Will Boyer
Partner
Head of IP Litigation & Strategy (Canada)
Article
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Un mois à peine après le début de l'année 2022, les tribunaux fédéraux ont pratiquement réussi à statuer sur toutes les décisions pendantes en matière de brevets. Celles relatives à l'affaire Rovi Guides sont toujours en instance devant la Cour fédérale, et la Cour d'appel a encore une décision à rendre en la matière.
En 2022, les tribunaux fédéraux seront plus occupés à tenir audience qu'à écrire. De nombreuses affaires intéressantes sont à surveiller.
Rovi Guides, Inc et al c. Vidéotron Ltée / Telus Corporation et al / BCE Inc et al (T-921-17 / T-206-18 / T-113-18)
Ces décisions étaient pendantes lorsque nous avons rédigé notre article l'an dernier[1] et le sont encore aujourd'hui. En fait, le procès contre Vidéotron a été le premier que la Cour fédérale a instruit au moyen de la plateforme Zoom en raison de la pandémie de COVID, qui était nouvelle à l'époque.
Pour un résumé de ces affaires, consultez notre article paru en 2021.
Teva Canada Ltd c. Janssen Inc et al (A-131-20)
INVEGA SUSTENNA® (palmitate de palipéridone) est le médicament en cause dans cette action en contrefaçon de brevet en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Le brevet s'y rattachant porte sur un schéma posologique particulier (deux doses d'attaque suivies d'une dose d'entretien) associé à l'utilisation de palmitate de palipéridone en préparation injectable à action prolongée. Teva a contesté le brevet pour cause d'évidence et d'absence de contrefaçon.
En première instance, le juge Manson a émis une déclaration de contrefaçon en faveur de Janssen. Concernant la question de l'évidence, le juge Manson a comparé les éléments essentiels du schéma posologique revendiqué aux nombreux schémas différents divulgués dans l'art antérieur. Après avoir examiné la notion d'« essai allant de soi », il a conclu que le schéma revendiqué n'était pas évident. Plus particulièrement, le juge Manson a conclu que même si les divers éléments des revendications auraient pu, rétrospectivement, être regroupés, la combinaison des éléments n'était pas évidente.
En ce qui concerne la contrefaçon, le juge Manson a fait remarquer que « le cœur du litige relatif à la contrefaçon réside dans les revendications indépendantes » du brevet en cause. Les revendications indépendantes 1 et 2 concernent des « seringues préremplies adaptées à l'administration [...] », tandis que la revendication 33 porte sur l'« utilisation de palipéridone sous forme de palmitate de palipéridone pour la préparation d'un médicament » (la revendication 34 est semblable). Teva a fait valoir qu'elle ne peut pas contrevenir directement à ces revendications puisqu'elle ne prescrit pas ou n'administre pas le médicament.
Le juge Manson a rejeté cet argument. Il a trouvé tous les éléments essentiels sur les étiquettes et dans la monographie de produit (MP) de Teva. En ce qui a trait à la question de l'administration et de l'utilisation, il a accepté l'argument de Janssen selon lequel « [traduction] "l'utilisation possible, approuvée et voulue du produit de Teva précisée dans la MP de Teva intègre tous les éléments de la posologie et de l'administration" » reconnus dans le brevet de Janssen.
Teva a interjeté appel de la décision du juge Manson le 26 mai 2020. L'audience devant la Cour d'appel s'est déroulée le 14 septembre 2021 en présence des juges Stratas, Gleason et Woods. La décision, qui devrait être rendue en 2022, pourrait se révéler importante en ce qui touche les questions de l'évidence et de la contrefaçon de brevets associés à des schémas posologiques.
Merck Sharp & Dohme Corp et al c. Pharmascience / Apotex Inc (T-419-20 / T-560-20, T-561-20, T-563-20)
En 2022, Merck présentera sa défense, du moins contre Pharmascience, en ce qui a trait à sa mise en marché de JANUVIA® (sitagliptine). Le procès en question a débuté le 10 janvier et les observations finales ont été entendues le 26 janvier. La juge Furlanetto a maintenant pris l'affaire en délibéré et devrait rendre sa décision prochainement. Le sursis de 24 mois prévu dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) prend fin le 25 mars 2022.
