Edward (Ted) G. Betts
Associé
Article
13
La nouvelle législation sur la construction en Ontario est maintenant en vigueur.
La Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction (maintenant appelée la Loi sur la construction) a fait l’objet de modifications nombreuses, considérables et de vaste portée. Celles-ci sont entrées en vigueur le 1er juillet dernier, alors que d’autres changements prendront effet le 1er octobre 2019. Toutes ces modifications entraîneront un véritable changement de culture au sein de l’industrie de la construction.
Les prêteurs sont-ils prêts?
Parmi la multitude de changements effectués, voici cinq nouveautés ayant le plus grand potentiel de risques et d’insuffisance de financement, ainsi que la plus grande incidence sur les prêteurs, que ces derniers assurent le financement de projets ou accordent des fonds d’exploitation directement à des entrepreneurs généraux ou spécialisés.
Le processus de paiement de projets de construction a été grandement modifié aux termes des changements portés à la Loi sur la construction. Certaines de ces modifications sont entrées en vigueur le 1er juillet 2018, comme le paiement obligatoire de retenues, l’extension des périodes de privilège (« claims for lien »), et l’extension des délais accordés pour le versement des retenues. D’autres changements encore plus importants entreront en vigueur le 1er octobre 2019, notamment l’ajout de délais de paiement prescrits par la loi (délai de paiement rapide de 28 jours) et l’introduction d’un processus de résolution de litiges accéléré et exécutoire (arbitrage intérimaire).
À noter que les modifications sont imposées aux propriétaires, aux entrepreneurs et aux sous-traitants, mais pas aux prêteurs. Dans le cadre de projets, on s’attend à ce que ces modifications occasionnent des insuffisances de financement et la non-allocation de risques dans le cadre des modèles financiers d’évaluation des prêteurs. Par exemple, il sera dorénavant possible qu’un propriétaire soit obligé de payer la retenue de construction à la fin de la période de privilège, mais que ce dernier soit incapable d’obtenir les fonds nécessaires auprès de son prêteur. Par ailleurs, un arbitre intérimaire pourrait exiger au propriétaire d’effectuer le paiement d’une modification ou d’une facture n’ayant pas été approuvée par le prêteur. L’intérêt, calculé en fonction de taux obligatoires et prescrits par la loi, sera exigible pour les paiements en retard (si le bénéficiaire reprend les travaux à la suite d’une suspension, le responsable du paiement lui paie les coûts de démobilisation et de remobilisation raisonnables qu’il a engagés). Parfois, ce genre d’insuffisance de financement résultera simplement d’un manque de synchronisme et ne durera qu’un court délai. Mais dans d’autres cas, l’accès aux fonds requis s’en retrouvera bloqué.
Où les emprunteurs vont-ils se procurer leurs fonds? Sera-t-il nécessaire ou prudent d’obtenir une réserve plus importante? Advenant qu’un emprunteur doive faire un emprunt pour couvrir ces insuffisances, la convention de crédit autorisera-t-elle ce genre d’emprunt? Cela aura-t-il une incidence sur les ratios et engagements financiers, ou encore sur le calcul des bases d’emprunt?
La plupart des modifications visent en particulier à faciliter et accélérer le flux des fonds devant être versés par le propriétaire aux entrepreneurs spécialisés et aux fournisseurs. Il va sans dire que l’extension des périodes de privilège, le régime de paiement rapide, les retenues obligatoires et le versement obligatoire de paiements en conformité avec une décision d’arbitrage auront une incidence sur le flux des fonds échangés dans le cadre de projets. Les dispositions autorisant le versement anticipé des retenues auront elles aussi une incidence dans certains cas. En outre, il est probable que ces modifications entraînent une diminution des besoins d’emprunt chez les entrepreneurs et fournisseurs pour la réalisation de leurs activités, mais aussi une augmentation des besoins des propriétaires en ce sens.
