En réponse à la baisse des résultats des élèves en mathématiques et aux pressions grandissantes des parents, le gouvernement de l'Ontario teste désormais les compétences mathématiques des postulants à l'enseignement.

Le projet de loi 48, la Loi de 2019 sur des écoles sûres et axées sur le soutien, impose aux postulantes et postulants à l'enseignement de réussir un test de compétences standard en mathématiques pour obtenir leur certification.

Le 17 décembre 2021, la Cour divisionnaire de l'Ontario a statué que le test de compétences en mathématiques violait le droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), violation non justifiée par l'article 1.

La décision, Ontario Teacher Candidates' Council v The Queen, 2021 ONSC 7386, a pour conséquence que l'Ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario doit désormais accorder la certification aux postulants qui n'ont pas encore réussi le test, mais satisfont néanmoins à tous les autres critères.

La Province a demandé l'autorisation d'appeler de la décision. Si elle l'obtient, l'appel sera entendu par la Cour d'appel de l'Ontario.

Contexte : enseigner en Ontario

Pour enseigner, les enseignants doivent obtenir une certification de l'Ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario. Le paragraphe 18(1) de la Loi de 1996 sur l'Ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario (la « Loi ») fixe les conditions selon lesquelles le registraire peut délivrer un certificat de qualification et d'inscription permettant d'enseigner dans les écoles publiques.

Pour recevoir un tel certificat, il faut normalement obtenir un diplôme de premier cycle au terme d'un programme de trois ou quatre ans, puis réussir une formation à l'enseignement de deux ans. Cette formation prend généralement la forme d'un baccalauréat en éducation. Il existe des exigences de programme standards pour ces formations, mais aucun programme de mathématiques commun. Certaines facultés exigent de leurs étudiants certaines compétences en mathématiques, d'autres non.

Toutes les personnes certifiées pour enseigner en Ontario peuvent être appelées à enseigner les mathématiques jusqu'à la sixième année. Pour les enseigner au-delà de la sixième année, il faut obtenir une qualification pour les mathématiques des cycles intermédiaire ou supérieur. Il peut cependant arriver qu'une personne n'ayant pas cette qualification soit appelée à enseigner les mathématiques à ces cycles.

Le projet de loi 48 a modifié le paragraphe 18(1) de la Loi par adjonction de l'alinéa c), qui exige qu'une personne « réussi[sse] tout examen prescrit relatif aux compétences en mathématiques ». C'est pour satisfaire à cette exigence qu'a été créé le test de compétences en mathématiques.

Comment un test de mathématiques a-t-il pu mener à une contestation fondée sur la Charte?

L'article 15 de la Charte, portant sur le droit à l'égalité, prévoit que toute personne au Canada a droit au même traitement, indépendamment de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de sa couleur, de sa religion, de son sexe, de son âge ou de ses déficiences mentales ou physiques. Il est interdit pour les gouvernements de discriminer, dans leurs lois et programmes, sur la base de l'un ou l'autre des motifs énumérés, ou de tout autre motif analogue.

Les lois et programmes jugés discriminatoires peuvent néanmoins être justifiés par l'article 1 de la Charte, s'ils satisfont à certains critères.

L'Ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario soutenait que l'exigence de réussite du test de compétences en mathématiques enfreignait l'article 15 de la Charte, sans que ce soit justifié au sens de l'article 1. Il a fait valoir que le test nuisait aux postulants issus de groupes racialisés et perpétuait le désavantage historique vécu par les personnes racialisées dans le système d'éducation de l'Ontario. Selon l'Ordre, les données statistiques issues de l'administration du test montrent que ce dernier constitue un obstacle excluant de manière disproportionnée de la certification les membres de groupes racialisés.

La décision

La Cour divisionnaire a donné raison aux postulants sur le fait que le test enfreint l'article 15 de la Charte, et ce, sans que ce soit justifié par l'article 1, et a déclaré inopérant l'alinéa 18(1)c) de la Loi, qui leur impose de « réussi[r] tout examen prescrit relatif aux compétences en mathématiques ».