Une fois au procès, seul un brevet de composition était toujours en litige, et il ne restait que deux questions de validité à trancher, soit celles de l'évidence et du caractère suffisant. Toutefois, la juge Furlanetto aura des preuves substantielles à examiner. Suivant la décision rendue à l'issue d'une requête en réplique préalable au procès[2], Merck et Pharmascience ont déposé les rapports d'au moins huit experts (cinq dans le cas de Merck et trois dans celui de Pharmascience).
Les trois instances impliquant Apotex doivent également être entendues cette année, à compter du 28 février. Le sursis de 24 mois prend fin le 20 mai 2022. Toutefois, il est possible que les parties règlent les dossiers entre elles. Le 7 janvier, elles ont déposé devant la Cour une lettre conjointe confidentielle demandant l'ajournement de la conférence de gestion de l'instruction prévue le 11 janvier.
NCS Multistage Inc c. Kobold Corporation et al / Promac Industries Ltd (T-1420-18 / T-567-20)
Le procès en contrefaçon de brevet intenté par NCS contre Kobold et Promac se déroulera sur une période prévue de 26 jours depuis le 12 janvier. Les parties assurent la distribution d'équipement de fracturation hydraulique auprès de l'industrie pétrolière et gazière. Plus précisément, elles fournissent aux exploitants l'équipement de fond à introduire dans un puits foré pour le fracturer et produire du pétrole ou du gaz.
Cette affaire a commencé par une action déposée par NCS contre Kobold concernant sept brevets visant des outils de fracturation. Kobold a présenté une demande reconventionnelle, alléguant que NCS avait contrefait deux de ses brevets, bien qu'un seul de ceux-ci ne fasse l'objet d'un procès. Près de deux ans plus tard, NCS a engagé une action en contrefaçon contre Promac, en lien avec ces sept mêmes brevets. Les deux procédures ont été regroupées et sont entendues conjointement.
Dans le cadre d'une procédure distincte mais connexe (T-451-20), Kobold a intenté une poursuite contre NCS pour contrefaçon d'un de ses brevets, qui couvre une méthode de fracturation faisant appel à des pièces d'équipement particulières. NCS a présenté une requête en jugement sommaire pour tenter de faire rejeter l'action sur le fondement de la nouvelle défense de l'« utilisation antérieure » prévue à l'article 56.
Le 7 janvier 2022, dans une décision partagée, le juge Manson a accueilli en partie la requête en jugement sommaire, exigeant toutefois que certaines questions soient instruites au procès. Cette décision du juge Manson marque la toute première fois où un tribunal interprétait l'article 56 de la Loi sur les brevets[3]. Nous avons récemment rédigé un article sur la décision Kobold[4].
Étant donné que la défense de l'utilisation antérieure a été invoquée dans le dossier T-451-20, il sera intéressant de voir si elle sera examinée plus avant dans le cadre du procès en cours et si la décision rendue fournira une orientation supplémentaire en ce qui concerne l'article 56.
Janssen Inc et al c. Sandoz Canada Inc / Apotex Inc / JAMP Pharma Corp (T-549-20 / T-555-20 / T-769-20)
Ces trois instances introduites sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) relativement à l'OPSUMIT® (macitentan) doivent se tenir en 2022. Le procès contre Sandoz a débuté le 24 janvier, et le sursis de 24 mois prévu prend fin le 14 mai 2022. Dans le cas d'Apotex, l'instruction a commencé le 7 février, avec expiration du sursis prévue le 20 mai 2022. L'affaire Jamp sera la dernière des trois à être entendue; le début du procès est prévu pour le 4 avril et l'expiration du sursis, pour le 17 juillet 2022. Si Janssen obtient gain de cause, elle conservera probablement l'exclusivité pendant plusieurs années encore, puisque les deux brevets inscrits au registre expirent en septembre 2026 et en août 2027.
