Le 20 mai 2025, la Commission d’accès à l’information du Québec (la « Commission ») a rendu une décision relativement à la légalité d’un système de vidéosurveillance collectant des images à l’intérieur de la cabine des véhicules de livraison.

L’entreprise Crane Supply (l’« Entreprise »), un distributeur de tuyaux et de valves à travers le Canada, a installé un système de surveillance vidéo dans chacun de ses véhicules en février 2023. Son parc automobile comprenait des véhicules lourds et des véhicules de type pick-up (camionnettes de charge importante).

Le système était conçu de manière à ce que la collecte d’images (sans enregistrement sonore) débute au démarrage du véhicule, et se termine 20 minutes après l’arrêt du moteur. Au cours de la captation vidéo, grâce à l’intelligence artificielle, le système détectait certains événements prédéterminés (utiliser un cellulaire au volant, ne pas porter la ceinture de sécurité en conduisant, fumer dans la cabine) pouvant mener à la création de rapports d’incidents. L’Entreprise avait limité l’accès aux images collectées à certains responsables désignés dans la politique de ladite Entreprise.

Décision de la cai

En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (la « Loi sur le secteur privé »), la captation d’images de personnes se trouvant à l’intérieur de cabines des véhicules, de même que les rapports d’incidents, constitue une collecte de renseignements personnels devant être justifiée par des objectifs légitimes, réels et importants. De plus, la Loi sur le secteur privé prévoit qu’il doit y avoir une proportionnalité entre les objectifs poursuivis et l’atteinte à la vie privée que constitue la collecte de renseignements personnels.

La poursuite d’objectifs légitimes, réels et importants

Dans cette affaire, la Commission a jugé que les cinq (5) objectifs formulés par l’Entreprise quant à l’utilisation de son système de vidéosurveillance étaient légitimes et importants, car ils visaient :

  • la sécurité des personnes et des biens;
  • la prévention et la détection d’infractions au Code de la sécurité routière;
  • la défense de l’Entreprise et des chauffeurs en cas de poursuite judiciaire;
  • les enquêtes en cas d’incidents ou d’accidents; et
  • le perfectionnement de la formation des chauffeurs.

La Commission a également pris soin de préciser que l’élaboration de ces objectifs doit être constante, transparente et documentée avant que la collecte de renseignements ne soit entamée. Il importe de noter qu’elle a souligné l’incohérence entre les objectifs de la vidéosurveillance dans la politique de confidentialité de l’Entreprise et les objectifs mentionnés lors de l’audience.

Invoquant des décisions arbitrales, la Commission a confirmé que pour être réels, les objectifs de l’Entreprise devaient se rattacher à des situations concrètes ou des problématiques spécifiques. Pour cette raison, la Commission a accordé beaucoup d’importance à la nature des véhicules en cause afin de déterminer s’ils comportaient des caractéristiques qualifiées d’intrinsèquement dangereuses. Les facteurs suivants ont été considérés :

  • La dangerosité des marchandises transportées : la nature et le poids du chargement des véhicules d’une entreprise peuvent contribuer au caractère intrinsèquement dangereux des véhicules eux-mêmes. Par exemple, il a déjà été démontré que le transport d’hydrogène liquide et gazeux était dangereux[1], alors que le transport de denrées alimentaires, et par conséquent les véhicules en transportant, ne l’était pas[2].

Dans l’affaire qui nous intéresse, l’Entreprise transportait à l’occasion des produits inflammables en petites quantités. La Commission a conclu que le transport de ces produits ne contribuait pas à la dangerosité des véhicules.

  • Les caractéristiques intrinsèques des véhicules : Selon la Commission, les véhicules lourds, comme les camions de livraison, sont intrinsèquement dangereux pour plusieurs raisons : ils sont plus difficiles à manœuvrer, les accidents qui impliquent de tels véhicules présentent un risque de gravité accrue et leur conduite est soumise à des obligations légales particulières.

À l’inverse, les véhicules de type pick-up présentent un niveau de risque moindre que les véhicules lourds. Toutefois, la Commission a conclu que l’objectif de sécurité était tout de même réel pour ces véhicules, car il y a une probabilité avérée que des accidents surviennent, parce que ce type de véhicules comporte statistiquement plus de risques d’entraîner des accidents graves ou mortels que d’autres véhicules de promenade.

