La pratique qui consiste à recycler un objet de manière à ce que le produit obtenu ait une valeur supérieure à l'article d'origine, aussi appelée « upcycling » en anglais, est de plus en plus populaire, particulièrement à l'ère où l'éco-responsabilité devient un enjeu fort important.

Or, lorsque de tels produits sont composés ou mettent en valeur des articles arborant des marques de commerce et mis sur le marché, les propriétaires de ces marques ont-ils leur mot à dire sur la réinjection de leur marque dans le marché par des tiers?

Avant tout, il faut considérer la théorie de l'épuisement des droits d'un propriétaire de marque de commerce dans une telle situation. En effet, bien que l'enregistrement d'une marque de commerce confère des droits exclusifs d'usage en association avec certains biens[1], une fois que ces biens sont légalement achetés par un tiers, les droits du propriétaire de marque sur l'usage qui est fait de ces biens sont dits « épuisés ».

Prenons par exemple une personne qui achète une cocotte en fonte émaillée d'une marque bien connue et qui choisit de la revendre telle quelle sur Internet. Le propriétaire de la marque ne pourrait limiter l'usage qui est fait de la cocotte (notamment le fait de la revendre comme un produit de la marque), puisque ses droits d'exclusivité se sont « éteints » au moment de la vente de la cocotte.

Ainsi, la théorie de l'épuisement fait en sorte qu'un propriétaire de marque n'a pas, à proprement parler, de contrôle sur la revente de produits qui portent sa marque et qui ont été légalement acquis[2].

Le présent article aborde la façon dont le suprarecylage est perçu au Canada et au Royaume-Uni.

Le suprarecyclage au Canada

Ce principe a été reconnu dans le droit canadien par la jurisprudence, ayant été pour la première fois appliqué par la Cour suprême du Canada en 1984 dans l'arrêt Consumers Distributing Co. c. Seiko[3].

Le phénomène du suprarecyclage soulève toutefois une question d'intérêt : les modifications apportées au produit de marques sont-elles importantes au point de créer une exception au phénomène de l'épuisement? Une récente décision de la Cour fédérale[4] semble suggérer que cela serait possible dans certaines circonstances.

En effet, dans l’affaire H-D U.S.A., LLC c. Varzari, le litige porte sur la modification et l'incorporation par le défendeur, M. Eli Varzari, de pièces de motocyclette portant des marques détenues par Harley-Davidson (H-D U.S.A. LLC) dans des vélos électriques personnalisés qu'il confectionne et vend lui-même sous le nom « Harley Davidson Willie G Edition ». La Cour a distingué cette situation d'une simple revente et déterminé que le principe de l'épuisement ne trouve pas application en l'espèce.

La Cour conclut qu'il y a là usurpation des marques de Harley-Davidson, commercialisation trompeuse et dépréciation probable de l'achalandage. La Cour prononce une injonction permanente qui interdit à M. Varzari de vendre ou de faire la publicité de ses vélos électriques, exige la remise ou destruction de toute reproduction des vélos ou de matériel de marketing et accorde des dommages-intérêts.

Bien que la Cour ait reconnu des droits à un propriétaire de marque dans un contexte de suprarecyclage, il convient d'insérer cette décision dans son contexte :

  • Le produit revendu se situe dans une catégorie voisine aux produits vendus par le propriétaire (motocyclettes au lieu de vélos électriques)
  • Les produits sont vendus d'une façon qui semble suggérer une affiliation avec la marque Harley-Davidson
Par cette décision, la Cour fédérale vient toutefois clarifier les extrémités du spectre de protection accordé aux propriétaires de marque en matière de revente de biens arborant leurs marques. La protection est nulle en cas de simple revente sans altération. La protection est maximale (et permet de maintenir l'exclusivité) dans le cas où le nouveau produit, créé dans une optique de suprarecyclage en incorporant la marque, pourrait créer un risque de confusion quant à sa provenance et donc diluer la marque de commerce.

En ce qui a trait aux situations qui se trouvent entre ces deux extrémités, le degré de protection demeure toutefois moins clair et il faudra les évaluer au cas par cas. Ceci dit, en tant que propriétaire de marque, une bonne pratique consiste à garder un œil attentif à l'usage que font des tiers des biens arborant sa marque, et qui font l'objet de suprarecyclage.

