Esther Kim
Associate
Article
Comme son nom l'indique, la fanafiction est rédigée par des fans. Ces derniers créent leurs propres histoires à partir de personnages, thèmes et décors tirés d'œuvres fictives existantes. S'inspirant d'un large éventail de genres, la fanafiction peut, par exemple, faire découvrir aux lecteurs des rebondissements des plus créatifs imaginés à partir de l'intrigue originale de Star Wars, inverser le sexe de personnages bien connus, ou encore assigner des maisons différentes aux personnages de Harry Potter lors de la « répartition » à Poudlard.
L'avènement de l'auto-édition et des plateformes en lignes a suscité un intérêt croissant pour la fanafiction. Mais une question se pose : de quelle marge de manœuvre disposent les auteurs de fanafiction pour modifier la ligne narrative en ce qui concerne les personnages et les univers dont ils ne sont pas eux-mêmes les créateurs, et quand peut-on dire qu'un récit de fanafiction constitue une contrefaçon de l'œuvre originale? La situation se corse quand l'un de ces auteurs développe un univers distinct dans sa fanafiction, particulièrement s'il y incorpore plusieurs des thèmes développés au sein de sa communauté de fanafiction. À titre d'exemple récent, prenons le cas de Zoey Ellis et Addison Cain, deux auteures faisant dans la littérature érotique Omegaverse, un genre issu de groupes de fanafiction en ligne. Mme Cain avait déposé des avis de violation du droit d'auteur en vue d'exiger que les œuvres de Mme Ellis soient retirées des canaux de vente. Mme Ellis a par la suite intenté un procès aux États-Unis, alléguant, entre autres, que ses œuvres contiennent simplement des tropes communs au genre Omegaverse.
Le droit d'auteur subsiste dans toute œuvre originale littéraire, dramatique, musicale ou artistique. Selon l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur du Canada (la « Loi »), le titulaire du droit d'auteur « possède le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'œuvre »[1]. Seulement, la protection conférée par le droit d'auteur comporte des limites.
Tel qu'il a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada (« CCH »), le droit d'auteur protège l'expression des idées, mais pas les idées comme telles[2]. Autrement dit, l'inclusion de thèmes ou de tropes communs ne suffit pas nécessairement à établir l'existence d'une contrefaçon. L'un des défis qui se pose avec beaucoup d'histoires, c'est qu'une fois que l'on en dégage les idées de base, elles peuvent sembler très similaires. La ligne narrative, par exemple, du récit d'un jeune homme qui découvre un jour qu'il possède des pouvoirs magiques et se retrouve ensuite au cœur d'un conflit d'envergure, pour découvrir plus tard qu'il partage en fait un lien avec le méchant de l'histoire, pourrait tout aussi bien être celle de La guerre des étoiles ou de Harry Potter. Toutefois, c'est l'expression de ces idées dans les deux histoires qui est radicalement différente.
Heureusement, la Cour suprême du Canada a fourni certaines clarifications sur la façon de déterminer s'il y a contrefaçon ou non. Dans Cinar Corporation c. Robinson, une affaire de violation du droit d'auteur impliquant deux émissions pour enfants basées sur Robinson Crusoé, la Cour suprême a affirmé que pour déterminer si une « partie importante » d'une œuvre a été reproduite, on doit procéder à une analyse qualitative et globale[3]. Il faut examiner l'effet cumulatif des caractéristiques reproduites en vue de décider si elles constituent une partie importante du talent et du jugement dont a fait preuve le créateur dans l'ensemble de l'œuvre reproduite[4]. À l'instar du juge de première instance, la Cour a accordé peu de poids aux éléments génériques communs aux deux histoires. Par exemple, les éléments tels que les plages, la végétation abondante et les bananes n'étaient, « tout au plus qu'une similitude "mineure" »[5], alors que la reproduction de la combinaison particulière des personnages dotés de traits de personnalité distincts, habitant tous ensemble et interagissant sur une île tropicale, constituait la reproduction d'une partie importante du talent et du jugement dont a fait preuve le créateur dans l'ensemble de son œuvre[6].
Ce sont les faits particuliers d'une affaire qui permettent de déterminer si un récit de fanafiction reproduit ou non une partie importante d'une œuvre originale. Toutefois, en reprenant des personnages et des décors d'œuvres existantes, la fanafiction tend, de par sa nature, à flirter avec les limites de la violation du droit d'auteur.
Même si la fanafiction donne dans la contrefaçon, elle pourrait tout de même être en règle conformément à certaines exceptions prévues par la Loi, s'il s'agit d'utilisation équitable ou de contenu non commercial généré par l'utilisateur.
En effet, l'article 29 stipule que l'utilisation équitable d'une œuvre « aux fins d'étude privée, de recherche, d'éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d'auteur »[7].
Pour qu'il soit question d'utilisation équitable, l'œuvre doit être utilisée à l'une des fins énoncée dans la Loi, et cette utilisation doit être équitable. Lorsqu'elle doit déterminer si une œuvre est visée par cette exception, la Cour peut prendre en considération les facteurs suivants :
Dans certains cas, les œuvres de fanafiction peuvent relever de la parodie ou de la satire, bien que, comme pour la violation du droit d'auteur, l'évaluation de l'utilisation équitable dépendra des éléments particuliers de l'affaire en question.
La Loi prévoit également une exception visant le « contenu non commercial généré par l'utilisateur » qui pourrait être applicable dans le contexte des récits de fanafiction. L'article 29.1 permet à une personne physique d'utiliser une œuvre du droit d'auteur en vue de créer une autre œuvre du droit d'auteur protégé, et à cette personne d'utiliser la nouvelle œuvre ou d'autoriser un intermédiaire à la diffuser, du moment que les conditions suivantes sont réunies :
Les tribunaux n'ont pas encore examiné directement cette disposition de la Loi et, à ce titre, il reste à voir quelle sera l'étendue de son interprétation. Étant donné que les œuvres de fanafiction racontent souvent de nouvelles histoires se déroulant dans l'univers d'une œuvre existante, il sera particulièrement intéressant de voir comment les tribunaux appliqueront le critère voulant que l'œuvre n'ait aucun effet négatif important sur l'exploitation actuelle ou éventuelle de l'œuvre existante ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard.
Les fan-clubs et les œuvres de fanafiction qui émanent de ces communautés ne cesseront de croître, au même titre que les questions visant à déterminer dans quelles circonstances l'inspiration donne dans la contrefaçon.
Déterminer s'il y a violation du droit d'auteur ou non est une tâche difficile axée sur l'étude des faits. Si vous êtes un auteur de fanafiction et souhaitez commercialiser votre œuvre et développer votre propre univers distinct, ou si vous êtes un auteur et pensez que la fanafiction d'un tiers a repris votre œuvre, il serait avisé dans un premier temps d'obtenir des conseils juridiques afin de bien comprendre vos droits.
[1] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C., 1985, ch. C-42, art. 3(1).
[2] CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, par. 16 [« CCH »].
[3] Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, par. 35.
[4] Ib., par. 36.
[5] Ib., par. 41.
[6] Ib., par. 46.
[7] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, art. 29
[8] CCH, supra, note 2, par. 53.
[9] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, art. 29.21.
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