphe 129(1) de la LIR. Malgré des jugements comme dans les dossiers Tawa Developments Inc. c. La Reine11 et Ottawa Ritz Hotel Company Limited c. La Reine12, on peut supposer que l'ARC, avec le soutien du ministère des Finances, reste sur sa position selon laquelle l'impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD) d'une société est réduit par le remboursement au titre de dividendes frappé d'une prescription. La préoccupation de l'ARC demeure ici que, sans cette approche, l'objectif du paragraphe 129(1) serait perdu si le remboursement au titre de dividendes pouvait simplement être atteint au moyen d'un report du remboursement au titre de dividendes à une date ultérieure.

Analyse

La publication de cette interprétation technique traitant de la réaffectation d'excédents de perception autrement frappés d'une prescription, laisse croire que l'interprétation par l'ARC du paragraphe 221.2(1) de la LIR a ouvert une boîte de Pandore. En effet, il semble maintenant possible de contourner les délais de prescription de la LIR relatifs aux remboursements d'impôt. Existe-t-il dorénavant des stratégies permettant les transferts de bénéfices imposables à une société pour créer de futurs remboursements d'impôt? Si oui, une société pourrait faire une demande auprès de l'ARC pour obtenir la réaffectation des impôts à payer afin de réduire ou d'éliminer ces derniers, et ainsi lui permettre d'avoir accès à ses remboursements autrement frappés d'une prescription.

Bien que le libellé du paragraphe 221.2(1) indique que le ministre « peut », sur demande, affecter la somme en particulier, on présume que l'ARC ne refuserait de telles demandes que dans circonstances restreintes. Malgré que l'octroi de l'allègement soit facultatif, il ne peut cependant être refusé sans raison. De plus, les contribuables peuvent se prévaloir de leur droit à la révision judiciaire de la décision si l'ARC n'offre pas de compensation à la demande d'un contribuable. La récente décision de la Cour fédérale dans l'affaire Home Depot NRO Holdings Inc. c. Le ministre du Revenu national 13 est le parfait exemple d'un contribuable qui a obtenu gain de cause à l'égard de sa demande.

Autre conséquence possible des déclarations de l'ARC relativement à cette question : il se pourrait qu'elle ouvre la voie à des réaffectations de remboursements selon la partie XIII qui sont frappés d'une prescription en vertu du paragraphe 227(6) de la LIR. Selon cette disposition, et en ne tenant pas compte de l'article relatif à la PA de la Convention fiscale Canada-États-Unis, un particulier dispose de deux années à compter de l'année pendant laquelle un montant a été versé, pour faire une demande de remboursement de sommes perçues en trop.14 Si on pousse plus loin le raisonnement contenu dans l'interprétation technique du paragraphe 221.2(1) par l'ARC, il est logique de penser qu'au-delà du délai prescrit de deux ans, les contribuables non résidents peuvent demander à ce que ces sommes soient réaffectées à une dette existante ou future (p. ex., si le non-résident choisit de continuer de faire des affaires au Canada et ainsi créer des revenus et un assujettissement à l'impôt selon la partie I). Même si le paragraphe 221.2(1) est une disposition facultative, l'ARC ne peut raisonnablement se retenir de l'appliquer et un contribuable insatisfait de la décision de l'ARC aurait à sa disposition plusieurs avenues de résolution, comme la révision judiciaire. Il ressort donc que la disposition offrant la possibilité aux contribuables de demander des réaffectations en vertu du paragraphe 221.2(1), est que cette dernière risque de devenir pour ceux-là un outil d'obtention de remboursements d'excédents de perception qui seraient autrement frappés d'une prescription. »