Les prêteurs devront-ils mettre à jour leurs modèles de flux de trésorerie et de prêt? Cette question est d’autant plus pertinente compte tenu des exigences de paiement rapide qui entreront en vigueur l’an prochain. Les procédures de crédit permettront-elles de débloquer des fonds lorsqu’un propriétaire (et, dans une moindre mesure, un entrepreneur) se trouvera dans l’obligation de faire des paiements exigibles aux termes de la nouvelle Loi?
Vu la multitude de changements portés à Loi sur la construction, les prêteurs devront procéder à la révision et mise à jour de leurs documents de crédit ainsi que de certaines de leurs procédures et pratiques.
La période de privilège passe de 45 à 60 jours. Les seuils financiers fixés pour déterminer si un contrat est exécuté pour l’essentiel (« substantiel performance ») sont maintenant doublés, passant de 500 000 $ à 1 000 000 $. L’approbation d’ébauches de facture par le propriétaire et la certification préalable de factures par la personne qui autorise le paiement ne seront plus permises comme condition après le 1er octobre 2019. L’approbation devra se faire au plus tard 14 jours après que le propriétaire a reçu la facture en bonne et due forme de la part de l’entrepreneur, et le propriétaire devra donner à ce dernier, de la manière prescrite, un avis de non-paiement rédigé selon le formulaire prescrit et précisant le montant de la facture en bonne et due forme qui ne sera pas payé, ainsi que toutes les raisons du non-paiement. Aussi, les paiements pour l’avancement normal des travaux et les paiements de retenues se feront beaucoup plus rapidement qu’auparavant. En outre, la Loi sur la construction prescrit en ce jour 34 formulaires en plus d’autres formulaires qui entreront en vigueur le 1er octobre 2019, et de façon générale, elle impose davantage de procédures, de formalité et de complexité dans le cadre des projets de construction.
Quoique plus rigide et plus formelle, la Loi sur la construction permet néanmoins une nouvelle souplesse qui peut s’avérer utile pour les emprunteurs. Dans certaines circonstances précises, les propriétaires seront autorisés à accepter un cautionnement ou une lettre de crédit au lieu d’effectuer une retenue; à faire le versement anticipé d’une retenue sur une base progressive ou annuelle; ou à traiter les « sous-projets » comme des contrats distincts. Mais seulement si le contrat de construction fournit des autorisations expresses en ce sens. Il reste à savoir si les documents et procédures de crédit des prêteurs permettront à leur tour ce degré de souplesse.
Afin de s’harmoniser avec les exigences des nouveaux régimes, les prêteurs devront donc s’assurer d’actualiser leurs documents, politiques et procédures de crédit, en vue d’éviter tout risque d’incompatibilité quant aux obligations et restrictions légales des emprunteurs, ou quant aux contrats de construction de ces derniers.
En vertu de la Loi sur la construction, les entrepreneurs ont maintenant l’obligation de déposer tous les fonds en fiducie dans un compte au nom du fiduciaire, et d’appliquer les règles de comptabilité visant les fiducies en s’assurant de tenir des livres et registres distincts pour chacun de ces comptes. Cette exigence est imposée en vue de faire en sorte que l’ensemble des fonds de construction en fiducie soient traçables et que ces sommes ne soient pas confondues avec les fonds d’exploitation ou avec d’autres fonds en fiducie.
Pour les prêteurs qui accordent des prêts à des entrepreneurs, il sera plus difficile d’utiliser le financement de créances qui comprend des fonds en fiducie. Ce changement aura-t-il une incidence sur la base d’emprunts de l’emprunteur? Faudra-t-il obtenir une réserve plus importante? Vos emprunteurs tiennent-ils des registres convenables pour leurs fonds en fiducie?
