Joëlle Boisvert, FCIArb
Associée
Article
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Le 17 mars 2016, la Cour suprême du Canada (« CSC ») a rejeté la demande d’autorisation d’appel de Dunkin’ Brands Canada Ltd. (« Dunkin’ Brands ») de la décision rendue il y a près d’un an par la Cour d’appel du Québec (« CAQ »), mettant ainsi fin à la plus importante affaire judiciaire en droit de la franchise dans l’histoire du Québec, treize ans après l’institution des procédures par un groupe d’anciens franchisés de Dunkin Donuts.
Le 15 avril 2015, la CAQ a confirmé la décision rendue par la Cour supérieure du Québec (« CSQ ») en 2012 relativement à la responsabilité du franchiseur, Dunkin’ Brands, mais a réduit de 16,4 millions à 11 millions de dollars la somme accordée aux franchisés à titre de dommages-intérêts. Avec les intérêts et les frais, Dunkin’ Brands devra verser une somme de plus de 18 millions de dollars, laquelle somme sera divisée entre les franchisés.
Un principe notable ressort de l’arrêt de la CAQ : l’obligation du franchiseur de protéger et rehausser une marque au sein de son réseau de franchisés est continue, successive et fort étendue.
2003 : Les procédures, qui ne constituaient pas un recours collectif, ont été intentées devant la CSQ par un groupe de 21 franchisés représentant 32 franchises. Les événements et circonstances qui fondent les procédures des franchisés se sont produits entre 1995 et 2005.
2012 : À la suite d’une audition de 71 jours devant le juge de première instance, la CSQ a prononcé sa décision. Le juge de première instance a d’abord conclu à la responsabilité du franchiseur et a par la suite demandé aux parties de présenter des éléments de preuve additionnels afin d’évaluer le montant des dommages-intérêts à octroyer.
2015 : La CAQ a rendu une décision confirmant la responsabilité du franchiseur, mais a réduit la somme accordée aux franchisés à titre de dommages-intérêts. L’audition devant la CAQ a eu lieu au début de l’année 2014. Le banc de trois juges a rendu quatorze mois plus tard sa décision, laquelle était fort attendue.
2016 : La CSC a rejeté la demande d’autorisation d’appel de Dunkin’ Brands et, ce faisant, a déterminé qu’elle ne procéderait pas à une révision de la décision de la CAQ.
Leçon no 1 : Franchiseurs, inutile de s’affoler!
Au Québec, le droit de la franchise se développe par la jurisprudence. Ainsi, chaque jugement, y compris l’affaire Dunkin, contribue à clarifier, préciser et analyser ce qu’on qualifie en droit civil de « contenu obligationnel » du contrat de franchise. Cette notion englobe non seulement les obligations clairement stipulées dans le contrat, mais également les obligations implicites découlant du contrat. Les obligations implicites incombant aux franchiseurs dépendent de chaque contrat de franchise, ainsi que de la nature et du contexte propre à chaque réseau de franchises.
Les faits de l’affaire Dunkin sont sans précédent au Québec; l’éclatement de ce grand réseau de franchises est survenu dans des circonstances exceptionnelles. Celles-ci ont d’ailleurs été prises en compte par les tribunaux du Québec dans leur analyse des obligations implicites du franchiseur, Dunkin’ Brands.
En outre, la CAQ a confirmé que la preuve présentée dans l’affaire Dunkin était claire et abondante, et qu’il avait été démontré que les mesures prises par le franchiseur en vue de soutenir ses franchisés étaient insuffisantes et n’avaient pas été exécutées en temps opportun, et ce, malgré les multiples demandes de soutien formulées par les franchisés. L’importance des dommages-intérêts octroyés aux franchisés reflète également les circonstances exceptionnelles de l’affaire Dunkin.
Les franchiseurs ont-ils donc lieu de s’affoler compte tenu de l’issue de l’affaire Dunkin? Selon nous, la réponse est non. La CAQ a clairement établi que l’obligation du franchiseur de protéger et rehausser la marque de son réseau constitue une obligation de moyens et non de résultats. L’obligation du franchiseur en ce sens est donc « de prendre des mesures raisonnables » en vue de protéger la marque et de soutenir son réseau.
Leçon no 2 : Rédigez des contrats de franchise clairs et détaillés
L’obligation du franchiseur de soutenir et protéger la marque a toujours existé. C’est cependant dans le cadre de l’affaire Dunkin que les tribunaux du Québec ont pour la première fois été aussi loin dans l’analyse de l’étendue et du contenu de cette obligation, notamment les mesures particulières que doivent prendre les franchiseurs lorsque des franchisés font face à une vive concurrence sur le marché. Dans le cadre de sa décision, la CAQ a souligné que – compte tenu des pouvoirs et du rôle attribués au franchiseur aux termes du contrat de franchise (c’est-à-dire la surveillance du réseau et l’application de normes uniformes) – l’obligation du franchiseur de protéger et rehausser la marque est un complément nécessaire au contrat de franchise.
Suite à l’affaire Dunkin, l’obligation de protéger et rehausser la marque pourrait vraisemblablement être considérée comme implicite dans la plupart des contrats de franchise, et ce, même si l’étendue de cette obligation n’a toujours pas été clairement circonscrite. Ceci dit,afin de limiter ou d’éliminer toute responsabilité potentielle pouvant découler d’obligations implicites, nous recommandons aux franchiseurs d’examiner leurs contrats de franchise avec leurs avocats et, dans la mesure du possible, d’intégrer une certaine prévisibilité commerciale dans leurs relations avec les franchisés. Nous croyons par ailleurs qu’il est important pour les franchiseurs de rédiger des contrats de franchise qui définissent clairement leurs obligations envers chacun des franchisés, de même qu’envers l’ensemble du réseau de franchises. Ces mesures permettront aux franchisés de mieux comprendre ce à quoi ils peuvent s’attendre de leur franchiseur avant de signer un contrat de franchise.
Leçon no 3 : Adaptez et améliorez vos pratiques quotidiennes
Même si l’affaire Dunkin ne devrait aucunement susciter la panique au sein de l’industrie du franchisage, il est important que les franchiseurs tiennent compte des conclusions des tribunaux québécois en vue d’adapter et améliorer leurs pratiques quotidiennes. Par exemple, les franchiseurs pourraient travailler à (a) élaborer et mettre en œuvre des programmes de conformité, (b) établir et appliquer des mesures à l’encontre des franchisés non conformes ou à faible rendement, et (c) documenter les mesures prises pour soutenir les franchisés et le réseau de franchises.
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On constate que de nombreux marchés sont exposés à une concurrence de plus en plus vive, notamment en raison de l’arrivée de nouveaux compétiteurs ou du regroupement de certains compétiteurs existants. Les franchiseurs seront donc appelés à contribuer activement à la protection et au rehaussement de la marque de leur réseau afin de faire face à la concurrence. Compte tenu de l’issue de l’affaire Dunkin, les actions des franchiseurs seront fort probablement surveillées de près par les franchisés et autres intervenants de l’industrie.
L’issue de l’affaire Dunkin ouvre la voie aux franchisés qui pourraient vouloir intenter des procédures contre leur franchiseur en raison de manquements à des obligations implicites qui découlent du contrat de franchise. En effet, peu après l’arrêt de la CSC, d’autres procédures ont été intentées par des groupes de franchisés membres de réseaux de franchises bien connues au Québec réclamant des dommages-intérêts pour manquement à des obligations semblables à celles qui ont été analysées dans l’affaire Dunkin.
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