Conclusion

Nous croyons, et cela nonobstant le désir du ministère des Finances de fermer les livres rapidement, qu'une prescription statutaire sévère de trois ans pour les sociétés par rapport à une potentielle prescription statutaire de 10 ans pour les individus et les fiducies, même si elles sont à la discrétion de l'ARC, représente un trop grand écart à combler. De plus, à la lumière des diverses exceptions à la prescription statutaire de trois ans décrites ci-dessus, on ne peut que se demander si cette prescription est vraiment nécessaire. Il est troublant de constater que cette prescription statutaire ne sera utile qu'à punir les petites sociétés. En effet, on peut imaginer que les grandes sociétés disposent de conseillers fiscaux chevronnés qui les aideront à éviter les écueils posés par les différentes règles dont il est question dans le présent article et contourner également la prescription statutaire de trois ans. On peut bien entendu présumer que ce n'était pas l'intention première du ministère des Finances, et donc on peut aussi espérer que ces règles restrictives seront soigneusement examinées. Si la solution est de modifier la politique afférente aux conventions fiscales pour y ajouter une clause nonobstant aux conventions du Canada, la mise à jour du réseau entier de conventions du Canada prendra beaucoup de temps. En attendant, ce sont les petites sociétés qui se verront le plus souvent refuser des remboursements.

1 Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, chap. 1 (5e Supp.).

2 Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Washington le 26 septembre 1980, et modifiée par les Protocoles signés le 14 juin 1983, le 28 mars 1984, le 17 mars 1995 et le 29 juillet 1997.

3 ARC, Circulaire en matière d'impôt sur le revenu IC07-1, « Dispositions d'allègement pour les contribuables » ( 31 mai 2007) au paragraphe 66.

4 Ibid.,au par. 2.

5 Ibid., au par. 8.

6 Des conventions fiscales récemment signées comme l'Accord fiscal entre le Canada et la Région administrative spéciale de Hong Kong et la Convention fiscale entre le Canada et la Nouvelle-Zélande ont introduit la clause nonobstant du paragraphe 2 de l'article relatif à la PA, ce qui semble indiquer un infléchissement dans la politique relative aux conventions fiscales du Canada.

7 ARC, Circulaire en matière d'impôt sur le revenu 71-17R5, « Directive donnée par l'autorité compétente en vertu des conventions fiscales du Canada », énonce ce qui suit au paragraphe 71 : « En application de l'article XXVI, les résidents des États-Unis doivent soumettre leurs demandes d'aide à l'autorité compétente des États-Unis. Toutefois, sur le plan administratif, le Canada permet également aux résidents des États-Unis de soumettre leurs demandes directement à l'autorité compétente du Canada dans les cas où une demande de remboursement de l'impôt de la partie XIII retenu par le Canada sur les intérêts, les dividendes ou les redevances est présentée au-delà du délai de deux ans prévu dans le paragraphe 227(6) de la Loi. Le résident des États-Unis qui demande un tel allégement à l'autorité compétente du Canada doit le faire dans le délai de six ans prévu dans la Convention… »

8 En réalité, cette modification de 2010 est surtout accordée aux sociétés non résidentes qui résident dans des pays autres que les États-Unis. Comme susmentionné, en général, les sociétés américaines pourraient se fier à la PA pour obtenir des remboursements au-delà du délai prescrit de trois ans prévu dans le paragraphe 164(1) de la LIR,du moment que l'autorité compétente canadienne a été avisée en temps opportun.

9 CRA, Technical Interpretation 2011-0410961I7(E), Re-appropriation of Statute Barred Amounts (13 January 2011).

10 Ibid.

11 2011 DTC 1324. Dans le dossier Tawa Developments, le contribuable s'est vu refuser un remboursement de dividendes parce qu'il n'avait pas fait sa demande dans le délai prescrit de trois ans. Cependant, la Cour a jugé que le solde de l'IMRTD n'était pas réduit par le montant du remboursement au titre de dividendes qui avait été demandé. Le juge Hogan, estime que dans son sens ordinaire, le terme « remboursement » comprend le paiement et la réception d'une somme d'argent d'une partie à une autre. Ainsi, l'expression « remboursement au titre de dividendes » figurant au paragraphe 129(3) « s'entend d'un remboursement au titre de dividendes qui a effectivement été versé ou porté au crédit de l'impôt impayé, [plutôt que] d'un montant fictif qui existe même lorsqu'aucun remboursement n'a de fait été effectué ».

12 2012 DTC 1172. Comme dans le dossier Tawa Developments, aucune réduction de l'IMRTD du contribuable n'a été accordée.

13 Home Depot NRO Holdings Inc. c. Le ministre du Revenu national, (27 May 2011) Toronto T-2030-08 (CF).

14 Voir note 7 ci-dessus.