Marie-Aude Ziadé
Associée
International Arbitration and Dispute Resolution
Article
6
Le 5 décembre 2023, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu la première décision au fond sur le devoir de vigilance dans une affaire opposant La Poste à une de ses parties prenantes, le syndicat SUD PTT.
Face à un texte imprécis, en l'absence de décret d'application depuis l'entrée en vigueur de la loi sur le devoir de vigilance de mars 2017, cette décision est bienvenue et riche d'enseignements.
Le syndicat SUD PTT avait assigné La Poste, le 22 décembre 2021, en vue qu'il lui soit enjoint de modifier son plan de vigilance considéré lacunaire. La décision rendue par le Tribunal Judiciaire se prononce en conséquence sur la qualité du plan de vigilance publié par La Poste et apporte notamment les cinq précisions importantes suivantes.
Le syndicat SUD PTT reprochait à La Poste d'avoir publié, non pas la cartographie des risques elle-même, mais uniquement sa méthodologie de cartographie.
Le Tribunal juge sur ce point que la loi n'exige pas de l'entreprise qu'elle publie sa cartographie des risques "détaillée" et "confidentielle", mais une cartographie permettant aux lecteurs de comprendre "les facteurs liés à l'activité pouvant concrètement faire naître des risques" pour les droits humains, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement. Le Tribunal juge, dans cette affaire, que la cartographie des risques publiée par La Poste, cantonnée à un "niveau très général", ne répond pas à cette exigence.
Le syndicat SUD PTT sollicitait que La Poste publie une liste des fournisseurs et sous-traitants par filiale, par service et secteur géographique.
Le Tribunal relève, à juste titre selon nous, que la publication de la liste de "milliers de sociétés", évolutive par essence, ne permet pas de prévenir les risques que la loi cherche à protéger. Cette liste n'est, d'ailleurs, pas requise par la loi!
Le Tribunal juge, en revanche, que la cartographie publiée par La Poste était "imprécise", dans la mesure où sa lecture ne permet pas de s'assurer que les mécanismes d'évaluation des fournisseurs mis en place sont adaptés à la prévention des atteintes les plus graves, aux droits humains, à la santé, à la sécurité des personnes et à l'environnement, identifiés par l'entreprise.
Ces "mesures", qui doivent apparaître dans le plan de vigilance, sont généralement mal comprises. En effet, le plan de vigilance n'est-il pas déjà une mesure permettant "d'atténuer les risques et de prévenir les atteintes graves" ? Face à cette redondance apparente, les entreprises font parfois des déclarations générales, pensant satisfaire cette exigence.
Le Tribunal précise que ces "mesures adaptées d'atténuation …" ne font pas doublon avec les autres mesures de vigilance exigées par la loi, car il s'agit ici de décrire les actions de prévention concrètes et effectivement mises en place par l'entreprise pour prévenir les "risque critiques" identifiés dans sa cartographie.
Le syndicat SUD PTT sollicitait du Tribunal non seulement qu'il enjoigne à La Poste de modifier son plan de vigilance, mais également qu'elle prenne des actions concrètes pour éviter que certains risques ne se réalisent.
Le Tribunal juge, là encore à juste titre selon nous, que dans le cadre d'une action en injonction, son office se limite à faire respecter la lettre du texte, sans pouvoir de substituer à l'entreprise en lui enjoignant de prendre telle ou telle mesure de vigilance. Il appartient, en effet, à l'entreprise "en association avec les parties prenantes" et à elles seules, de déterminer les mesures de vigilance adaptées aux risques que l'activité de cette entreprise génère.
Le syndicat SUD PTT sollicitait la condamnation de La Poste à modifier son plan de vigilance, assortie d'une astreinte de 50.000 euros par jour de retard.
Le Tribunal relève que depuis l'entrée en vigueur de la loi, La Poste a adopté une "démarche dynamique d'amélioration" de son plan de vigilance. Il juge en conséquence qu'une astreinte n'est pas "utile". Si l'on comprend ce qui a motivé le juge à prendre cette décision, la corrélation entre l'amélioration continue du plan de vigilance par une entreprise, et l'"utilité" (ou non) de la condamner à modifier son plan jugé insuffisant, sous astreinte, pose question. Tout dépend en effet, selon nous, de l'imminence et de la gravité du risque que le plan critiqué ne permet pas de prévenir.
Pour discuter de l'un des points soulevés dans cet article, veuillez contacter Marie-Aude Ziadé ou Hadrien Torron.
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