La minimisation de l’atteinte

Ensuite, tout employeur voulant utiliser un système de vidéosurveillance doit démontrer qu’il a tout fait pour minimiser l’atteinte à la vie privée de ses employés, notamment en préconisant l’utilisation d’un paramétrage le moins intrusif possible. Dans son analyse de la proportionnalité entre la collecte des renseignements personnels et les fins poursuivies, la CAI a considéré les facteurs suivants :

  • Surveillance continue ou séquentielle : La surveillance séquentielle consiste à limiter la captation d’images à des événements spécifiques détectés par le système. Par exemple, il est possible de paramétrer la collecte d’images selon le niveau de force G exercé sur le véhicule. La surveillance continue consiste à capter des images sans interruption tout au long du trajet du véhicule. La Commission a jugé que ce modèle de surveillance était plus intrusif et que l’Entreprise qui l’utilisait n’avait, par conséquent, pas démontré avoir pris les moyens suffisants pour minimiser l’atteinte à la vie privée de ses employés.
  • Captation d’images après l’arrêt du moteur : La Commission a aussi déterminé que le délai de captation d’une durée de 20 minutes après l’arrêt du moteur était injustifié, car en raison de ce paramétrage, les chauffeurs étaient susceptibles d’être filmés durant leurs pauses. Il s’agissait d’une atteinte à la vie privée qui n’était pas nécessaire pour l’atteinte des objectifs poursuivis et cela n’a pas été toléré.

L’expectative de vie privée

Finalement, dans le cadre de son analyse, la Commission a évalué la proportionnalité entre l’atteinte au droit à la vie privée des conducteurs que représentait la vidéosurveillance à l’intérieur de la cabine d’un véhicule et l’objectif poursuivi. À ce sujet, la Commission a conclu que l’expectative de vie privée des chauffeurs était faible, notamment en raison du fait qu’ils étaient sur leur lieu de travail, que les véhicules se trouvaient sur la voie publique, que la durée des trajets effectués était courte et qu’il n’y avait pas de couchette dans la cabine des véhicules. Ainsi, la Commission a déterminé que les avantages rattachés aux objectifs poursuivis par l’Entreprise étaient proportionnellement plus importants que les préjudices que pouvaient subir les chauffeurs. 

Conclusions de la Commission

La Commission a donc conclu que l’Entreprise devait limiter la collecte d’images à l’intérieur des cabines à un nombre restreint de secondes avant et après un incident et qu’elle devait cesser la collecte des images de l’intérieur des véhicules après l’arrêt du moteur, à défaut de quoi l’Entreprise se verrait dans l’obligation de cesser d’utiliser son système de vidéosurveillance.

La Commission a exigé que l’Entreprise revoie sa politique relative à l’utilisation des caméras de tableau de bord, afin que celle-ci limite l’accessibilité et l’utilisation des images captées aux cas d’accidents ou d’incidents importants. Elle a également ordonné la destruction des images existantes collectées à l’intérieur des cabines hors de la séquence afférente à un accident ou incident important.

Enfin, nous notons que cette décision représente la deuxième de la Commission en matière de vidéosurveillance en 2025. Ce fait, jumelé à la rigueur de l’analyse du droit et des faits en cause par la Commission, démontre l’importance qu’elle accorde au sujet et dans quelle mesure elle attend des entreprises souhaitant utiliser un système de vidéosurveillance qu’elles réalisent une évaluation préalable sérieuse de l’incidence d’un tel système sur la vie privée des personnes concernées.

Points clés à retenir

À la lumière de cette décision, voici les éléments importants que tout employeur voulant mettre en place un système de vidéosurveillance de ses employés doit retenir :

  • La vidéosurveillance doit être nécessaire et justifiée par des objectifs déterminés et des intérêts sérieux et légitimes, et ce, même si une ou un employé concerné consent à la collecte de renseignements personnels. Un problème spécifique et non hypothétique, doit être identifié pour justifier la collecte de données.
  • Les employeurs doivent déterminer et documenter de manière exhaustive les objectifs qui sous‑tendent la collecte, et ce avant que celle-ci ne soit effectuée.
  • L’employeur doit définir des politiques internes et y définir clairement les cas spécifiques dans lesquels les renseignements personnels des employés peuvent être utilisés, ainsi que les personnes pouvant y avoir accès. Les politiques internes doivent être constantes et cohérentes compte tenu des objectifs poursuivis par la collecte.
  • Les employeurs doivent réellement veiller à trouver les moyens les moins intrusifs possibles permettant d’atteindre les objectifs visés.
  • Relativement aux objectifs de protection des biens et des personnes, les employeurs doivent dispenser des formations à l’interne et promouvoir de bonnes habitudes de conduite auprès de leurs employés. De telles mesures doivent être prises avant que la collecte de renseignements personnels soit envisagée, laquelle ne doit être entamée que si ces moyens se révèlent insuffisants.

Pour toute question en lien avec la vidéosurveillance dans les véhicules de livraison, n’hésitez pas à contacter notre équipe Cybersécurité et protection des données et notre équipe Travail, emploi et droits de la personne.


[1] Voir Teamsters local Union no 2013, sentence arbitrale du 24 mai 2018, par. 104.

[2] Voir Syndicat des travailleurs et travailleuses de Sysco-Québec (CSN) c. Sysco Services alimentaires du Québec, 2016 QCTA 455 (pourvoi en contrôle judiciaire rejetée, 2017 QCCS 3791).