Marc-Antoine Bigras
Avocat
Article
Article coécrit par Nawal Sassi
Le gouvernement du Québec ne fait pas dans la demi-mesure pour lutter contre le partage non consensuel d’images intimes en ligne et renforcer les mesures de protection pour les personnes qui en sont victimes.
Le 28 novembre dernier, le projet de loi n° 73, Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec. Cette nouvelle loi permet notamment aux personnes dont des images intimes sont diffusées en ligne sans leur consentement de recourir à des actions civiles et entamer une procédure accélérée pour faire retirer ces contenus d’Internet.
Bien que cette loi partage certaines similitudes avec l’Intimate Images Protection Act[1] en vigueur en Colombie-Britannique, il est essentiel que les entreprises qui gèrent des plateformes en ligne où des vidéos ou des images sont hébergées ou indexées, aussi connues sous le nom d’« intermédiaires techniques » en vertu des lois québécoises, prennent connaissance des spécificités de cette nouvelle loi québécoise, car elles pourraient être directement concernées par ses dispositions. Voici les points clés à retenir à ce sujet.
La Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes définit l’« image intime » comme toute forme de média représentant une personne soit nue ou partiellement nue, soit en train de se livrer à une activité sexuelle. Cela inclut des photos, des vidéos, des enregistrements sonores, des diffusions en direct, ainsi que des images modifiées, incluant celles générées ou modifiées par l’intelligence artificielle.
À titre comparatif, l’Intimate Images Protection Act de la Colombie-Britannique définit l’image intime comme étant un enregistrement visuel comportant de la nudité ou une activité sexuelle, mais elle ne couvre pas les enregistrements sonores.
Cette nouvelle loi prévoit qu’une ordonnance puisse être rendue à l’égard de toute « personne », sans préciser davantage ce terme. Par conséquent, les intermédiaires techniques pourraient se voir ordonner de retirer des images intimes ou de désindexer tout lien permettant d’y accéder.
L’Intimate Images Protection Act, quant à elle, prévoit un régime de responsabilité limitée pour les intermédiaires techniques.
La Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes permet aux victimes de soumettre une demande d'ordonnance en remplissant un formulaire confidentiel sur le site du ministère de la Justice. La demande n’a pas à être notifiée à la partie adverse, ce qui signifie qu’un intermédiaire technique pourrait ne prendre connaissance de l’ordonnance qu’après sa prononciation.
L’ordonnance est ensuite traitée de manière urgente, et un juge peut ordonner à un intermédiaire technique qui héberge une image intime partagée sans consentement de :
Contrairement à l’Intimate Images Protection Act, la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes ne prévoit pas de régime de responsabilité limitée pour les intermédiaires techniques. Ces derniers ont donc une responsabilité civile au même titre que toute « personne » dans ce contexte, à savoir :
Tout intermédiaire technique qui néglige de se conformer à une ordonnance prononcée en vertu de cette loi s’expose à des sanctions sévères, notamment une amende de 5 000 $ à 50 000 $ par jour (montants portés au double en cas de récidive), ainsi qu’une peine d’emprisonnement maximale de 18 mois pour les cas les plus graves.
Outre la réglementation du partage non consensuel d’images intimes, la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes introduit également la possibilité pour une personne de révoquer son consentement au partage d’une image intime, hormis lorsque celui-ci est accordé dans le cadre de certains contrats conclus à des fins commerciales ou artistiques à moins que cette possibilité n’y ait été prévue ou qu’il s’agisse d’un contrat d’adhésion (article 5). Conséquemment, tout intermédiaire technique doit répondre à ces demandes de révocation en déployant des mesures raisonnables pour rendre inaccessible l’image sur sa plateforme, faute de quoi il pourrait être tenu responsable du préjudice subi en raison de l’accessibilité à cette image ou de son partage.
Cet article offre un aperçu des conséquences potentielles de la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes pour les intermédiaires techniques. Pour une analyse plus détaillée, nous invitons les lecteurs à consulter le mémoire que nous avons soumis pour examen à l’Assemblée nationale et par l’entremise duquel nous avons identifié certaines incohérences du projet de loi ayant donné naissance à la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes.
Pour les intermédiaires techniques opérant au Québec, la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes vient changer la donne. Caractérisé par la prise rapide des mesures d’exécution, l’introduction de sanctions sévères, et l’absence de cadre adapté pour les intermédiaires techniques, il attribue à ces acteurs la responsabilité directe en cas de partage non consensuel d’images intimes sur leur plateforme, même s’ils font tous les efforts raisonnables pour empêcher ce genre d’activité. Rappelons-le : le non-respect d’une ordonnance pourra entraîner des amendes sévères, nuire à la réputation de l’entreprise et engager la responsabilité personnelle de ses dirigeants.
Pour toute question en lien avec cette nouvelle loi, n’hésitez pas à contacter notre équipe Cybersécurité et protection des données.
[1] Pour plus d’informations sur cette loi, consultez notre article portant sur le sujet.
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