Le présent article fournit un résumé des décisions notables et des développements de 2014 en matière de droit des brevets au Canada.
Les tribunaux canadiens ont continué de se pencher sur des allégations selon lesquelles certains brevets sont invalides pour motif d’absence d'utilité. L’une des décisions d’importance ayant été rendues à cet égard par la Cour d’appel en 2014 est l’arrêt Celebrex (Apotex Inc v Pfizer Canada Inc, 2014 FCA 250).
Dans Celebrex, la Cour d’appel a traité de la doctrine de la « promesse du brevet », selon laquelle un inventeur qui promet explicitement un résultat précis sera tenu à cette promesse lors de l’établissement de l’utilité de l’invention.
L’article 2 de la Loi sur les brevets du Canada stipule entre autres qu’une invention doit présenter « le caractère (…) de l’utilité ». Les tribunaux ont longtemps affirmé qu’il n’est pas difficile de satisfaire au critère de l’utilité. À cet égard, un inventeur n’est pas tenu d’énoncer expressément l’utilité de l’invention dans le brevet. En revanche, lorsque l’inventeur est appelé à établir l’utilité d’une invention, il lui suffit de prouver que l’utilité a été démontrée ou établie par prédiction valable à la date de dépôt de la demande de brevet. Le seuil permettant d’établir l’utilité d’une invention est généralement peu élevé, on le décrit d’ailleurs comme se limitant à la « moindre parcelle d'utilité ».
Nonobstant le fait que le seuil permettant d’établir l’utilité est habituellement peu élevé, la Cour d’appel a affirmé que « la doctrine de la promesse constitue une exception aux exigences législatives minimales susmentionnées. À cet égard, bien qu’un inventeur ne soit pas tenu de décrire une utilité particulière de l’invention, un inventeur qui promet explicitement un résultat précis sera tenu à cette promesse lors de l’établissement de l’utilité de ladite invention […] Le fait que l’invention ait pu satisfaire au seuil de la moindre parcelle d’utilité n’est d’aucun secours quant à l’établissement de l’utilité lorsqu’on ne parvient pas à tenir une promesse faite préalablement ». [TRADUCTION]
La question en cause dans Celebrex était de déterminer si certains énoncés figurant dans la divulgation du brevet pouvaient être qualifiés de promesses explicites. Ultimement, la Cour d’appel a maintenu les conclusions du tribunal inférieur selon lesquelles aucune promesse explicite n’avait été formulée. Plus précisément, la Cour a fait valoir que le brevet ne contenait pas de promesse explicite et sans équivoque quant aux effets secondaires ni au traitement chez les humains, mais plutôt qu’il contenait uniquement une allusion quant à la possibilité de réduire les effets secondaires ainsi que des revendications dans lesquelles on mentionnait uniquement le traitement de « sujets ». Tout au plus, on pourrait comprendre que la réduction des effets secondaires était considérée comme étant un objectif ou un avantage, mais pas une promesse donnant lieu à l’application de la doctrine de la promesse.
L’arrêt Celebrex concorde avec les conclusions tirées par la Cour d’appel dans l’affaire Plavix (sanofi-aventis v. Apotex Inc, 2013 FCA 186) en lien avec la doctrine de la promesse. La Cour suprême du Canada devait entendre des plaidoiries concernant un appel visant la décision rendue par la Cour d’appel dans Plavix en novembre 2014; cependant, on a mis fin à l’appel interjeté auprès de la Cour suprême tout juste avant que l’audience n’ait lieu. Suite à ce désistement, la Cour suprême n’a pas eu l’occasion de fournir de directives quant aux exigences liées à l’utilité.