La Cour a justifié sa conclusion selon laquelle le test de compétences en mathématiques enfreignait l'article 15 ainsi :

  • Le test de compétences en mathématiques impose aux postulants racialisés un fardeau ayant pour effet de renforcer, d'exacerber et de perpétuer un désavantage historique. La Cour a admis la preuve suivante à cet égard :
    • Des éléments de preuve relevant des sciences sociales montrent que les postulants issus de groupes racialisés sont désavantagés en raison de leur race, tout au long de leur éducation. C'est tout particulièrement le cas des personnes noires et autochtones. Des éléments de preuve d'autres territoires indiquent en outre que les tests d'importance visant la certification des enseignantes et enseignants excluent de manière disproportionnée les personnes de groupes racialisés.
    • Des éléments de preuve quantitatifs (des données provenant de l'administration du test) révèlent d'importantes disparités dans les taux de réussite entre les personnes s'identifiant comme racialisées, ce qui concorde avec les données issues des sciences sociales. Le désavantage occasionné par le test pour les postulants racialisés est disproportionné, et d'autant plus pour les personnes noires ou autochtones.
    • Des éléments de preuve qualitatifs provenant de témoignages écrits de postulants ont été soumis, notamment le témoignage d'un postulant racialisé ayant réussi le test à sa troisième tentative, bien qu'il ait par ailleurs démontré sa maîtrise des connaissances mathématiques testées. Fait intéressant : la Cour a relevé que s'il aurait été utile d'avoir davantage de témoignages de postulants, le fait qu'il n'y en ait qu'un seul met possiblement en lumière les préjugés entourant l'aveu d'un échec au test de compétences en mathématiques.

Le test de compétences en mathématiques a jusqu'ici constitué un obstacle supplémentaire à la profession pour les postulants racialisés, ce qui leur a imposé un fardeau et les a privés d'avantages, renforçant ou perpétuant ainsi un désavantage historique.

Après avoir statué que le test enfreignait l'article 15 de la Charte, la Cour a déterminé que cette infraction n'était pas justifiée, puisqu'elle ne constitue pas une atteinte minimale, c'est-à-dire que le test n'est pas la manière la moins contraignante d'améliorer le rendement des élèves en mathématiques. La Cour s'est rangée du côté des postulants, affirmant qu'il y a d'autres moyens raisonnablement disponibles qui causeraient une atteinte moindre et qui seraient au moins aussi efficaces que le test pour atteindre cet objectif. Il pourrait s'agir par exemple d'imposer un nombre d'heures minimal de formation en mathématiques dans les baccalauréats en enseignement, d'imposer la réussite d'un cours de mathématiques de premier cycle pour l'admission au baccalauréat, ou même d'attendre de voir quels effets auront les autres mesures prises par l'Ontario dans le cadre de sa stratégie quadriennale sur les mathématiques (dont fait partie le test de compétences en mathématiques).

Même si elle n'avait pas à le faire pour déterminer si l'infraction à l'article 15 de la Charte était justifiée, la Cour a conclu que les effets préjudiciables du test de compétences en mathématiques (son incidence disproportionnée sur les postulants racialisés) excédaient ses effets bénéfiques sur la promotion des compétences en mathématiques auprès des postulants et des facultés.

Quel poids pour cette décision?

Outre le fait qu'il s'agisse d'une victoire pour les postulants au titre d'enseignant en Ontario et de l'élimination d'un des nombreux obstacles structurels auxquels se heurtent les personnes racialisées de l'Ontario, cette décision est d'une grande importance en ce qu'elle est la plus récente décision de l'Ontario à reposer sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28.

L'arrêt Fraser est une décision importante de la Cour suprême sur la question de la discrimination systémique (ou structurelle) et le type de preuve d'intérêt pour les tribunaux qui doivent déterminer si une loi ou une politique en apparence neutre nuit de manière importante aux membres d'un groupe protégé. La démonstration d'une incidence disproportionnée est l'un des éléments permettant de déterminer si une loi ou une politique enfreint l'article 15 de la Charte.

Dans Fraser, la Cour suprême a établi qu'il existe deux types d'éléments de preuve utiles pour conclure qu'il y a une incidence disproportionnée :

  1. les éléments portant sur la situation du groupe de demandeurs, par exemple, les obstacles physiques, sociaux, culturels ou autres auxquels se heurte le groupe de demandeurs. Ces éléments peuvent provenir des demandeurs, de témoins experts ou d'avis juridiques;
  2. les éléments sur les effets de la loi contestée, par exemple, une preuve statistique peut permettre d'établir « un comportement distinct d'exclusion ou de préjudice statistiquement important et qui n'est pas simplement le résultat de la chance » (Fraser, paragr. 59).

Dans Ontario Teacher Candidates', la Cour divisionnaire a repris l'analyse de la Cour suprême dans Fraser en considérant à la fois les éléments de preuve relevant de la situation des postulants et ceux relevant des résultats de l'imposition du test. La décision relance la discussion sur la discrimination systémique et le rôle de la Charte dans l'élimination des obstacles systémiques à l'égalité.