Anthony Dearden
Principal
Patent Agent, UPC Representative
Article
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Le système européen des brevets est engagé dans de profonds changements qui toucheront tous les déposants de brevets d'Europe. En effet, après des années d'embûches juridiques et politiques, les tant attendus brevet unitaire et juridiction unifiée du brevet devraient bientôt voir le jour, possiblement d'ici la fin de 2022.
Dans le système actuel, les brevets européens octroyés par l'Office européen des brevets (OEB) se scindent en plusieurs brevets nationaux indépendants, selon les pays où les détenteurs de brevets choisissent de « valider » leurs brevets. Les brevets nationaux (ou « validations nationales ») qui résultent de ce processus constituent des droits distincts. Par conséquent, la défense et l'annulation d'un brevet européen s'effectuent pays par pays, devant les tribunaux nationaux.
Parallèlement aux brevets européens en vigueur, un nouveau droit de brevet paneuropéen, le brevet unitaire, doit devenir disponible à la fin de 2022 ou au début de 2023. Le brevet unitaire sera octroyé par l'OEB selon le processus habituel, soit par le dépôt d'une demande auprès de l'OEB et la poursuite de la procédure y afférente. Cependant, contrairement aux brevets européens, qui n'ont d'effet que dans les pays où ils sont validés, le brevet unitaire constituera un droit unique en vigueur dans de multiples pays européens (dont la liste complète se trouve ci-dessous).
Pour l'instant, le brevet unitaire ne remplacera pas les brevets européens en vigueur, mais produira ses effets parallèlement à ceux-ci. Après l'entrée en vigueur du brevet unitaire, le déposant dont la demande de brevet est acceptée par l'OBE aura le choix :
On s'attend à ce que les frais annuels de renouvellement du brevet unitaire correspondent à peu près à ceux du renouvellement de six brevets validés nationalement. Par conséquent, ceux qui valident régulièrement leurs brevets dans plus de six pays pourraient réaliser d'importantes économies en optant pour le brevet unitaire.
En tandem avec le brevet unifié, la juridiction unifiée du brevet (JUB), une cour des brevets centralisée, fera son apparition en Europe. Il s'agira d'un guichet unique pour les instances en matière de contrefaçon et de validité de brevets unitaires. En d'autres termes, les brevets unitaires ne se défendront que devant la JUB, dont les décisions auront un effet uniforme dans tous les pays qui relèvent de sa compétence (et qui auront ratifié l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet). De même, un brevet unitaire ne pourra se contester que devant la JUB. S'il le brevet unitaire est jugé invalide, il sera entièrement révoqué, et sa protection disparaîtra dans tous les pays où il était en vigueur.
Qui plus est, les détenteurs de brevets européens en vigueur pourront également choisir d'en contester les validations nationales devant la JUB. Comme les décisions de la JUB vaudront dans tous les pays qui s'en seront remis à sa compétence (et auront ratifié l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet), un détenteur de brevet pourra simultanément faire respecter les validations nationales de son brevet européen devant la JUB et y solliciter une injonction couvrant tous les territoires visés par ces validations. De même, le contrefacteur potentiel pourra demander à la JUB de révoquer toutes les validations nationales d'un brevet européen tombant sous la compétence de celle-ci (ou solliciter une déclaration de non-contrefaçon).
Alors qu'initialement, la JUB et le brevet unitaire devaient entrer en vigueur il y a plusieurs années, le Brexit et certains obstacles juridiques ont retardé la ratification de l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet. Toutefois, nombre de ces obstacles ayant été récemment surmontés, les experts parlent d'une entrée en vigueur en 2023, si ce n'est à la fin de 2022.
Les pays suivants sont signataires de l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (bien que tous n'en aient pas encore achevé la ratification) : l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la République tchèque, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la France, l'Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède.
Les pays qui tombent sous le coup de la Convention sur le brevet européen en vigueur sans être des États membres de l'Union européenne (comme la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni) ne participent pas à la JUB et sont hors du territoire visé par le brevet unitaire. Il ne sera pas non plus possible pour les droits de brevet existants dans ces pays d'être mis à l'essai dans le nouveau système. Dans ces pays, la protection par brevet devra toujours être revendiquée nationalement ou par la validation traditionnelle de brevets européens.
Durant une période de transition d'au moins sept ans suivant l'entrée en vigueur de la JUB, les titulaires de brevets européens pourront SE SOUSTRAIRE à la compétence de la JUB pour ce qui est d'un ou de plusieurs de leurs brevets et demandes de brevet européens en vigueur et futurs. Cette période de retrait (nommée la « période initiale ») doit commencer avant l'entrée en vigueur, quoique le moment précis de son début ne soit toujours pas établi.
Les brevets européens qui seront soustraits au nouveau système poursuivront leur existence actuelle, c'est-à-dire en tant qu'ensemble de droits de brevet individuels et distincts ne pouvant être défendus ou contestés que devant un tribunal national. À l'inverse, ceux qui ne seront pas retirés se trouveront sous la compétence conjointe des tribunaux nationaux et de la JUB, une fois cette dernière inaugurée. Comme il est expliqué ci-dessus, cela fera en sorte que les litiges visant les brevets européens qui n'auront pas été soustraits à la compétence de la JUB pourront être portés devant celle-ci. En théorie, la validation nationale d'un brevet européen qui n'est pas soustrait à la JUB au cours de la période initiale pourra, dès le premier jour où sera en vigueur l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, faire l'objet d'une action en nullité générale devant la JUB. Si elle est couronnée de succès, cette action en nullité viendra invalider, dans tous les pays signataires de l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, toute validation nationale du brevet européen en question.
Il s'agit d'une question importante, et plusieurs facteurs doivent être pris en compte afin d'y répondre. D'une part, les brevets européens qui ne sont pas retirés du nouveau système pourront être défendus dans de nombreux pays européens à l'aide d'une procédure unique. D'autre part, ces mêmes brevets pourront être annulés au moyen d'une seule action en nullité. De plus, la JUB comporte son lot d'incertitudes. Personne ne sait vraiment comment elle fonctionnera en pratique. Ainsi, pour le moment, la plupart des intéressés jugent qu'il pourrait être plus sage d'adopter une approche « préventive », et de retirer tout brevet européen existant, en particulier ceux revêtant une valeur relativement élevée. De plus, bien que le retrait d'un brevet européen ne soit pas officiellement assorti de frais, la préparation et le dépôt d'une demande de retrait pourraient ne pas être gratuits, ce qui pourrait occasionner des frais considérables pour la société titulaire de nombreux brevets européens.
Notons que le brevet européen qui aura été retiré pourra tout de même être « réintégré » ultérieurement par l'annulation du retrait original, pourvu qu'aucune de ses validations nationales ne fasse l'objet de procédures judiciaires à ce moment. Il y a par conséquent lieu de garder à l'esprit qu'un retrait de la JUB n'est pas permanent, et qu'il demeurera possible de recourir à la vaste compétence de cette dernière à une date ultérieure.
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