Dans Dow Chemical Company c. NOVA Chemicals Corporation, 2014 CF 844, la Cour fédérale a formulé plusieurs constats généraux en ce qui a trait aux actions en contrefaçon de brevet en déterminant que le brevet de Dow visant des compositions de polymère d’éthylène était valide et avait été contrefait. Voici certains constats tirés par la Cour à cet égard :
- Utilité promise : s’alignant sur le raisonnement de la Cour d’appel dans l’affaire Celebrex, la Cour a affirmé que pour qu’un énoncé compris dans le mémoire descriptif d’un brevet puisse être qualifié de promesse, le mémoire doit contenir un énoncé clair et sans équivoque que cela fait partie de l’utilité promise de l’invention. Autrement, l’énoncé devrait être vu en tant que simple énoncé d’avantage. En outre, les revendications d’un brevet doivent particulièrement être étudiées afin de déterminer si le brevet comporte une promesse supplémentaire ou une utilité revendiquée;
- Critère de l’antériorité : tout comme ce fut le cas dans le cadre d’autres affaires en matière de brevets traitant de la question d’antériorité, la Cour a affirmé qu’un document d'art antérieur doit divulguer ce qui, s’il était réalisé, « contreferait nécessairement le brevet ». Dans la présente affaire, il était possible de réaliser ce qui était divulgué dans le document d'art antérieur sans parvenir à l’invention revendiquée. Par conséquent, le document ne représente pas une antériorité;
- Critère de l’évidence : il est bien reconnu que le critère de l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur. Dans la présente affaire, la Cour a adopté le raisonnement employé dans la jurisprudence antérieure portant sur le moyen d’établir une distinction entre les documents accessibles au public et les renseignements faisant partie des connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art : « pour les connaissances générales courantes, il ne suffit pas de prouver qu’une divulgation a été faite dans un article, une série d’articles, dans une revue scientifique, peu importe l’importance du tirage de cette revue, en l’absence de toute preuve selon laquelle la divulgation est généralement acceptée par ceux versés dans l’art auquel se rapporte la divulgation […] Une telle connaissance fait partie des connaissances générales courantes uniquement lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par une majorité de ceux versés dans l’art particulier » [TRADUCTION ]; et
- Application de critères juridiques par des témoins experts : la Cour a conclu que l’expert de la défenderesse n’a pas appliqué le bon critère pour évaluer l’évidence lorsque l’expert a reconnu que la personne versée dans l’art – qui est par définition dénuée d’inventivité et d’imagination – aurait eu de l’imagination. Cette conclusion sert de rappel aux parties à un litige quant à l’importance de s’assurer que leurs témoins experts comprennent et appliquent correctement les critères juridiques lorsqu’ils présentent une opinion et font l’objet d’un examen dans le cadre d’un procès.
En 2014, plusieurs décisions dignes d’intérêt traitant spécifiquement de dossiers de brevets pharmaceutiques ont été rendues :
- Poursuite pour contrefaçon de brevet d’un médicament biologique : dans l’affaire Abbvie Corporation c. Janssen Inc., 2014 CF 55, la Cour fédérale a conclu que le brevet d’Abbvie lié à des anticorps humains était valide et avait été contrefait. Il s’agissait de la première décision rendue par la Cour relativement à un médicament biologique depuis quinze ans. Nonobstant le fait qu’Abbvie elle-même ne fabriquait pas sa propre invention brevetée, dans le dossier 2014 CF 489, la Cour a néanmoins accordé à Abbvie une injonction permanente interdisant à Janssen de se livrer à certaines activités. Les décisions de la première instance ont été examinées et annulées par la Cour d’appel et la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée. Voir les dossiers 2014 CAF 242 et 2014 CAF 241 à cet égard. Le motif de rejet des décisions de première instance invoqué était que le juge de première instance avait erré en interdisant à Janssen de s’appuyer sur de l’art antérieur présenté pour la première fois tout juste avant le procès. Notamment, la Cour d’appel a soutenu que c’était dans l’intérêt de la justice de présenter tout l’art antérieur pertinent au juge de première instance même si cela signifiait que les délais seraient plus longs et les coûts plus élevés avant d’obtenir un jugement. Suite à ces décisions, l’affaire a été réglée à l’amiable;
- Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas octroyés aux fabricants de médicaments génériques dans les dossiers de réclamations en dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 8 : dans l’affaire Teva Canada Limited c. Pfizer Canada Inc, 2014 CAF 138, la Cour d’appel s’est penchée sur la question à savoir si des dommages-intérêts devaient être versés dans le cadre de dossiers de dommages-intérêts réclamés en vertu de l’article 8. Cet article a pour but de compenser les fabricants de médicaments génériques pour des pertes subies en raison d’une entrée sur le marché retardée découlant de l’application du règlement qui est déclenché lorsqu’un innovateur dépose une requête à la Cour pour retarder ladite entrée sur le marché. Au bout du compte, la Cour d’appel a estimé que les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ne peuvent être octroyés en vertu de l’article 8. C’est-à-dire que les fabricants de médicaments génériques doivent se limiter à des demandes de dommages-intérêts compensatoires, mais à aucun autre type de réclamations financières comme des dommages-intérêts punitifs ou des restitutions de profits comme cela avait été le cas par le passé dans certains dossiers;
- La loi n’est pas fixe en ce qui a trait à l’exigence de divulgation dans les dossiers comportant une prédiction valable d’utilité : dans le dossier AstraZeneca Canada c. Apotex Inc, 2014 CF 638, la Cour a commenté la doctrine de la prédiction valable d’utilité. Depuis le jugement de la Cour suprême dans l’affaire AZT en 2002 (voir 2002 CSC 77), les tribunaux exigent que les brevets comportent un degré de divulgation supérieur dans les dossiers où l’utilité n’a pas été démontrée mais plutôt prédite de manière valable. Dans le cas en l’espèce, la Cour a énoncé que l’exigence quant à la divulgation appropriée d’utilité se limite au contexte de brevets à « nouvelle utilité ». C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une exigence pour tous les cas de prédiction valable. La logique étant ici que dans le cadre d’un cas de nouvelle utilité, il se peut que soit imposée une exigence de divulgation accrue puisque l’utilité est le seul argument présenté pour l’obtention du droit exclusif découlant du brevet; et
- Un usage expérimental ne suffit pas à prouver l’antériorité : dans l’affaire Bayer Inc c. Apotex Inc, 2014 CF 436, le fabricant de médicaments génériques a fait valoir que les essais cliniques menés avant le dépôt de la demande de brevets constituaient des divulgations antérieures. La Cour a rejeté cet argument. En particulier, la Cour a estimé qu’une utilisation expérimentale dans le but de perfectionner une invention ne constitue pas une utilisation publique. Même s’il existait une possibilité théorique selon laquelle un comprimé aurait pu être reproduit par un procédé de rétro-ingénierie, la preuve a démontré que le breveté avait pris les mesures nécessaires pour préserver la confidentialité de l’information pertinente et s’assurer que les comprimés non utilisés pendant les essais cliniques lui soient retournés.