Dans le cadre du procès en cours contre Sandoz, la juge Pallotta a rendu une ordonnance d'exclusion unique pour empêcher le deuxième témoin expert de Janssen d'entendre ou de lire le témoignage du premier témoin expert.
T-Rex Property AB c. Pattison Outdoor Advertising Limited Partnership (T-1066-17)
T-Rex a intenté une action en contrefaçon de brevet contre quatre défenderesses, dont Pattison Outdoor Advertising. Selon les allégations, les défenderesses auraient contrefait le brevet de la demanderesse portant sur des systèmes d'informations numériques, en particulier dans le domaine de la publicité extérieure.
Le procès en responsabilité d'une durée de 15 jours doit débuter le 14 février. Nos collègues Peter Choe, Charlotte McDonald et Harvey Lim représenteront T-Rex.
Bernard Charles Sherman et al c. Pharmascience Inc (T-1935-13)
Dans un des rares litiges opposant un générique à un autre, M. Sherman (aujourd'hui défunt) et Apotex ont intenté une action en contrefaçon de brevet contre Pharmascience en rapport avec leurs produits à base de quinapril. Cette affaire a connu un long déroulement depuis 2013 avant d'en arriver jusqu'au procès prévu sur une période de 10 jours à partir du 14 février. Le brevet revendiqué est un brevet de formulation qui a expiré en décembre 2019.
Tekna Plasma Systems Inc c. AP&C Advanced Powders & Coatings Inc (T-126-19)
Ces deux sociétés concurrentes sont parties à un litige portant sur leurs droits de brevet respectifs relativement à la production de titane en poudre, prévu pour un usage industriel. Tekna a d'abord engagé une action en vue de faire invalider le brevet d'AP&C, puis a intenté contre elle une autre action pour contrefaçon de brevet. En décembre 2021, la deuxième procédure a été abandonnée, mais l'action en invalidation a été mise au rôle pour une période de 20 jours à compter du 28 mars 2022.
Biogen Canada Inc et al c. Pharmascience Inc / Taro Pharmaceuticals Inc (A-145-20 / A-146-20)
Les appels déposés par Biogen concernant son produit FAMPYRA® étaient prévus pour entendus le 22 février. Le brevet a trait à l'administration de préparations de fampridine à libération prolongée pour traiter la sclérose en plaques. Le juge Manson a rejeté l'action sous-jacente intentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) sur le fondement de l'antériorité et de l'évidence[5].
En ce qui concerne l'antériorité, la Cour a conclu que certaines revendications du brevet en cause avaient été antérieurement divulguées dans un document soumis à la Securities and Exchange Commission des États-Unis. La Cour a estimé que le protocole d'une étude qui figurait dans la déclaration d'immatriculation causerait forcément une contrefaçon en cas de réalisation, et a donc conclu à l'antériorité. Le protocole de l'étude ne faisait toutefois état d'aucun résultat.
En ce qui concerne l'évidence, la Cour a conclu à l'invalidité de toutes les revendications invoquées, d'après son analyse de l'art antérieur.
Nos collègues John Norman, Alex Gloor, Adam Heckman et Rebecca Johnston représentent Biogen.
Pour toute question particulière au sujet du présent article ou pour en discuter plus en détail, n'hésitez pas à communiquer avec les auteurs ou un membre de l'équipe des brevets.
[1] Décisions des cours fédérales en 2021 : à quoi s'attendre en matière de brevets (article en anglais).
[2] Merck Sharpe & Dohme Corp v. Pharmascience Inc, 2021 FC 1456.
[3] Kobold Corporation v. NCS Multistage Inc, 2021 FC 1437.
[4] Jugements sommaires en matière de contrefaçon de brevets : la tendance se poursuit (article en anglais).
[5] Biogen Canada Inc c. Taro Pharmaceuticals Inc, 2020 CF 621.
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