En ce qui concerne les prêteurs qui accordent des prêts à des propriétaires, ils sont moins contraints par les obligations de l’entrepreneur en matière de fonds en fiducie, mais la discipline et la diligence du prêteur sont souvent essentielles à la réussite complète d’un projet. Devriez-vous exiger de vos emprunteurs qu’ils vérifient les pratiques de leurs entrepreneurs? Faudra-t-il déposer tous les fonds en fiducie dans un compte distinct de celui des réserves générales? Quelles seront les nouvelles pratiques exemplaires exigées par les prêteurs dans le cadre d’un projet de construction?
Parmi les modifications portées au projet de loi 142, certains changements techniques et relatifs à la traduction sont entrés en vigueur immédiatement en date du 12 décembre 2017. Toutefois, la plupart des modifications importantes sont entrées ou entreront en vigueur en deux étapes, comme suit :
Comme nous l’avons souligné dans un article précédent (en anglais seulement), la Loi sur la construction prévoit le maintien de sa version antérieure (Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction) en ce qui a trait aux projets, améliorations et contrats déjà en cours. Toutefois, les droits acquis continuent uniquement de s’appliquer à l’égard d’améliorations dans des circonstances bien particulières :
Pour les prêteurs, il est très important de noter que la date de la convention de crédit est sans incidence dans ce contexte. Il est tout à fait possible que des parties aient établi les conditions d’un prêt en présumant que ce sont les anciennes règles qui s’appliquent (p.ex., la période de privilège de 45 jours), alors qu’en réalité le propriétaire et l’entrepreneur sont liés par les nouvelles règles.
Ce qui complique encore davantage les choses est que les dispositions visant le paiement rapide et l’arbitrage, lesquelles entrent en vigueur en 2019, ne seront pas assujetties aux mêmes règles en ce qui a trait au maintien de l’ancienne loi. Plus précisément, les dispositions visant le paiement rapide et l’arbitrage lieront les parties à tout contrat de construction signé le 1er octobre 2019 ou après cette date, peu importe le moment où le processus d’approvisionnement a été commencé ou qu’il y ait ou non un bail.
Durant cette période de transition, il sera donc très important de déterminer clairement lequel des régimes s’applique, à défaut de quoi on risque de se retrouver aux prises avec des insuffisances de financement et des conflits pouvant nuire au projet.
Gowling WLG est profondément engagée dans le processus de réforme des lois ontariennes sur la construction. Nous avons notamment organisé des événements et publié plusieurs articles à ce sujet depuis l’introduction des modifications ainsi qu’en prévision de celles à venir dans l’ensemble du pays.
Afin de tenir l’industrie de la construction au fait, nous prévoyons organiser davantage d’événements et d’ateliers informatifs, et nous fournirons de nouvelles analyses sur l’impact des modifications introduites par le projet de loi 142 au fil de l’année à venir. Nous offrirons entre autres un programme à l’intention des prêteurs ainsi qu’une série d’ateliers dans le cadre desquels certains de nos associés du Royaume-Uni traiteront de l’expérience de ce pays avec l’arbitrage.
Nous serons heureux de vous rencontrer afin de discuter de toute question ou préoccupation que vous auriez relativement au projet de loi 142 et à la Loi sur la construction.
Veuillez consulter notre page Web détaillée (en anglais seulement) sur tout ce qui entoure la réforme de la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction pour vous informer quant à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ainsi que pour connaître les sujets et dates de nos événements et activités.
CECI NE CONSTITUE PAS UN AVIS JURIDIQUE. L'information qui est présentée dans le site Web sous quelque forme que ce soit est fournie à titre informatif uniquement. Elle ne constitue pas un avis juridique et ne devrait pas être interprétée comme tel. Aucun utilisateur ne devrait prendre ou négliger de prendre des décisions en se fiant uniquement à ces renseignements, ni ignorer les conseils juridiques d'un professionnel ou tarder à consulter un professionnel sur la base de ce qu'il a lu dans ce site Web. Les professionnels de Gowling WLG seront heureux de discuter avec l'utilisateur des différentes options possibles concernant certaines questions juridiques précises.