D’importantes modifications seront apportées à la Loi sur les brevets du Canada, y compris, en ce qui a trait à ce qui suit :
- Le rétablissement des demandes abandonnées : le rétablissement des demandes canadiennes abandonnées deviendra plus ardu pour les demandeurs. En effet, aux termes du régime actuel, il est facile de rétablir une demande abandonnée dans les 12 mois suivant l’abandon en faisant une demande à cet effet, en payant des frais et en prenant les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon. Selon le nouveau régime, cependant, les demandeurs devront en outre fournir des raisons quant au défaut de remplir toutes les étapes qui leur auraient permis d’éviter l’abandon en premier lieu. Le Bureau des brevets évaluera ensuite la question à savoir si le demandeur a bel et bien fait preuve de diligence raisonnable nonobstant l’abandon. Par conséquent, les demandeurs devront agir avec plus de prudence en ce qui a trait au maintien et à la poursuite diligente de demandes de brevets;
- Le renvoi à une demande prioritaire : la pratique canadienne interdit les déclarations « d’incorporation par renvoi » dans les divulgations de brevets. Cependant, aux termes de modifications à la Loi sur les brevets, les demandeurs pourront dorénavant incorporer un renvoi à une demande prioritaire. En incluant un tel renvoi, un demandeur pourra ajouter de la matière à une demande qui autrement pourrait être considérée comme nouvelle et inadmissible;
- L’envoi d’avis de non-paiement par le Bureau des brevets : le Bureau des brevets enverra dorénavant un avis de non-paiement lorsqu’une date limite de paiement de taxes ne sera pas respectée. Le paiement (y compris la surtaxe de retard) devra être effectué dans les six mois qui suivent la date réglementaire applicable ou dans les deux mois qui suivent la date de l’avis, la date la plus tardive étant retenue; et
- Les demandes de priorité : un demandeur disposera de 14 mois à partir de la date de dépôt de la demande prioritaire pour compléter une demande de priorité, du moment qu’il est prouvé que l’omission de présenter cette dernière n’était pas intentionnelle.
Vous trouverez de plus amples détails en ce qui a trait aux notions présentées ci-dessus ainsi qu’aux autres modifications ici.
En outre, la Loi sur les dessins industriels du Canada subira plusieurs modifications, y compris des modifications liées à une nouvelle exigence de « nouveauté », aux nouvelles demandes prioritaires et aux conditions de protection, lesquelles sont toutes présentées de manière plus détaillée ici.
Les modifications susmentionnées à la Loi sur les brevets et à la Loi sur les dessins industriels ont été annoncées, mais ne sont pas encore entrées en vigueur.
En 2014, la Cour fédérale a émis un Avis à la communauté juridique selon lequel un demandeur doit aviser une partie adverse qu’il effectuera des tests expérimentaux aux fins d’une poursuite pour contrefaçon ou d’une action pour invalidité. L’avis doit comprendre les renseignements suivants :
- les faits à prouver au moyen des tests prévus;
- la nature de la procédure expérimentale à effectuer;
- le moment et l’endroit où les avocats et le(s) représentant(s) des parties adverses peuvent assister à (aux) expérience(s); et
- le moment où les données et les résultats de ces tests seront transmis aux parties adverses et la forme sous laquelle ils seront transmis.
L’avis doit être remis au plus tard deux mois avant la signification prévue du (des) rapport(s) d’expert en preuve principale. Tout différend concernant l’avis peut être réglé lors de la conférence de gestion de l’instance. La partie qui néglige de respecter les exigences relatives à l’avis ne peut présenter de preuve reposant sur des tests expérimentaux, sauf avec l’autorisation de la Cour.
Vous trouverez ici de plus amples détails relatifs à cet avis, ainsi que les questions que soulève ce dernier et le contexte y afférent.