Le suprarecyclage au Royaume-Uni

Le Royaume-Uni adopte une position semblable à celle du Canada quant au principe de l’épuisement. En général, les droits de marques de commerce sur un bien sont considérés comme épuisés dès que ce bien est vendu. Ce principe s’applique lorsque les biens sont authentiques (la marque a donc été appliquée légalement) et que le propriétaire de cette marque a consenti à ce que les biens soient mis sur le marché.

En ce qui concerne les biens mis sur le marché dans l’Union européenne (UE) et l’Espace économique européen (EEE) par un titulaire de marque britannique ou avec son consentement, les droits sur la marque seront considérés comme épuisés même au Royaume-Uni, et ce, malgré le Brexit. Contrairement au Canada, qui applique généralement le principe d’épuisement international des droits, le Royaume-Uni ne considère pas que la commercialisation de biens en dehors de l’UE, de l’EEE et du Royaume-Uni entraîne l’épuisement des droits des titulaires de marques britanniques.

En revanche, la législation britannique, à l’instar de celle du Canada, reconnaît que les modifications apportées à un produit peuvent entraîner une exception à l’épuisement des droits [5] , particulièrement lorsqu’une modification consiste en l’ajout d’un nouvel élément auquel le titulaire de la marque n’a pas consenti. En vertu de cette exception, le titulaire d’une marque demeure en droit de s’opposer à la commercialisation ultérieure de ses biens, notamment en alléguant que sa marque a été contrefaite.

Étant donné que le suprarecyclage implique la modification d’un bien et que la présence d’une marque de commerce visible sur un vêtement ainsi recyclé peut grandement en rehausser le prestige et la valeur, il sera intéressant de voir dans quelle mesure les titulaires de marques de commerce intenteront des actions en contrefaçon dans le cadre de cette exception.  

Les tribunaux britanniques, comme leurs équivalents canadiens, porteront une attention particulière à l’ampleur d’une modification avant de déterminer si l’exception est applicable, et formuleront leurs avis au cas par cas. Plusieurs affaires portant sur la modification d’un produit sous-jacent et la mesure dans laquelle le principe d’épuisement s’applique ont déjà été entendues. Ainsi, il suffira peut-être d’adapter l’interprétation de la loi existante à chaque nouvelle situation. Pour en savoir plus sur la législation relative à l’épuisement des droits, consultez notre article à ce sujet (en anglais).

Au Royaume-Uni, la demande pour les vêtements suprarecyclés en particulier est à la hausse. En appliquant le raisonnement des tribunaux canadiens à cette réalité britannique, on détermine que les vêtements faisant l’objet de suprarecyclage tombent dans une catégorie de produits identique à celle des produits vendus par le titulaire de marque, ce qui pose un risque de confusion accru.

Par ailleurs, de nombreux titulaires de marques proposent leurs propres services de suprarecyclage (en anglais), augmentant ainsi la vraisemblance d’une affiliation avec la marque en question. Donc, il est probable que l’exception relative aux modifications continuera à positionner les suprarecycleurs en terrain délicat sur le plan juridique. Il leur faudra procéder avec vigilance.

Afin d'obtenir des conseils personnalisés sur la meilleure façon de protéger votre marque, nous vous invitons à consulter un membre de l'équipe de Marques de Commerce chez Gowling WLG.

[1] Loi sur les marques de commerces, L.R.C. (1985), ch. T-13, art.19.

[2] Jeremy de Beer et Robert Tomkowicz, « Exhaustion of intellectual property rights in Canada », (avril 2009) 25-3 Canadian Intellectual Property Review, p.7.

[3] Consumers Distributing Co. c. Seiko, (1984) 1 RCS 583, p.593.

[4] H-D U.S.A., LLC c. Varzari, 2021 CF 620.

[5] Royaume-Uni : Règlement de 2019 sur la propriété intellectuelle (épuisement des droits) (sortie de l’UE) (S.I. 2019/265), art. 12(2)